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Protection du conjoint survivant : des droits légaux accrus mais pour autant suffisants ?

Protection du conjoint survivant : des droits légaux accrus mais pour autant suffisants ?

Temps de lecture estimé : 9 min

Longtemps « parent pauvre » des successions, le conjoint dispose de droits légaux nettement plus importants depuis les lois de 2001 et de 2006 ainsi que de l’exonération de droits de succession depuis la loi TEPA (Travail, Emploi et Pouvoir d’Achat) de 2007.

Néanmoins, ces droits sont-ils suffisants dans un contexte où l’espérance de vie et le coût de la dépendance augmentent ?

La fameuse donation au dernier vivant est-elle la solution à privilégier alors qu’il existe de nombreux autres outils pour accroître la protection du conjoint ? L’intervention d’un conseil en gestion de patrimoine est ici incontournable.

un accroissement notable des droits légaux du conjoint

du code napoléon

« Il n’y a que la parenté civile qui donne le droit de succéder » précisait au 18ème siècle Robert-Joseph Pothier dans l’un de ces traités de droit (Pothier, introduction au titre des successions, n° 13).

En 1804, le conjoint n’a de vocation successorale que dans des cas exceptionnels : les biens ne doivent pas sortir de la famille, le lien de sang prime le lien d’alliance.
Ainsi que le dicte l’article 731 du code Napoléon dans sa première version, « les successions sont déférées aux enfants et descendants du défunt, à ses ascendants et à ses parents collatéraux, dans l’ordre et suivant les règles ci-après déterminés. » Point de conjoint survivant dans ces textes.

Parent pauvre de la succession, il n’a de droits successoraux qu’en l’absence d’héritiers jusqu’au 12e degré (Art. 755, C.civil de 1804) !

aux lois de 2001, 2006 et loi tepa de 2007

Grâce à la réforme du 3 décembre 2001, puis à celle du 23 juin 2006, les droits successoraux légaux du conjoint ont été considérablement modifiés et augmentés.

Le conjoint successible devient un héritier de premier rang et héritier réservataire en l’absence de descendants (C.civ art. 914-1).
Le conjoint successible est le conjoint non divorcé (C.civ. art. 732).
Ainsi, en cas de jugement de séparation de corps ayant force de chose jugée ou de procédure de divorce, le conjoint reste un successible.

Depuis 2001, les droits légaux du conjoint survivant, c’est à dire en l’absence de toute disposition testamentaire, sont les suivants :

En présence d’enfants (C.civ. art. 757)

En présence d'enfants communs uniquementEn présence d'un enfant non commun du défunt
Droits légaux du conjoint survivant sur la masse successorale du défunt100% en usufruit
ou
1/4 en pleine propriété
1/4 en pleine propriété
En l’absence d’enfant et en présence d’autres héritiers
Présence et qualité des héritiers du défunt
Droits légaux du conjoint survivant sur la masse successorale du défunt
Seulement le père ou la mère
¾ en pleine propriété
Père et mère
½ en pleine propriété
Frères et sœurs
100 % en pleine propriété
sauf droit de retour de la moitié des biens de famille

Autres héritiers
100 % en pleine propriété
Les réformes de 2001 et 2006 instituent également de nouveaux droits au conjoint survivant visant à maintenir son niveau de vie :

  • Des droits considérés comme « effet direct du mariage » : ces droits sont d’ordre public. Ils ne peuvent pas être supprimés par une décision testamentaire. Ils concernent :
    • le droit au logement occupé à titre d’habitation principale pendant un an (C.civ. art.763, al.1), aux conditions que le conjoint occupe effectivement le logement à titre d’habitation principale au jour du décès, et que le dit logement appartienne aux deux époux ou dépende totalement de la succession. Ce droit ne s’impute pas sur la part successorale du conjoint.
    • le droit pour le conjoint locataire du logement qu’il occupe de demander à la succession une année de loyers s’il était locataire (C.civ. art. 763, al.2).
    • le droit pour le conjoint de demander une pension lorsqu’il est dans le besoin au jour du décès (C.civ. art. 767).
  • Des droits successoraux, dont le conjoint peut être privé par testament :
    • Droit de demander le bénéfice du droit viager d’habitation sur le logement occupé à titre de résidence principale (sauf s’il en était locataire) et d’usage sur le mobilier (C.civ. art. 764, al.1). Le conjoint devra opter pour ce droit dans l’année suivant le décès et ce droit s’impute sur sa part successorale. Les héritiers pourront exiger l’établissement d’un état de l’immeuble et d’un inventaire des meubles. Le conjoint devra entretenir le bien et supporter les charges afférentes.
    • Droit pour le conjoint titulaire du droit viager de louer le logement inadapté à ses besoins (C.civ. art. 764, al. 4) mais uniquement dans ce cas. Hors cette condition, le conjoint ne peut pas louer le bien ou vendre ses droits.
    • Droit de demander la conversion de l’usufruit en rente viagère, à charge de soulte s’il y a lieu. Cette attribution préférentielle peut aussi porter sur l’entreprise ou le local à usage professionnel (C.civ. art. 831 ss).

pour autant, des droits fragiles et partagés

le conjoint peut être déshérité

Contrairement à l’idée reçue qui veut que le mariage crée des droits impératifs au profit du conjoint survivant, rappelons que ce dernier ne bénéficie que d’une expectative, d’un droit éventuel sur la succession, par définition incertain.

« Dura lex sed lex » (la loi est dure mais c’est la loi) : à l’exception des droits d’ordre public que nous venons de voir et des situations spécifiques où il est réservataire, le conjoint survivant peut être totalement ou partiellement déshérité par son époux par voie testamentaire.

À noter

Un testament olographe permet de déshériter le conjoint survivant de tous ces droits à l’exception du droit viager au logement qui requiert un testament authentique.

Cas où le conjoint survivant est réservataire et ne peut être totalement déshérité

Dans la situation où le défunt ne laisse pas de descendant, le conjoint qui souhaite déshériter l’autre ne peut le faire qu’à concurrence des trois quarts de ses biens (C.civ. art. 914-1). Le conjoint survivant est alors réservataire pour ¼ en pleine propriété.

des droits légaux mais partagés

Une succession qui s’ouvre sans que le défunt n’ait prévu de dispositions particulières (testament, legs, donations), succession dite « ab intestat », ou sans que les époux n’aient procédé à des modifications conventionnelles de leur régime matrimonial (conventions matrimoniales, avantages matrimoniaux), voit s’appliquer les règles prévues pour les dévolutions successorales légales.

La loi détermine alors les personnes qui héritent et leur part d’héritage sans qu’un choix n’ait été préalablement fait par les époux ou par un seul d’entre eux. Le survivant subit les règles imposées par la loi et son « sort » post-successoral n’est pas toujours celui qu’il espérait ou, a fortiori, celui qui le protège le mieux.

Face aux droits que leur confère la loi, beaucoup de conjoints successibles se retrouvent à devoir partager avec les autres héritiers les pouvoirs de gestion et de disposition des biens de la succession de leur époux, y compris lorsqu’il dispose de l’emblématique droit de propriété.

Comme nous l’avons vu, en présence d’enfants communs, le survivant des époux peut opter pour l’usufruit universel ou le quart en pleine propriété portant sur les biens composant la succession. Le droit de propriété est donc susceptible de division.

Le démembrement de propriété

Dans le cas où le conjoint survivant opte pour la totalité de la succession de son époux en usufruit, quels sont ses droits économiques ?
Pour tout un chacun, l’usufruit c’est le droit de jouir du bien. Jouir c’est le droit de percevoir les fruits d’un bien, loyers, dividendes, revenus, mais l’usufruit comprend aussi le droit d’user et/ou d’habiter le bien s’il est immeuble.
Parallèlement à ces droits, l’usufruitier a des obligations. Il doit conserver la substance du bien :

  • Il ne peut donc en vendre seul la pleine propriété.
  • Il doit assumer les charges liées à son droit, réparations d’entretien, impôts foncier et local, assurances du bien.
  • Il peut perdre son droit d’usufruit.
    En dehors du cas d’extinction pour non-usage pendant trente ans ou « par la perte totale de la chose sur laquelle l’usufruit est établi » (C.civ.art. 617), il peut être déchu de son droit pour abus de jouissance parce qu’il n’a pas obéi à son obligation de conservation de la substance du bien en le détériorant, en le laissant dépérir, voire en le détruisant (C.civ.art. 618).
  • Il peut subir la demande de conversion de son usufruit en rente viagère par le nu-propriétaire, ce qui conduit l’usufruitier à perdre notamment les droits d’usage, d’habitation et de jouissance si la conversion porte sur l’usufruit d’un bien immeuble.

Nous constatons que l’usufruitier, au contraire du plein propriétaire, ne peut disposer du bien librement et doit rendre des comptes au nu-propriétaire à tous les moments de la vie de son droit d’usufruit.
La succession peut donc déboucher sur un démembrement du droit de propriété qui empêche l’usufruitier comme le ou les nus-propriétaires de disposer des pouvoirs exclusifs propres au droit de propriété sur les biens démembrés entre eux.

Enfin, dans les situations de démembrement de propriété à l’international, les droits du conjoint survivant et donc sa protection peuvent être différents qu’en France. 

 

L’indivision

Si le conjoint opte pour le quart en pleine propriété, il peut se retrouver en situation d’indivision sur certains biens qui sont alors détenus par lui-même et aussi par les héritiers, au prorata de leurs droits.Les règles de gestion de l’indivision ont été modifiées par la loi du 23 juin 2006.
Si l’unanimité reste requise pour les actes de disposition (C.civ.art. 815-3, al.4) le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent accomplir les actes d’administration.
En revanche, tout indivisaire peut, à sa discrétion, demander le partage amiable des droits indivis (C.civ.art. 815),voire provoquer le partage par voie judiciaire (C.civ. Art. 1686), ce qui révèle la grande précarité de cette situation juridique.

En présence d’enfants et dès lors que la succession tombe sous le coup de la loi, le conjoint survivant n’a aucune chance de se voir attribuer la pleine propriété sur la totalité des biens et doit accepter le principe et le risque que les droits attachés à la propriété soient partagés, qu’il soit attributaire de la quotité disponible du quart en pleine propriété ou de l’usufruit, avec toutes les conséquences pécuniaires et fiscales que ce partage implique, et que la plupart du temps, il subit inexorablement.

nécessité de recourir à un conseil

L’espérance de vie moyenne (homme-femme) est passée de 1900 à 2019, de 48 ans à 82 ans et nous avons gagné 50 ans d’espérance de vie depuis l’époque napoléonienne.
Si la transmission du patrimoine à la famille (au détriment du conjoint survivant) était l’objectif successoral primordial au début du 19ème siècle, c’est souvent désormais le patrimoine qui doit être mis au service de la protection du survivant des époux.
Nous venons de constater pourquoi et comment certains des droits du conjoint survivant peuvent être amoindris, pire, comment il peut en être dépossédé.

Il est alors souvent pratiqué une donation entre époux ou donation au dernier vivant, pour accroître les droits du conjoint. Mais cette donation n’assure pas dans tous les cas une protection suffisante.

la donation au dernier vivant, souvent insuffisante

Deux idées reçues, et couramment répandues, voudraient que, grâce à l’exonération des droits de succession au profit du conjoint (CGI, art. 796-0 bis); loi TEPA 21 août 2007) et grâce à une donation au dernier vivant réciproque, le conjoint survivant bénéficierait d’un véritable protection civile et fiscale.

Mais attention :

  • Un avantage fiscal ne doit jamais être vu comme une incitation à ne plus se pencher sur l’aspect économique des règles matrimoniales et patrimoniales qui s’appliquent pendant et après le mariage. A quoi sert-il d’être exonéré d’impôt sur des droits réduits ou partagés ?
  • Une donation au dernier vivant (C.civ. art. 1094-1), pour autant qu’elle puisse conférer plus de droits au conjoint survivant, ne permet pas de « tout donner » au conjoint dès lors que des descendants sont en concurrence grâce à leur intangible réserve héréditaire.

Savoir utiliser la liberté contractuelle dont disposent les conjoints

Article 1387 du code civil

« La loi ne régit l’association conjugale, quant aux biens, qu’à défaut de conventions spéciales, que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos… ».

A l’heure où l’allongement de la durée de vie a pour effet un nombre croissant de personnes dépendantes (1,4 millions en 2020, 2 millions à l’horizon 2040), l’indépendance économique du conjoint survivant et son autonomie de vie sont des sujets cruciaux.

Il devient alors indispensable pour les époux d’anticiper leur succession et d’améliorer non seulement les droits légaux du conjoint mais également la classique donation au dernier vivant en recourant aux dispositions contractuelles dont ils peuvent disposer.

Cette liberté contractuelle signifie que le couple peut choisir avant ou pendant le mariage :

  • le régime matrimonial « sur mesure » qui correspond à ses objectifs de vie commune
  • les clauses à effet posthume tels que les avantages matrimoniaux qui assureront la protection économique la mieux adaptée au survivant d’entre eux

En savoir plus : avocats.fr « Avantage matrimonial »

Même si personne n’est censé ignorer la loi, que peut faire d’une telle liberté contractuelle la personne qui n’en a pas connaissance ?
C’est ici que la consultation d’un conseil en gestion de patrimoine est indispensable pour s’informer et adapter son patrimoine à la réalisation de ses objectifs de vie.

Auteur

Jean-Guy Pécresse

Intervenant formateur pour le CESB CGP – Conseiller en gestion de patrimoine

Le quasi-usufruit : un démembrement de propriété atypique

Le quasi-usufruit : un démembrement de propriété atypique

Temps de lecture estimé : 13 min

Usufruit, nue-propriété, ces termes deviennent communs aujourd’hui car souvent rencontrés dans des opérations patrimoniales courantes. Le démembrement d’un bien, c’est-à-dire sa détention en usufruit d’une part et en nue-propriété d’autre part, est une pratique maintenant répandue, qu’elle soit subie lors d’une transmission successorale par exemple ou qu’elle soit anticipée lors d’une donation.

Une autre technique de démembrement de propriété, le quasi-usufruit, reste mal connue et surtout moins utilisée dans les stratégies d’organisation patrimoniale. Le quasi-usufruit confère des droits apparemment très étendus à son détenteur.

Quasi-usufruit ou quasi-propriété ? Point sur cette technique de démembrement spécifique.

qu’est-ce que le quasi-usufruit ?

la notion de propriété

« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. » (C.civ. Art. 544)

Le droit de propriété, droit réel le plus complet, est l’addition de :

  • L’usus : le droit d’user d’un bien
  • Le fructus : le droit d’en percevoir les fruits
  • L’abusus : le droit d’en disposer

L’ensemble de ces droits sont des droits réels.

Droit réel : un droit réel est un droit qui porte directement sur la chose à la différence d’un droit personnel attaché à la personne qui oblige une autre personne à exécuter une prestation (droit de créance).

le démembrement de la propriété : usufruit et nue-propriété

L’usufruit est une partie du droit de propriété, il est l’addition des deux droits d’usage et de jouissance : « L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. » (C.civ. art.578).

Ce droit autorise donc l’usufruitier à :

  • User de la chose (droit d’usage) : utiliser un outil, des meubles, habiter un logement…
  • Jouir de la chose (droit de jouissance) : percevoir les loyers, toucher les dividendes d’actions, les intérêts d’obligations

En contrepartie, l’usufruitier a l’obligation de conserver la substance de la chose.

Il ne peut donc ni la vendre, ni la détruire, ni la donner, ni en modifier la destination (transformer un local commercial en local d’habitation), il a l’obligation de conformer ses droits à l’usage qu’en faisait l’ancien propriétaire.

Usufruit = Usus (droit d’user) + Fructus (droit de percevoir les fruits)

Le troisième droit, celui de disposer, appelé nue-propriété, est un droit distinct et indépendant de l’usufruit.

Paradoxalement, ce droit n’autorise pas le nu-propriétaire à disposer de la pleine propriété du bien. Il disposera du bien à l’extinction de l’usufruit, c’est-à-dire soit au terme de la durée pour laquelle l’usufruit était prévu s’il s’agit d’un usufruit temporaire, soit au décès de l’usufruitier s’il s’agit d’un usufruit viager.

Nue-propriété = Abusus (droit de disposer à l’extinction de l’usufruit).

Possibilité de disposer de chacun des droits d’usufruit et de nue-propriété

L’usufruit et la nue-propriété sont des droits réels.

Si, ni l’usufruitier, ni le propriétaire n’a vocation à disposer de la pleine propriété, sauf accord commun, pour autant l’usufruitier comme le nu-propriétaire peuvent aliéner leur droit propre (C.civ. art. 595).

La durée de l’usufruit en cas de cession du droit est limitée à la durée de vie du cédant et non du cessionnaire.

En savoir plus : notaires.frComprendre l’usufruit

le quasi-usufruit

Un usufruit sur des biens meubles consomptibles 

A l’usufruit classique, succède dans le Code civil à l’article 587 la définition du quasi-usufruit : « Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution. » (C.civ. art. 587)

Le quasi-usufruit, tel qu’il est défini par la loi, a donc pour particularité de s’appliquer spécifiquement sur des biens que l’on ne peut pas utiliser sans les consommer. Ces biens sont dit consomptibles.

La consomptibilité est la qualité des choses dont on ne peut faire usage sans les détruire (denrées alimentaires) ou sans les aliéner (espèces monétaires).

N.B : Nous verrons plus loin que la pratique du droit a étendu l’application de l’usufruit à certains biens meubles non consomptibles dans le cadre d’un quasi-usufruit conventionnel.

Il faut noter également que la pratique du quasi-usufruit n’est pas la même à l’international et que d’autres pays l’appliquent différemment. 

Valeur du quasi-usufruit

La valeur fiscale du quasi-usufruit, utilisée pour les calculs de droits de mutation à titre gratuit, est la même que celle de l’usufruit : barème selon l’âge de l’usufruitier dans le cas d’un usufruit viager (CGI art. 669) ou 23 % de la valeur en pleine propriété par période de 10 ans dans le cas d’un usufruit temporaire (CGI art. 669.II).

La valeur économique de l’usufruit est égale à la différence entre la valeur en pleine propriété du bien et la valeur actualisée de la créance de restitution sur l’espérance de vie de l’usufruitier. La difficulté de cette évaluation réside dans la fixation du taux d’actualisation.

Dès lors que le bien se détruit ou est aliéné lors de son utilisation, le quasi-usufruitier ne peut en conserver la substance. En utilisant le bien, il se comporte comme un plein propriétaire.

Peut-il pour autant disposer du bien de la même manière qu’un propriétaire ?

La réponse est négative. La conservation de la substance est nécessaire dans le démembrement classique comme nous l’avons vu pour préserver le droit de propriété future (abusus) du nu-propriétaire.

Il en est de même pour le quasi-usufruit : pour reconnaître et maintenir le droit du nu-propriétaire, il est nécessaire de constater en sa faveur une créance sur le quasi-usufruitier.

La créance de restitution 

Le quasi-usufruitier a donc une obligation de restitution : comme le dicte l’article 587 du Code civil, l’usufruitier a l’obligation de restituer ce qu’il a consommé ou aliéné à la fin de l’usufruit, cette restitution pouvant prendre la forme d’une restitution en nature ou en valeur au profit du nu-propriétaire qui bénéficiera donc d’un droit de créance sur la succession de l’usufruitier appelé créance de restitution.

En cas de restitution en valeur, le code civil indique qu’il s’agit de la valeur estimée du bien, c’est-à-dire la valeur qu’aura le bien, à la date de la restitution.

Cette méthode de valorisation appelle un commentaire particulier en ce qui concerne la monnaie ou une somme d’argent comparativement aux autres biens consomptibles.

Si le quasi-usufruit porte sur une somme d’argent, il est possible de restituer cette somme par la même monnaie et le même montant. La restitution a alors lieu en nature. De facto, la somme existante à la naissance du quasi-usufruit est la même que celle lors de la restitution de la créance au nu-propriétaire. C’est le principe du nominalisme monétaire.

Ceci n’empêche pas bien sûr que la monnaie ait pu prendre ou perdre de la valeur dans le temps.

Exemples

  • Usufruit portant sur une somme d’argent : un quasi-usufruit viager portant sur un capital de 200.000€ prend effet en janvier 2001, au décès de l’usufruitier en mars 2020, la restitution en nature (même quantité de choses) sera de 200.000€. C’est le principe du nominalisme monétaire : le débiteur d’une somme d’argent doit toujours la même somme sans revalorisation (C.civ. art. 1895).

NB : A la naissance du droit de quasi-usufruit et par une convention, il peut être prévu une clause d’indexation comme nous le verrons ultérieurement.

  • Usufruit portant sur une denrée : un usufruit portant sur une tonne de safran. La restitution peut se faire :

    • en nature, le nu-propriétaire reçoit une tonne de safran.
    • ou en valeur, le nu-propriétaire reçoit une somme d’argent correspondant au cours du safran au jour de la restitution.

Les droits du quasi-usufruitier sont donc limités par la créance de restitution. Néanmoins, cette créance ne devra être remboursée au nu-propriétaire qu’au terme de l’usufruit (terme de la durée fixée en cas d’usufruit temporaire, ou au décès de l’usufruitier).

Dans le cas le plus fréquent du quasi-usufruit viager, si le patrimoine du quasi-usufruitier à son décès est insuffisant pour rembourser la créance de restitution, le nu-propriétaire est alors floué.

La loi ne prévoit pas de garantir le paiement de la créance. Dès lors, si rien n’est prévu lors de la mise en place du quasi-usufruit, la protection du nu-propriétaire reste relative et dépendante de la bonne gestion du patrimoine du quasi-usufruitier.

La protection du droit du nu-propriétaire

Les moyens prévus par la loi pour protéger les droits du nu-propriétaire dans le cadre de l’usufruit classique peuvent être alors utilisés dans le cas du quasi-usufruit :

  • Obligation de dresser inventaire (C.civ. art. 600)
  • Obligation de fournir caution (C.civ. art. 601)
  • Obligation de faire emploi des sommes (C.civ. art 602, 603) : si une caution n’a pu être fournie, le nu-propriétaire pourra exiger qu’il soit fait emploi des sommes sur un bien dont l’usufruitier n’aura que les revenus, le faisant entrer dans un usufruit classique et le privant ainsi de son quasi-usufruit.

Ces obligations protectrices pour le nu-propriétaire ont néanmoins leur limite : elles ne sont pas d’ordre public et le quasi-usufruitier peut en être dispensé dans l’acte constitutif de quasi-usufruit.

Exceptions

  • Lorsque le quasi-usufruit nait des droits successoraux du conjoint survivant, les enfants nus-propriétaires peuvent exiger l’inventaire, l’emploi des sommes ou encore le dépôt des titres au porteur ou leur conversion au nominatif (C. civ art. 1094-3). Cette faculté qu’ont les enfants est d’ordre public et les enfants ne peuvent pas en être privés.
  • La faculté de demander la conversion de l’usufruit en rente viagère (C.civ. art.759) dans le cadre d’un quasi-usufruit légal, ou provenant d’une succession, ou d’une donation de bien à venir. Cette conversion peut être demandée par le quasi-usufruitier ou par le nu-propriétaire qui le souhaiterait. Il est impossible d’y renoncer à l’avance ou d’en priver les héritiers (sauf pour les meubles meublants de la résidence principale, l’usufruitier doit en être d’accord).

Le nu-propriétaire peut aussi agir en justice pour demander la déchéance de l’usufruit (C.civ art. 618) ou l’obligation de fournir caution ou d’employer les capitaux. Mais il s’engage dans ce cas dans une procédure longue et conflictuelle.

En savoir plus : paris.notaires.fr Récupérer les biens détenus par l’usufruitier

La déduction successorale de la créance de restitution 

La créance de restitution naît au jour du décès du quasi-usufruitier et est à ce titre un passif de la masse successorale. Est-elle pour autant fiscalement déductible pour le calcul des droits de succession ?

La doctrine fiscale considère tout d’abord que la créance de restitution est dans tous les cas déductible si elle provient d’un quasi-usufruit légal.

S’il s’agit d’un quasi-usufruit conventionnel (voir infra), il faut alors se référer à l’article 773-2° du Code général des impôts. Cet article limite la déductibilité de la créance de restitution dans le cas où le nu-propriétaire est un héritier de l’usufruitier (ou personne interposée) : dans cette situation, la créance de restitution n’est pas déductible fiscalement sauf si elle a été consentie par un acte authentique ou un acte sous-seing privé ayant date certaine avant l’ouverture de la succession.

D’où l’importance d’établir une convention de quasi-usufruit (voir infra) permettant de donner une date certaine à la créance de restitution, autorisant ainsi sa déduction.

En synthèse

Le quasi-usufruitier dispose de droits plus étendus que l’usufruitier classique

  • Pendant la durée de l’usufruit, ses droits réunissent l’usus (le droit d’utiliser), le fructus (le droit de percevoir les fruits) mais aussi le droit de consommer le bien, cette consommation provenant de la nature consomptible du bien sujet à quasi-usufruit. S’il ne détient pas formellement le droit de propriété (l’abusus), ses droits ressemblent fort à ceux du propriétaire pendant la durée de l’usufruit. Certains auteurs le qualifie même de « quasi-propriété » (P.Sirinelli, Les petites affiches, juillet 93, n° 87).
  • La créance de restitution qu’il doit au nu-propriétaire ne sera à payer qu’au terme de l’usufruit et elle n’est pas nécessairement garantie si rien n’est prévu par les parties.

Le quasi-usufruitier n’est pas pour autant un droit de propriété 

Pour autant qu’il puisse s’apparenter dans ses attributs au droit de propriété pendant la durée du démembrement, le quasi-usufruit n’en est pas moins très différent :

Pleine propriétéQuasi-usufruit
Nature du bienTout type de bien, immobilier et mobilierBien meubles consomptibles uniquement pour le quasi-usufruit légal (C.civ. art. 587)

Extension possible à certains biens non consomptibles (valeurs mobilières par exemple) pour le quasi-usufruit conventionnel (voir infra).
DuréePerpétuelle (dans la limite de la durée d’existence du bien)
Ne s’éteint pas par le non-usage
Transmissible
Temporaire :
Durée fixe de l’usufruit temporaire ou
Durée viagère jusqu’au décès de l’usufruitier
(C.civ. art. 617)
Obligation de restitutionAucuneCréance de restitution en faveur du nu-propriétaire, en nature, ou en valeur à la date de la restitution (C.civ. art. 587)

deux types de quasi-usufruit : légal ou conventionnel

« L‘usufruit est établi par la loi, ou par la volonté de l’homme » (C.civ. art.579).

Il en est de même pour le quasi-usufruit qui peut procéder :

  • d’un démembrement de propriété  déterminé par des circonstances extérieures et par l’application de la loi (la succession en est le parfait exemple) : il est alors qualifié de quasi-usufruit légal ou de droit.
  • d’une volonté des parties de créer et d’appliquer un quasi-usufruit : on parle alors de quasi-usufruit conventionnel.

le quasi-usufruit légal

Le quasi-usufruit s’impose le plus souvent aux parties par un événement ou une cause extérieure indépendants de la volonté de l’usufruitier et du nu-propriétaire et provient alors de l’application de la loi.

  • Dévolution légale en présence d’un conjoint survivant usufruitier et d’un enfant commun :
     En vertu de l’article 757 du Code civil, le survivant des époux peut disposer du droit en usufruit sur la masse successorale du conjoint défunt (en présence d’enfants communs).

    Si l’actif successoral contient des biens consomptibles, il exercera alors un quasi-usufruit sur ces biens.

    Ainsi en est-il bien sûr des créances exigibles des banques composant la succession du défunt : comptes de dépôt à vue, livrets d’épargne, épargne logement, dont le survivant des époux pourra disposer librement avec l’obligation de restituer aux nus-propriétaires des sommes équivalentes à son décès.

  • La jouissance légale des parents sur les biens de leurs enfants mineurs (C.civ. art 386-1 SS)
    Les parents ont un droit de quasi-usufruit sur les actifs consomptibles de leurs enfants.

Exceptions : les biens que l’enfant peut acquérir par son travail, les biens qui ont été donnés à l’enfant mineur sous condition que les parents n’en disposent pas et les biens que l’enfant reçoit pour indemnisation d’un préjudice extrapatrimonial (C.civ. art. 386-4). Ces biens ne sont pas soumis à la jouissance légale des parents et ne peuvent donc pas faire l’objet d’un quasi-usufruit lorsqu’ils sont consomptibles.

Ce droit de jouissance cesse lorsque l’enfant atteint l’âge de 16 ans, lorsque l’autorité parentale prend fin ou pour les même causes qu’une extinction d’usufruit (C.civ. art. 386-2).

Ainsi, les parents, titulaires d’un quasi-usufruit temporaire sur les actifs consomptibles de leurs enfants seront redevables, à une date certaine, d’une dette de restitution.

le quasi-usufruit conventionnel

Le quasi-usufruit peut aussi naître de la volonté des parties. Il s’agit alors d’un quasi-usufruit conventionnel.

L’usufruitier et le nu-propriétaire peuvent ainsi prévoir par convention :

  • Un quasi-usufruit sur des biens consomptibles alors même que la loi ne le prévoirait pas.

  • Mais également un quasi-usufruit sur un bien meuble non consomptible.

    La pratique du droit a en effet étendu le quasi-usufruit conventionnel à certains biens non consomptibles (Ch. Req 30 mars 1926 D.H 1927).

    On peut penser par exemple à un véhicule qui serait existant dans la masse successorale. Il s’agit d’un bien meuble mais qui ne disparaît pas (heureusement) à l’usage, donc d’un bien meuble non consomptible.

    Le quasi-usufruit sur ce type de bien permet à l’usufruitier d’en disposer de manière plus libre que dans le cadre de l’usufruit classique (puisqu’il ne dépend pas de l’accord du nu-propriétaire pour les décisions sur ce bien), à charge d’en restituer la valeur sous forme de créance de restitution à son décès.

    La question d’un quasi-usufruit sur des valeurs mobilières s’est également posée (M Grimaldi et JF Roux – La donation de valeurs mobilières avec réserve de quasi-usufruit – Défrénois 1994) et elle est acceptée par certains praticiens.

Le quasi-usufruit conventionnel peut alors provenir :

  • D’une libéralité entre époux

    Que ce soit par un legs ou par une donation au dernier vivant (C.civ. art. 1094-1), les époux peuvent se transmettre l’usufruit universel.

    Ces libéralités entre époux présentent des avantages prépondérants au regard de la dévolution légale.

    La donation ou le legs peut prévoir l’étendue, les modalités d’exercice du quasi-usufruit ainsi que la dispense de certaines garanties (fournir caution, faire emploi) accordée au conjoint survivant.

    Ces dispositions entre époux sont d’autant plus importantes dans les familles dites recomposées. La présence d’un enfant d’un premier lit limite en effet les droits légaux du conjoint survivant au quart de la masse successorale en pleine propriété (C.civ art. 757).

  • D’un avantage matrimonial

    La clause de préciput (C.civ. art. 1515), autorise le survivant des époux à prélever sur la communauté, et avant tout partage, «soit une certaine somme, soit certains biens en nature, soit une certaine quantité d’une espèce déterminée de biens. », en pleine propriété comme en usufruit.

    Si ce prélèvement en usufruit est effectué par le conjoint sur des actifs monétaires, il pourra donc disposer du quasi-usufruit sur ces actifs, créant de facto une dette de restitution de l’époux et une créance de restitution au profit des héritiers qui pourront la porter au passif de la succession du survivant des parents.

    Il n’eut pas été possible de créer cette dette de restitution si le survivant des époux avait opté pour un prélèvement en plein propriété.

En savoir plus : avocats.fr > Avantage matrimonial

  • De la cession d’un bien immobilier démembré lorsqu’il est prévu à l’acte un quasi-usufruit sur le prix de vente.

  • Du démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie 
    Lors de la souscription d’un contrat d’assurance vie, il peut être stipulé dans la clause bénéficiaire que les capitaux reviennent pour l’usufruit au conjoint survivant et en nue-propriété aux enfants.

    Ici encore, la créance du nu-propriétaire contre l’usufruitier sera déductible de l’actif successoral constituant ainsi un passif de succession qui n’aurait pas existé si la clause bénéficiaire du contrat avait prévu le bénéfice en pleine propriété (Memento Patrimoine, éd. Francis Lefebvre, 2019, n° 28449).

    Il faudra néanmoins prendre soin de constater la créance de restitution dans un acte sous-seing privé, ou un acte authentique ayant date certaine, avant la succession comme nous l’avons vu précédemment.

    Il est nécessaire, et conseillé pour cela, d’établir une convention de quasi-usufruit et de dûment l’enregistrer

la convention de quasi-usufruit

Il est ainsi vivement recommandé d’établir une convention de quasi-usufruit permettant :

  • De déterminer les biens soumis à quasi-usufruit
  • De définir la valeur de la créance de restitution et son éventuelle indexation
  • De définir clairement le paiement des impositions sur les revenus et les plus-values de cession : revenus et plus-values sont imposables au nom du quasi-usufruitier (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60 N° 100) sauf convention contraire.
  • De déterminer les obligations éventuelles du quasi-usufruitier (inventaire, emploi, caution mais aussi éventuellement rapport régulier de gestion et de valorisation …).

Dans tous les cas, et en amont de toute réflexion et de la mise en place du quasi-usufruit conventionnel, il sera nécessaire d’éprouver les objectifs patrimoniaux recherchés au regard des risques d’abus de droit (LPF art. L64) et depuis le 1er janvier 2020 de la procédure dite de mini-abus de droit (LPF art. L.64 A).

Il faut en effet garder en mémoire que la convention de quasi-usufruit permet à l’usufruitier de conserver la libre disposition du bien sa vie durant. Si l’existence et l’exigence de créance de restitution n’étaient pas reconnues, l’intention libérale préexistante au démembrement de propriété pourrait être remise en cause.

 

 

Le quasi-usufruit est un démembrement atypique. Du quasi-usufruit légal au quasi-usufruit conventionnel, il permet d’optimiser la détention et la transmission des biens meubles et donc plus particulièrement des patrimoines monétaire et financier.

Pratiquée à bon escient et bien encadrée, cette technique est un outil patrimonial efficace dans les stratégies patrimoniales. Elle ne peut cependant pas se pratiquer sans l’analyse et l’accompagnement professionnels du conseiller patrimonial.

Bibliographie :

  • J.Aulagnier, usufruit et nue-propriété dans la gestion de patrimoine, Ed. Maxima, 1998

  • F. Eliard, le quasi-usufruit, son utilisation à des fins patrimoniales et fiscales, Litec, 1997

  • B. Lotti, Le droit de disposer du bien d’autrui pour son propre compte, thèse, UNIVERSITÉ PARIS-SUD (PARIS XI), FACULTÉ JEAN MONNET à SCEAUX, 1999

Auteurs
Anne Brouard et Jean-Guy Pécresse

Intervenants formateurs pour le CESB CGP, diplôme RNCP Niveau 7, spécialisé en gestion de patrimoine.

La donation-partage transgénérationnelle réincorporative : points d’attention et sécurisation

La donation-partage transgénérationnelle réincorporative : points d’attention et sécurisation

Temps de lecture estimé : 12 min

Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

La donation-partage transgénérationnelle, sous sa forme réincorporative, est un puissant outil de transmission qu’il faut savoir pratiquer prudemment. Explications !

 

L’augmentation de l’espérance de vie a pour conséquence la concentration prolongée du patrimoine familial entre les mains de générations qui n’auraient pas nécessairement besoin de la globalité pour financer leur train de vie.

Par ailleurs, les Français héritent de plus en plus tard, à une période où ils ont déjà constitué leur propre patrimoine. Quant aux générations montantes, qui auraient besoin d’un apport pour acquérir de l’immobilier, d’habitation, de jouissance ou de rapport ou encore fonder une entreprise, elles n’héritent pas avant d’avoir atteint l’âge de la retraite. L’héritage s’avère alors source de complications (biens à mettre en vente ou à gérer, fiscalité attachée à supporter, indivision familiale à gérer …).

Un mécanisme civil existe pourtant pour permettre la transmission du patrimoine familial des grands-parents vers les petits-enfants, tout en protégeant la génération intermédiaire : la donation-partage transgénérationnelle.

L’une des déclinaisons de cet outil, la donation-partage transgénérationnelle réincorporative, présente un intérêt encore plus significatif, en particulier en raison de son régime fiscal.

 

Principe de la donation-partage transgénérationnelle réincorporative (DPTR) :

Il s’agit ici pour des enfants (génération 2/G2) qui ont déjà reçu des biens de leurs parents (génération 1/G1) de remettre ces biens au « pot commun » pour les voir immédiatement réattribués à leurs propres enfants (génération 3/G3), suivant un régime fiscal de faveur. En effet :

  • si la donation initiale consentie par G1 à G2 a plus de 15 ans, seul le droit de partage (actuellement égal à 2,5%) sera dû sur la valeur des biens repartagés (la valeur retenue étant alors celle du jour de la réincorporation et non celle de la donation initiale).
  • si la donation initiale a plus de 15 ans, les droits de donation ne seront pas dus.

Cette opération implique évidemment la présence et l’accord de toutes les générations concernées.

Ce mécanisme de saut de génération original s’inscrit dans le cadre protecteur des dispositions civiles bien connues s’appliquant à la donation-partage :

Au décès de la génération G1, la donation n’étant pas soumise au rapport, elle n’aura pas à être réintégrée fictivement au patrimoine successoral pour calculer les droits des héritiers. Le risque de réduction de la libéralité sera en outre réduit pour deux raisons :

  • Les biens recueillis par donation-partage sont évalués au jour où celle-ci a été consentie (article 1078-8, alinéa 3 du Code civil), peu importe donc les fluctuations économiques postérieures. Cette règle trouve à s’appliquer si les deux conditions suivantes sont remplies : les enfants (G2) doivent avoir donné leur accord à l’acte (même s’ils ne reçoivent rien dans la donation-partage) et il ne doit pas être constitué de réserve d’usufruit sur une somme d’argent.
  • La donation-partage s’imputera prioritairement sur la part réservataire de la souche concernée (article 1078-8, alinéa 1 du Code civil ) et subsidiairement sur la quotité disponible, ce qui présente le double avantage d’affranchir la quotité disponible et de retarder le déclenchement de la réduction.

Au décès de chacun des membres de la G2, les biens reçus par ses enfants aux termes de la donation-partage transgénérationnelle seront fictivement traités comme s’ils les tenaient de son auteur et non du donateur (article 1078-9 du Code civil ) en vertu d’une donation-partage ou d’une donation simple, selon que les conditions de la première (acceptation par tous les descendants de la G2 de leur lot, absence de réserve d’usufruit sur une somme d’argent, absence de survenance d’un nouveau petit-enfant…) soient ou non remplies.

La fiscalité (article 776 A du Code général des impôts (CGI) ) de la DPTR peut être résumée comme suit :

 

Ce mécanisme est très vertueux familialement, économiquement et fiscalement. Il présente cependant plusieurs aspérités qu’il convient de garder à l’esprit.

 

SOMMAIRE

  • Réincorporation partielle d’une donation-partage transgénérationnelle : validité civile
  • Réincorporation de titre reçus par augmentation de capital réalisées par incorporation de réserves
  • Donation-partage transgénérationnelle et impact de la réincorporation sur l’impôt de plus-value
  • Le traitement de l’usufruit successif viager dans la donation-partage transgénérationnel réincorporative
  • Donation-partage transgénérationnelle réincorporative et changement de souche
  • Impact de la naissance d’un nouveau petit-enfant dans la donation-partage transgénérationnelle réincorporative
  • Donation-partage transgénérationnelle réincorporative et traitement de la minorité

Réincorporation partielle d’une donation-partage transgénérationnelle : validité civile

 

Si les auteurs s’accordent à considérer qu’aucune disposition du Code civil ne s’oppose à la réincorporation partielle d’une donation-partage antérieure, cette opération soulève des difficultés en termes d’évaluation des biens.

L’incorporation partielle semble tout d’abord difficile à concilier avec la règle de l’unité de l’évaluation découlant de l’article 1078-1 alinéa 2 du Code civil. Selon cette règle d’ordre public, tous les biens compris dans une donation-partage (biens nouvellement donnés ou réincorporés) doivent être évalués à une date unique pour les besoins de la réserve héréditaire. Les donations incorporées à un nouvel acte prennent ainsi date au jour de la réincorporation (et non au jour de la donation initiale).

En outre, la question de la date d’évaluation à retenir pour les biens non incorporés à la donation se pose.

La doctrine est divisée sur la validité et l’efficacité de l’incorporation partielle d’une donation-partage :

  • Selon certains auteurs, la réincorporation ne pourrait qu’être totale, la donation-partage d’origine étant indivisible.
  • Selon d’autres auteurs, une réincorporation partielle ne poserait aucune difficulté au motif que la donation-partage est un « faisceau d’accords bilatéraux » plutôt qu’un partage d’ascendant. Certes une réincorporation partielle (ayant pour effet la résolution de la donation incorporée) pourrait faire perdre les qualités attachées à la première donation-partage… Toutefois, lorsque l’attribution intervient au sein de la même souche, l’économie de l’acte initial ne s’en trouve pas modifiée et ses vertus sont maintenues.
  • Enfin, un courant doctrinal médian et plus prudent considère que la réincorporation partielle est licite à condition de réunir plusieurs conditions :
    • Consentement de tous les donataires-copartagés initiaux (même ceux non réallotis),
    • Report conventionnel de la date d’évaluation des biens à la date de la donation-partage d’origine, conformément au principe de l’unité de l’évaluation,
    • Absence de biens nouvellement donnés.

    Cette position médiane correspond à la pratique dominante.

Réincorporation de titre reçus par augmentation de capital réalisées par incorporation de réserves

 

Nous nous situons dans le contexte suivant :  G2 a reçu par donation des titres de sociétés il y a plus de 15 ans. Postérieurement à la donation, différentes augmentations de capital sont réalisées par incorporation de réserves.

Est-il possible de réincorporer des titres reçus aux termes des augmentations de capital susvisées à proportion des titres reçus il y a plus de 15 ans ?

Une telle réincorporation a été envisagée par la doctrine sur le fondement :

  • de la théorie selon laquelle « l’accessoire suit le principal « 
  • et à la lumière de la position de la Cour de cassation ayant considéré que les sommes mises en réserve appartiennent au nu-propriétaire : ces réserves accroissent en effet l’actif social et sont assimilables à des produits (leur prélèvement altérant la substance des droits sociaux en diminuant l’actif social).

Si la doctrine et la jurisprudence n’ont pas expressément confirmé la possibilité de réaliser une telle opération, il pourrait toutefois être argué du fait que l’action nouvelle est une composante de l’action ancienne qui recelait en germe les réserves incorporées par la suite au capital.

Dès lors que les réserves faisaient déjà partie de l’actif social et que le droit de l’associé n’a pas été modifié, seule sa représentation est différente.

En pratique, il conviendra naturellement d’être en mesure de démontrer la traçabilité desdites actions.

 

Donation-partage transgénérationnelle et impact de la réincorporation sur l’impôt de plus-value

 

La question se pose ici de l’impact de la réincorporation sur l’impôt de plus-value exigible en cas de cession ultérieure des biens ainsi réincorporés.

Plus précisément, il convient de déterminer quelle serait, en cas de vente ultérieure des titres par la G3, la valeur à retenir pour l’entrée des biens dans leur patrimoine : s’agirait-il de la valeur des biens retenue dans la donation initiale ou de la valeur retenue dans la donation-partage transgénérationnelle réincorporative ?

A notre connaissance, ni la jurisprudence, ni l’Administration fiscale ne se sont officiellement prononcées sur les conséquences de l’incorporation d’une donation antérieure en matière de plus-value, qu’il s’agisse d’une plus-value mobilière ou immobilière.

L’article 150-0 D, alinéa 1 du CGI, dispose que la valeur d’acquisition est la « valeur retenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit ».

Si la donation initiale date de plus de quinze ans, la réincorporation est soumise au seul droit de partage et non aux droits de mutation à titre gratuit.  Or, le droit de partage n’est pas un droit de mutation à titre gratuit. Stricto sensu, l’acte pourrait donc être considéré comme déclaratif et non pas translatif de propriété. Si cette analyse était retenue, le prix d’acquisition des titres par la G3 serait la valeur retenue dans la donation initiale de plus de 15 ans.

Il convient cependant de souligner que l’acte considéré n’est pas simplement un partage d’un point de vue civil : Il s’agit bien d’une donation-partage. Nous sommes donc bien face à un acte hybride dont le régime l’est tout autant.

En pratique, face à l’absence de positions administrative et jurisprudentielle, l’incertitude demeure.

 

Le traitement de l’usufruit successif viager dans la donation-partage transgénérationnel réincorporative

 

Envisager une donation-partage transgénérationnelle réincorporative implique de s’interroger sur la protection conférée à chaque génération.

La génération G1 souhaitera parfois conserver l’usufruit viager qu’elle s’était peut-être réservé à l’époque. La G3 a intérêt à voir le coût de transmission patrimoine familial se limiter au maximum. La G2 souhaitera peut-être conserver son droit aux revenus à terme en se réservant l’usufruit successif viager du patrimoine pour en profiter au décès de la G1.

Si cette dernière précaution est possible et utile, elle n’est pas sans entraîner des conséquences de nature fiscale.

Pour parvenir au résultat escompté, deux visions s’affrontent :

  • d’une part, il pourrait être soutenu que l’usufruit successif de G2 existe par suite d’une réversion d’usufruit consentie par la G1 au profit de G2 dans la nouvelle donation. Selon cette conception, il y aurait bien un transfert de propriété (une réversion d’usufruit) de G1 à G2.
  • D’autre part, il pourrait être argué que cet usufruit successif viager n’est pas transmis à G2, car il lui est en réalité déjà acquis : il est contenu en germe dans la nue-propriété reçue initialement. La nouvelle donation-partage marquerait donc une réincorporation par la G2 de la donation initiale à elle faite au profit de la G3, avec rétention d’un usufruit successif viager.

Selon la conception adoptée, la conséquence fiscale en sera différente :

  • Si la G2 retient à son profit un usufruit successif viager qui était contenu en germe dans la donation initiale, les droits de mutation à titre gratuit ont d’ores et déjà été acquittés. Aucune imposition complémentaire ne devrait donc être perçue au moment du transfert de l’usufruit au profit de la G2.
  • Si au contraire l’on considère que c’est la G1 qui prévoit la réversion de cet usufruit au bénéfice de la G2 au moment de la réincorporation, cet usufruit pourrait alors être taxé au moment de son ouverture (décès de la G1).

D’un point de vue pratique, les modalités rédactionnelles de la donation-partage seront naturellement déterminantes pour l’analyse (lot contenant la nue-propriété sous l’usufruit viager de la G1 et sous l’usufruit successif viager de la G2 ou bien deux lots différents : l’un de la nue-propriété attribuée à G3, l’autre de l’usufruit successif viager attribué à G2).

L’administration fiscale tend à privilégier une taxation lors de l’ouverture de l’usufruit successif viager. Cette position est néanmoins très largement critiquée par la doctrine, qui la considère comme « contra legem ».

Faute de bénéficier d’une prise de position doctrinale convaincante et claire de l’administration fiscale, la prudence commandera une vigilance toute particulière dans la rédaction de l’acte de donation, notamment en ce qui concerne la formation des lots incorporés, et d’éviter la constitution d’un usufruit successif viager en utilisant les termes de « réserve » ou « réversion », à plus forte raison lorsqu’il s’agirait d’en faire profiter un étranger (comme par exemple un des conjoints de la G2, qui, en cas de taxation, seraient soumis à une fiscalité à 60% en ce qu’ils ne partagent pas de lien de parenté avec la G1).

 

 

Donation-partage transgénérationnelle réincorporative et changement de souche

 

La question est parfois posée, pour un membre de la génération G2 qui n’a pas d’enfant, d’une éventuelle réincorporation des biens reçus de la G1 au bénéfice de ses neveux et nièces (G3).

Si cette réincorporation oblique semble être admise sur le plan civil, elle n’est pas expressément visée par la lettre de l’article 776 A du CGI, lequel prévoit uniquement les réattributions au profit d’un descendant du donataire initial. On peut alors s’interroger sur le régime fiscal d’une telle opération lorsque que la donation incorporée a été consentie il y a plus de 15 ans.

La doctrine majoritaire estime qu’en l’absence de mention spécifique dans l’article 776 A du CGI, une telle réincorporation doit être soumise aux droits de mutation à titre gratuit au tarif entre grands-parents et petits-enfants, conformément à l’article 784 B du CGI.

Certains ont pu souligner que le changement d’attributaire a toujours été soumis au droit de partage à l’occasion de la réincorporation d’une donation-partage ordinaire et regretter dès lors l’absence de justification d’une différence de traitement lorsque cette donation est transgénérationnelle.

Mais dans l’hypothèse d’une réincorporation qui viendrait associer un saut de génération à un changement de souche (réincorporation et attribution à un neveu du donataire initial), l’analogie avec la donation-partage semble fragile. En effet, le principe selon lequel l’incorporation d’une donation-partage n’est pas une libéralité mais un partage ne concerne littéralement que les « héritiers présomptifs » du donateur, au titre desquels les petits-enfants du donateur ne sont pas compris (article 1078-3 du Code civil auquel renvoie l’article 776 A du CGI).

Quoiqu’il en soit, en dépit d’une prise de position claire, l’administration fiscale semble considérer que le bénéfice du droit de partage doit être cantonné aux seules donations-partages transgénérationnelles dont les biens réincorporés sont réattribués aux descendants du donataire (BOI-ENR_DMTG-20-10 n°180).

En matière de transmission d’entreprises, rien n’empêche en revanche de coupler le mécanisme de la donation-partage transgénérationnelle réincorporative avec l’application du bénéfice du dispositif « Dutreil » sur la partie de la transmission soumise aux droits de mutation à titre gratuit. L’opération devra néanmoins être traitée avec minutie.

 

Impact de la naissance d’un nouveau petit-enfant dans la donation-partage transgénérationnelle réincorporative

 

D’un point de vue civil, les biens reçus par les petits-enfants sont fictivement traités dans la succession de leur auteur comme s’ils les tenaient de lui-même. Ainsi, dans l’hypothèse où l’un des petits-enfants n’aurait pas été alloti dans la donation-partage transgénérationnelle réincorporative, car il serait né postérieurement, la donation serait traitée comme une donation simple en vue du rapport et de la réduction. Les biens seraient ainsi réévalués et rapportés à la succession du membre de la génération G2 concerné, afin de rétablir l’égalité entre ses descendants.

De son vivant, la génération G2 pourra rééquilibrer la donation. Elle aura en effet tout loisir de réaliser une nouvelle donation-partage au profit de tous ses enfants (y compris celui qui serait né après la libéralité transgénérationnelle) à laquelle seront réincorporés les biens. Une nouvelle donation-partage transgénérationnelle réincorporative pourra en outre être envisagée par le donateur le cas échéant.

En tout état de cause, la possibilité de la survenance d’un petit-enfant postérieurement à la donation-partage transgénérationnelle réincorporative peut être traitée et ne doit donc pas interrompre la réalisation du projet.

 

Donation-partage transgénérationnelle réincorporative et traitement de la minorité

 

En cas d’enfant mineur de la génération G3, on pourrait penser que l’intervention du juge des Tutelles serait nécessaire.

Il est cependant possible de nommer au sein de la donation-partage un (ou plusieurs) tiers administrateur(s) chargés de gérer et de disposer à titre onéreux (vente, apport en société) des biens au cours de la minorité de la G3. Ainsi, s’agissant de titres de sociétés, le tiers administrateur participera et votera aux assemblées générales.

Est-il possible de cumuler la qualité d’administrateur légal et de tiers administrateur des biens donnés ?

L’article 384 du Code civil pose en principe que tout parent exerçant l’autorité parentale est administrateur légal de son enfant. Toutefois, chaque donateur dispose de la possibilité d’insérer dans l’acte de donation une clause désignant un administrateur tiers évinçant l’administrateur légal de la gestion d’une partie du patrimoine de son enfant et de la jouissance de celle-ci. Les pouvoirs de ce tiers administrateur sont définis dans l’acte de donation, à défaut de précision dans l’acte, il dispose des mêmes pouvoirs que l’administrateur légal.

Si, en renvoyant à la notion de « tiers », le législateur ne pose aucune restriction quant au choix du tiers administrateur, certains auteurs considèrent que ce silence témoigne de sa volonté d’offrir aux donateurs une grande liberté dans la désignation de ce tiers.

Dès lors, selon une conception large, un administrateur légal pourrait se voir désigner tiers administrateur conformément à l’article 384 du Code civil.

 

 

La donation-partage transgénérationnelle réincorporative est un outil apte à répondre à certaines problématiques contemporaines de transmission induites par l’allongement de l’espérance de vie : conservation prolongée d’un patrimoine important au sein de la première génération, héritages de plus en plus tardifs…

Il n’en reste pas moins que ce mécanisme est source de complexités et nécessite une attention particulière dans sa mise en œuvre.

 

Auteur

Cécile Peyroux    

Notaire et intervenant formateur à L’ESBanque pour le CESB EGP

Pierre Montes    et Blandine Saulnier  

Notaires stagiaires

 

Sources :

Donation : pourquoi transmettre son patrimoine de son vivant ?

Donation : pourquoi transmettre son patrimoine de son vivant ?

Temps de lecture estimé : 13 min

Bénéficiant de nouveaux abattements, les donations permettent de conjuguer transmission de patrimoine, aide familiale et optimisation successorale. Explications.

Les donations s’entendent généralement comme une aide aux jeunes générations. Il s’agit de transmettre son patrimoine assez tôt, afin de tenir compte de l’allongement de la durée de la vie qui repousse d’autant la transmission du patrimoine par décès

Les jeunes générations peuvent avoir besoin d’aide financière pour mener à bien leurs investissements. L’impact des donations est également favorable pour l’économie. A la différence de l’assurance-vie, elle permet de transmettre de son vivant. Les bénéficiaires perçoivent immédiatement les biens ou les sommes données.

Les donations sont également un moyen de préparer sa succession et d’en réduire la fiscalité.

comment bien utiliser la donation ?

La donation est l’outil juridique permettant de transmettre de son vivant une partie de son patrimoine (un bien ou un droit) à titre gratuit à une autre personne.

Une donation doit être consentie de manière particulièrement réfléchie car le donateur ne pourra récupérer le bien transmis que dans des cas limitatifs et exceptionnels en pratique (révocation pour inexécution des charges, révocation pour cause d’ingratitude et révocation pour survenance d’enfant pour un donateur non parent).

Article 894 C. civ. : « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui l’accepte ».
Les donations sont à distinguer des présents d’usage qui constituent des cadeaux modestes au regard du patrimoine de celui qui transmet, cadeaux transmis exclusivement lors d’un événement particulier (anniversaire, mariage…). Contrairement aux donations, les présents d’usage ne sont pas pris en compte dans la succession de celui qui fait le cadeau et ne sont pas sujets à fiscalité.

Article 852 alinéa 2 C. civ. : « Le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant »

Les donations sont également à différencier du prêt familial qui est réalisé à titre onéreux et nécessite une restitution ou un remboursement.

On distingue plusieurs types de donation.

les donations simples

Tout acte constituant une donation entre vifs est obligatoirement notarié, sous peine de nullité (article 931 C. civ.).

Les donations sont juridiquement considérées comme des actes « graves » dans la mesure où le donateur transfert à autrui irrévocablement une partie de son patrimoine sans aucune contrepartie (sauf en cas de donation avec charges). Le recours à l’acte authentique permet de garantir le bon consentement et l’acceptation de toutes les parties.

Si la donation porte sur le logement familial du donateur marié, son conjoint doit participer à l’acte et accepter la donation.

L’acte pourra contenir des clauses sur mesure telles qu’une obligation d’emploi des fonds dans l’acquisition d’une résidence principale, ou dans un placement financier particulier, ou contenir une réserve d’usufruit au profit du donateur.

La donation simple est opportune pour aider dans son projet ponctuellement l’un des enfants, ou des petits-enfants ou pour délibérément avantager un enfant en la consentant hors part successorale comme nous allons le voir.

les donations d’argent et dons manuels

Le don manuel, non envisagé par le Code civil et contraire au formalisme imposé par son article 931, a toujours été validé par la jurisprudence et la doctrine.

Le don manuel se caractérise par la remise matérielle (ce qu’on appelle juridiquement « la tradition ») sans contrepartie du bien au donataire. Le don manuel ne peut donc porter que sur des biens qualifiés juridiquement de « meubles » (liquidités, titres, objets).

L’avantage du don manuel est sa simplicité apparente en raison de son absence de formalisme.

Corrélativement, la preuve de l’existence du don manuel est une réelle difficulté. La charge de la preuve incombe en principe à celui qui se prévaut de son existence.

Comment faire une donation d’argent ?

Il est courant de donner une somme d’argent pour aider un proche. Cette donation est un don manuel ne nécessitant donc pas d’acte notarié. Il est néanmoins nécessaire de procéder à sa déclaration fiscale.

En outre, le don manuel doit impérativement être déclaré par le donataire à l’administration fiscale vial’imprimé CERFA n°2735. A défaut, le don manuel pourrait être taxé au titre du rappel fiscal, lors d’une donation notariée postérieure ou lors du décès du donateur. Afin d’optimiser l’utilisation des abattements, il est judicieux de déclarer le don immédiatement.

Le don manuel doit être utilisé en bonne intelligence, afin de ne pas créer de déséquilibre entre les enfants, et d’éviter de futurs contentieux successoraux.

les donations-partages et donations transgénérationnelles

La particularité de la donation-partage est de réaliser un partage anticipé de la succession du donateur en sus de la donation (article 1075 C. civ.

Les donations-partages doivent exclusivement être consentis aux héritiers présomptifs, sous réserve des exceptions limitatives ci-dessous :

Les donations-partages ont un avantage significatif : elles sont dites non rapportables à la succession du donateur et la valeur des biens transmis est figée au jour de la donation-partage. Ainsi les plus-values ou les moins-values réalisées par les donataires ne sont pas prises en compte dans les calculs de partages successoraux, comme nous allons le voir en suivant.

En principe, tous les enfants du donateur doivent intervenir à l’acte de donation-partage et recevoir un lot. Toutefois, il ne s’agit pas d’une condition de validité de l’acte. Ainsi en présence d’une situation familiale conflictuelle, un enfant pourrait refuser d’intervenir à la donation. La donation-partage serait alors valable mais les effets juridiques intéressants de la donation-partage, notamment le gel des valeurs au jour de la donation, seraient inapplicables.

Il convient donc d’obtenir l’intervention de toutes les parties, afin d’assurer la pleine efficacité juridique de l’acte.

En associant tous les enfants dans la réflexion du partage anticipé de la succession future, la donation-partage permet donc une transmission anticipée sereine d’une partie de son patrimoine avec une répartition de biens par enfants.

Les donations avec réserve d’usufruit :

La donation d’un bien avec réserve d’usufruit au profit du donateur permet à celui-ci d’en garder la jouissance (occuper le bien, percevoir les loyers par exemple dans le cas d’un bien immobilier). En contrepartie, il devra en assumer les charges.

L’usufruit réservé par le donateur est valorisé par le Code général des impôts (art.669 CGI) en fonction de l’âge de l’usufruitier au jour de la donation. Cette valorisation dépend de la durée de vie estimée de l’usufruitier : plus l’usufruitier est âgé, moins son usufruit a de la valeur.

Le calcul des droits de donation ne se fera pas sur la valeur de la pleine propriété mais sur la valeur de la nue-propriété (c’est à dire la valeur de la pleine propriété décotée de la valeur de l’usufruit).

En outre, au décès du donateur usufruitier, le donataire devient plein propriétaire. L’extinction de l’usufruit ne donne lieu à aucune imposition (article 1133 CGI).

Exemple

Monsieur Marin âgé de 56 ans a un fils unique. Il souhaite lui transmettre un appartement au bord de mer qui lui sert de résidence secondaire. Cet appartement est valorisé 200.000 €.

En lui donnant seulement la nue-propriété, Monsieur Marin peut continuer à utiliser l’appartement. Au décès de Monsieur Marin son fils deviendra plein propriétaire. Il pourra occuper l’appartement ou décider de le louer ou de le vendre.

Compte tenu de l’âge de Monsieur Marin au jour de la donation, la valeur de son usufruit est de 50%, donc la valeur de la nue-propriété de 50%, soit 100.000€.

En application de l’abattement de droit commun, aucun droit de donation ne sera du comme nous le verrons plus loin.

La valeur de l’usufruit réservé par Monsieur Marin ne sera jamais fiscalisée.

Si le bien donné est amené à être vendu, la réserve d’usufruit porte alors sur une somme d’argent. L’usufruitier détient alors un quasi-usufruit sur le prix de cession sauf à ce que celui-ci soit réemployé dans un nouveau bien démembré.

la particularité d’une donation à un héritier

Lorsque l’on donne à une personne qui est également son héritier, la donation peut être soumise à deux traitements spécifiques :

le rapport civil à la succession : l’égalité entre héritiers

Par principe, une donation en faveur d’un héritier est dite sur part successorale.

Ainsi la donation dont a bénéficié l’héritier ne vient pas en plus de sa part sur la succession mais est comprise dans cette part.

Il en est ainsi des donations simples et des dons manuels lorsqu’ils sont consentis à des héritiers présomptifs, sauf clause contraire.

Pour s’assurer de l’équité entre héritiers, on rajoute comptablement les donations réalisées à la masse successorale lors du décès du donateur. On parle de rapport à la succession.

Les biens donnés sont rapportés pour leur valeur au jour du partage de la succession (et non de la donation) et selon l’état du bien au jour de la donation (Art. 860 Code civ.). En ce sens, il faut tenir compte des moins ou plus-values éventuelles (sauf celles qui seraient dues à l’action du donataire : travaux d’amélioration…).

Pour les donations de sommes d’argent (Art. 860-1 Code civ.), on tient compte de la valeur donnée sans revalorisation. Si cette somme a été réinvestie dans un bien, on retient la valeur de ce bien au jour du partage successoral.

Il est possible d’avantager un héritier en spécifiant que la donation est faite hors part successorale ou avec dispense de rapport (dans la limite de la quotité disponible en présence d’héritiers réservataires comme nous allons le voir).

Dans ce cas, cette donation vient en plus de sa part successorale. Elle n’est pas rapportée à la succession.

Le don manuel, normalement rapportable, peut être réalisé hors part successorale. Dans ce cas, il est accompagné d’une convention sous seing privé (pacte adjoint) contenant une clause relative à l’absence de rapport du don dans la succession du donateur.

Cet écrit permet également de prouver l’existence du don manuel. En revanche, il est important d’être vigilent sur la rédaction de ce texte. Effectivement, la convention ne doit pas réaliser en elle-même la donation, au risque que le don soit annulé pour vice de forme (article 931 C. civ.).

La donation-partage est par principe considérée comme non-rapportable. De plus, elle fige les valeurs données au jour de la donation permettant de maintenir une égalité entre les héritiers par rapport aux valeurs futurs des biens donnés.

Exemple

Monsieur Marin consent une donation de sommes d’argent de 100.000 € à chacun de ses deux enfants Alain et Marie.

Au décès de Monsieur Marin, son patrimoine n’est composé que de sa résidence principale de 200.000 €. Ses seuls héritiers sont ses deux enfants.

On s’interroge concernant le traitement des sommes transmises par donation aux enfants :

  • Alain a dépensé progressivement l’intégralité de la somme au casino
  • Marie a acheté un appartement dont la valeur au jour du décès a doublé (200.000 €). Marie a donc réalisé une plus-value de 100.000€.

Si Monsieur Marin a consenti deux donations simples ou deux dons manuels déclarés, ils sont rapportables à la masse successorale à son décès pour leur valeur au jour du partage de la succession.

Ainsi, on rajoute à la masse successorale une valeur de 200.000 € pour la donation faite à Marie (valeur de l’appartement au jour du décès) et 100.000 € pour celle faite à Alain (pour une somme d’argent sans réinvestissement, valorisation au jour de la donation). La masse successorale globale est de 500.000 € (200.000 € de bien existant dans le patrimoine de Monsieur Marin, 200.000 € pour la donation de Marie et 100.000 € pour la donation d’Alain).

Les enfants ont droit à la moitié chacun soit 250.000 €.

On impute sur la part successorale de chacun la donation réalisée en leur faveur puisqu’elle a été faite sur part successorale.

Part de Marie : 250.000 €
– Valeur de la donation imputée sur part successorale : – 200.000 €
Part d’héritage de Marie sur les biens existants à la succession : 50.000 €

Part d’Alain : 250.000 €
– Valeur de la donation imputée sur part successorale : – 100.000 €
Part d’héritage d’Alain sur les biens existants à la succession : 150.000 €

L’équité entre héritier est respectée sur la masse successorale globale de 500.000 € mais Alain profite du bon investissement de Marie puisqu’il perçoit 100.000 € de plus que sa sœur sur la valeur des biens de la succession.

Si Monsieur Marin avait consenti une donation-partage à ses deux enfants, la situation serait totalement différente. La donation-partage n’est pas rapportable à la succession et fige les valeurs au jour de la donation.

La masse successorale globale est alors de 200.000 € que les deux enfants se partagent par moitié soit 100.000 € chacun.

Ils ont par ailleurs reçu 100.000 € chacun lors de la donation-partage. Cette donation-partage n’est pas rapportée à la succession pour le calcul de la masse successorale et les valeurs sont dans tous les cas figés à celles de la donation, soit 100.000 € chacun.

le risque de réduction : quelles sont les limites à la liberté de transmission ?

Certains héritiers ont droit à une part minimale du patrimoine du défunt : les enfants et le conjoint en l’absence d’enfant. Ils sont dits héritiers réservataires.

La part incompressible à laquelle ont droit ces héritiers est nommée réserve héréditaire.

Le reste du patrimoine est la quotité disponible. Le donateur est libre d’en disposer comme il le souhaite. Il peut donner l’équivalent de la quotité disponible à un non-héritier, à un héritier non réservataire, ou à un héritier réservataire pour l’avantager au-delà de sa part réservataire par une donation hors part successorale.

En présence d’enfant, les parts réservataires et la quotité disponible sont les suivantes :

En présence de :Réserve héréditaireQuotité disponible ordinaire
1 enfant1/21/2
2 enfants2/3 (soit 1/3 par enfant)1/3
3 enfants et plus3/4 (que se partage les enfants)1/4
En l’absence d’enfant, le conjoint est réservataire pour ¼ du patrimoine.

Pour calculer la valeur de la part réservataire, on tient compte de la masse des biens au jour du décès mais également des donations que le donateur a pu réaliser de son vivant, de manière à reconstituer le patrimoine global du défunt.

La valeur des biens pris en compte est celle du jour de la succession d’après leur état au jour de la donation (art. 922 Code civ.).

Si le patrimoine existant au décès est insuffisant pour assurer la réserve héréditaire, les différentes dispositions à titre gratuit qu’a pu réaliser le défunt peuvent être réduites à la demande des héritiers réservataires. On parle d’action en réduction.

Les legs (dispositions à cause de mort, testament) sont réduits en premier puis les donations des plus récentes aux plus anciennes.

comment transmettre son patrimoine à moindres frais ?

Tous les dons et donations sont soumis aux droits de mutation à titre gratuit. Les droits sont calculés sur la valeur des biens reçus pour chaque donataire par chaque donateur.

La donation-partage est également soumise aux droits de donation, et le droit de partage (2,5%) ne s’applique pas (le droit de partage s’appliquerait éventuellement, si le partage avait lieu ultérieurement dans un acte séparé).

Il est néanmoins possible d’optimiser la fiscalité des donations.

quel montant peut-on donner sans imposition ?

Les donations consenties à hauteur de l’abattement applicable s’effectuent en franchise d’impôts.

Donation au profit des enfants

 

Donner le plus tôt possible pour renouveler l’exonération à hauteur des abattements :

L’abattement de droit commun d’un montant de 100.000€ par parent par enfant est renouvelable tous les 15 ans.

Cet abattement est le même que celui pour les transmissions par succession.

Ainsi si l’abattement a été intégralement utilisé au cours d’une donation et si le donateur décède moins de 15 ans après la donation, le patrimoine transmis par succession au donataire ne pourra pas bénéficier de l’abattement de droit commun (qui sera complètement épuisé).

Une bonne stratégie patrimoniale passera donc par une bonne anticipation.

Éviter de donner après 80 ans :

L’abattement pour les dons de sommes d’argent d’un montant de 31.865 € par parent et par enfant, est renouvelable tous les 15 ans, sous conditions : donation d’une somme d’argent en pleine propriété par un parent de moins de 80 ans au profit d’un enfant majeur.

Un nouvel abattement jusqu’au 30 juin 2021 :

Nouvel abattement temporaire et spécifique pour les dons de sommes d’argent d’un montant global de 100.000 € par parent (quel que soit le nombre de donataires), non renouvelable :

Il s’applique sur les donations de sommes d’argent en pleine propriété consenties entre le 15 juillet 2020 et le 30 juin 2021 (Article 19 de la 3ème loi de finances rectificative pour 2020).

Afin de bénéficier de cet abattement, le donataire doit utiliser les fonds pour financer :

  • la construction de sa résidence principale (et non l’acquisition de sa résidence principale).
  • des travaux énergétiques concernant sa résidence principale éligibles à la prime de transition énergétique.
  • la création ou le développement d’une petite entreprise (via la souscription au capital initial ou les  augmentations de capital). L’entreprise doit avoir moins de 50 salariés, ne doit pas avoir distribué de bénéfices et avoir un bilan inférieur à 10 millions d’euros. La direction de l’entreprise doit être exercée pendant trois ans par le donataire.

Ces investissements ne doivent pas avoir bénéficié d’autres avantages fiscaux.

La somme d’argent donnée doit être utilisée dans un délai de trois mois à compter du versement.

Donations au profit des petits-enfants :

  • Abattement de droit commun d’un montant de 31.865 € par grand-parent et par petit-enfant, renouvelable tous les 15 ans, sans condition.
  • Abattement pour les dons de sommes d’argent d’un montant de 31.865 € par grand-parent et par petit-enfant, renouvelable tous les 15 ans, sous conditions : donation d’une somme d’argent en pleine propriété par un grand-parent de moins de 80 ans au profit d’un petit-enfant majeur.
  • Nouvel abattement temporaire et spécifique pour les dons de sommes d’argent d’un montant global de 100.000 € par donateur (quel que soit le nombre de donataires) et non renouvelable consentis en pleine propriété entre le 15 juillet 2020 et le 30 juin 2021, sous les mêmes conditions ci-dessus détaillées pour les enfants.

Les donations aux petits-enfants sont fiscalement opportunes dans la mesure où il n’existe aucun abattement applicable aux transmissions par succession au profit des petits-enfants venant de leur propre chef, à l’exclusion de l’abattement par défaut d’un montant de 1.594 € par bénéficiaire.

En outre, un abattement spécifique et personnel pour les donataires en situation de handicap peut également s’ajouter (d’un montant de 159.325 €, renouvelable tous les 15 ans, sous conditions).

le barème progressif applicable au-delà de l’abattement

Lorsque le montant transmis par donateur pour chaque donataire dépasse l’abattement, un barème progressif s’applique.

Ce barème dépend du lien de parenté entre donateur et donataire.

En ligne directe (enfants et petits-enfants), le barème est le suivant :

Part taxable après abattement Taux d'imposition
Moins de 8.072 €5%
Entre 8.072 € et 12.109 €10%
Entre 12.109 € et 15.932 €15%
Entre 15.932 € et 552.324 €20%
Entre 552.324 € et 902.838 €30%
Entre 902.838 € et 1.805.677 €40%
Supérieure à 1.805.677 €45%

Comme les abattements, les tranches se renouvellent actuellement tous les 15 ans.

Ainsi, concernant les donations aux enfants, plus la première transmission par donation a été consentie tôt, plus les abattements et les tranches du barème pourront se reconstituer pour une nouvelle donation ou pour la transmission par succession du donateur.

La donation avec réserve d’usufruit permet également de réduire l’imposition globale puisque seule la nue-propriété est imposée comme nous l’avons vu.
Les donations participent ainsi à l’optimisation fiscale de la succession tout en permettant d’aider ses proches de son vivant. Comparativement, l’assurance-vie, souvent utilisée pour réduire les droits de succession, ne permet pas de transmettre de son vivant et ne constitue pas une aide familiale immédiate. Les donations sont des techniques complémentaires qui gagneraient à être davantage employées.

 

Les donations sont un outil patrimonial pertinent pour anticiper sa transmission, en réduire le coût fiscal, mais également dans un objectif d’aide familiale et intergénérationnelle. Il reste néanmoins nécessaire de bien choisir le type de donation que l’on réalise afin que ses effets économiques et civils correspondent aux objectifs souhaités. Le rôle du conseiller patrimonial est ici essentiel.

Auteur
Charlotte MÂLON

Notaire collaborateur et formateur intervenant à L’ESBanque pour le CESB CGP

Donation indirecte, donation déguisée : de quoi s’agit-il ? Quelles différences ?

Donation indirecte, donation déguisée : de quoi s’agit-il ? Quelles différences ?

Temps de lecture estimé : 15 min

Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

Qu’est-ce qu’une donation indirecte, une donation déguisée ? Quelles sont les situations concernées et les risques ?   Paradoxalement, les donations déguisées et indirectes procèdent d’actes juridiques qui ne revêtent pas, à l’origine, la forme d’une donation. Il s’agit par exemple d’un acte de vente immobilière, d’un contrat de prêt ou d’une stipulation pour autrui, qui, sous certaines conditions, peuvent être considérés comme une donation par l’administration fiscale et la jurisprudence. Les donations indirectes et les donations déguisées ont des particularités communes en termes :

  • De forme :

Elles échappent en effet à la règle de forme prévue à l’article 931 du Code civil qui dicte que « Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaire dans la forme ordinaire des contrats… » mais sont pourtant validées par la jurisprudence et l’administration fiscale (Cass. Req. 2-4-1823, Cass. Req., 1er juin 1932, Cass. Civ. 1e, 26-4-1984, Cass. 1e civ. 27-11-1961 n° 59-13.331 : Bull. civ. I n° 553).

  • De fond :

Bien qu’elles procèdent d’un acte réel dans lequel la volonté de donner n’est pas exprimée, elles ont cependant toutes les caractéristiques des libéralités (C. civ. Art. 893, 894) :

  1. un appauvrissement du donateur
  2. un enrichissement du donataire
  3. une intention libérale.

Leur objectif commun est donc de procurer un avantage patrimonial, qui se traduit par une économie d’impôt et/ou un enrichissement profitant à l’une des parties au contrat ou aux deux simultanément.

Elles obéissent toutes deux aux règles de fond qui régissent les libéralités, elles sont donc présumées rapportables (C.civ. art.843 ss) et réductibles (C.civ. art.921 ss), la preuve pouvant être apportée par tous moyens par les co-héritiers qui veulent en obtenir le rapport et/ou la réduction.

Fiscalement, elles sont soumises aux droits de mutation à titre gratuit (CGI art. 777 ss), au même titre que toutes les donations.

Elles sont irrévocables sauf les exceptions prévues par la loi :

  • inexécution des conditions sous lesquelles elles ont été faites,
  • ingratitude du donataire,
  • survenance d’enfants chez le donateur (C.civ. art 953 ss), sauf les donations de biens présents entre époux (C.civ. 1096, al.3).

Mais les similitudes s’arrêtent là. Bien qu’en pratique, ces deux types de donation peuvent paraître proches, elles sont bien distinctes et ne doivent pas être confondues.

En effet, si la donation indirecte « est enveloppée d’un persistant mystère » ( R. Libchaber, Pour une redéfinition de la donation indirecte, 30.12.2000, Ed. Defrénois), la donation déguisée est plus facilement identifiable en ce qu’elle masque sous un acte apparent la véritable intention de donner du disposant.

qu’est-ce qu’une donation déguisée ?

Citée aux articles 911 ou 1832-1 du Code civil, la donation déguisée est constamment validée par la jurisprudence, qui précise : « les libéralités faites sous couvert d’actes à titre onéreux sont valables si elles réunissent les conditions de forme des actes dont elles empruntent l’apparence et si les règles de fond auxquelles elles sont assujetties sont propres aux actes à titre gratuit » (Cass. 1ère civ. 6-11-2013, n° 12-233.63).

le régime juridique des donation déguisées

La donation déguisée prend la forme d’un acte à titre onéreux mais cache en réalité une libéralité, c’est-à-dire un acte à titre gratuit. La donation déguisée a donc pour particularité de respecter à la fois :

  • les conditions de forme propres à l’acte à titre onéreux qui masque en réalité la libéralité.
  • les conditions de fond propres aux donations entre vifs, comme nous l’avons précédemment indiqué.

L’acte ne révèle aucune intention de donner mais satisfait néanmoins à toutes les conditions de fond pour être considéré comme une donation. Exemple de donation déguisée la plus courante : Une personne vend un bien à une autre, laquelle ne paiera jamais le prix, soit parce qu’il n’est jamais versé par l’acheteur, soit parce qu’il est secrètement remboursé à ce dernier (Cass. 1e civ. 4-3-2015, n° 13-27.701).   Les deux fondements d’une donation déguisée sont donc :

Par exemple, une reconnaissance de dette qui stipule bien que la dette existe mais qui dissimule en réalité une donation.

  • l’intention libérale d’une des parties.

Ces preuves de validité, déguisement de l’acte et intention libérale, doivent être établies par celui qui les allègue et dépendront de l’appréciation des juges du fonds. Les motifs d’une donation déguisée peuvent être d’ordre :

  • successoral : avantager ou léser un futur héritier ou un futur légataire
  • ou fiscal : échapper aux droits de mutation à titre gratuit plus élevés que ceux auxquels l’acte de vente apparent serait soumis.

Exemples :

Une tante, âgée de 90 ans, vend à son neveu qui est son légataire universel, sa résidence principale avec une réserve d’habitation viagère pour le prix de 121.959 € converti en rente viagère d’un montant annuel de 25.611 €. Elle décède deux mois plus tard. L’administration fiscale a requalifié l’acte de vente en donation déguisée et exigé le paiement des droits de donation ainsi qu’une pénalité de 80 % sur le montant des droits dus.

En effet, le neveu avait vocation à recevoir la maison moyennant le paiement de droits de succession de 55 % et les trois premiers chèques correspondant à la rente n’ont été présentés qu’après le décès de cette dernière (Cass. Com., 21-10-2008, n° 07-19.345).

Vente fictive d’un bien immobilier d’une valeur de 500.000 € d’un père à son enfant, l’enfant ne payant jamais le prix convenu dans l’acte de vente. Les frais d’acte sont d’environ 36.300 €.

La donation du même bien immobilier d’une valeur de 500.000 € d’un père à son enfant entraînerait des droits de mutation à titre gratuit de 78.194 € (en tenant compte de l’abattement de droit commun en ligne directe de 100.000 €).

Le régime fiscal des donation déguisées

Si la donation déguisée est avérée, l’imposition aux droits de donation n’est pas systématique. L’acte est d’abord imposé conformément à sa nature, selon le régime fiscal dit de l’acte apparent (vente, prêt …).

Si les montants concernés sont significatifs, l’administration fiscale peut également imposer l’opération au régime fiscal des donations.

La donation déguisée relève de la procédure de répression des abus de droit par simulation (LPF, art. L 64).

Cette procédure est mise en œuvre à l’initiative de l’administration.

L’article L 64 du Livre des procédures fiscales vise les actes constitutifs d’un abus de droit que sont notamment les actes ayant un caractère fictif (abus de droit par simulation).

L’acte rend donc exigible les droits de mutation à titre gratuit et l’intérêt de retard de 0,20 % (CGI, art. 777, 1727).

Outre les droits de mutation à titre gratuit, la donation déguisée peut également être  sanctionnée au titre de l’abus de droit par une pénalité égale à 80 % des droits rappelés et ramenée à 40 % s’il « n’est pas établi que le  contribuable est l’instigateur principal ou le bénéficiaire principal de l’abus de droit.»( CGI, art. 1729,  BOI-CF-INF-10-20-20 , n° 80).

Ces risques de requalification sont par ailleurs accrus par la mise en place de la nouvelle notion d’abus de droit de l’article L64 A du LPF, concernant les actes réalisés depuis le 1er janvier 2020 dans un but principalement fiscal et non « exclusivement ».

Si l’administration et le contribuable sont en désaccord sur les rectifications, le litige est soumis au comité de l’abus de droit fiscal (CADF). Quel que soit l’avis rendu par le CADF, la charge de la preuve incombe à l’administration depuis le 1er janvier 2019 (LPF, art. L 192). Pour les rectifications opérées avant le 1er janvier 2019, c’est le contribuable qui supporte la charge de la preuve.

En dernier ressort et en cas de refus par le contribuable d’accepter les rectifications proposées par l’administration, ce sont les tribunaux judiciaires qui tranchent le litige.

qu’est-ce qu’une donation indirecte ?

Le Code civil fait référence à la donation indirecte dans plusieurs articles sans pour autant la définir (C.civ. art. 843, 853, 920,1099).

Si la donation déguisée repose sur un mensonge (Cass. 1e civ., 26-4-1984, n° 82-16.933), la donation indirecte repose sur un acte réel et sincère autre qu’une donation, lequel acte ne cache pas l’avantage patrimonial consenti dans une intention libérale par l’une des parties au profit de l’autre partie au contrat.

La seule cause de validité d’une donation indirecte est donc « une intention de donner, matérialisée autrement que par les formes répertoriées des donations non solennelles, qu’elles soient déguisées ou manuelles » (R. Libchaber, op. cit. supra).

La donation indirecte n’est donc ni un don manuel en ce qu’elle ne se réalise pas par une donation (directe) de la main à la main par simple tradition réelle d’une chose mobilière, ni une donation déguisée en ce qu’elle ne masque pas derrière un acte en apparence onéreux, un acte volontairement gratuit.

A noter : contrairement à la donation déguisée, une donation indirecte peut être consentie à une personne incapable (C.civ. art.911).

Il est donc beaucoup plus complexe de définir ce type de donation et certainement plus parlant de l’appréhender en fonction des actes les plus caractéristiques qu’elle peut revêtir.

acte à titre onéreux déséquilibré et donation indirecte

Ce sont des actes dans lesquels la prestation est volontairement déséquilibrée afin qu’un avantage patrimonial profite à l’un des parties au contrat. Ainsi, dans le cas d’une vente :

  • le prix de vente est majoré afin que la libéralité profite au vendeur.
  • le prix de vente est minoré afin que la libéralité profite à l’acheteur.

Exemple : Une vente dont le prix stipulé dans l’acte est inférieur à la valeur réelle des biens : Deux époux vendent à l’une de leurs deux filles et au mari de celle-ci leur propriété agricole et des terres, à des prix sous-évalués. Au décès du père, la fille lésée demande le rapport à la succession de cette donation indirecte correspondant à la différence entre le prix de vente des biens et leur valeur réelle (Cass. 1e civ., 21-10-2015, n° 14-24.926).

paiement pour autrui et donation indirecte

Il s’agit ici de payer à la place d’autrui sans qu’une créance ne soit constatée ni remboursée.

Exemple :

Un époux marié sous le régime de la séparation de biens paie les dettes de son épouse et l’acquisition de trois biens immobiliers au nom de cette dernière. Après le décès de son époux, la veuve ne peut justifier de son engagement à rembourser les sommes en cause, se comporte en propriétaire et aucune créance à son encontre ne figure dans l’actif successoral du défunt (CA Paris, 29-6-2007, n° 05-17124, 1e ch. Sect. B : RJF 1/08 n° 87).

En revanche, dans une situation d’acquisition indivise d’immeubles par des époux séparés de biens, grâce aux deniers personnels du mari, il a été considéré que ce financement ne constituait pas une donation indirecte en faveur de l’épouse, faute d’intention libérale, mais une donation rémunératoire non taxable. Les versements faits par l’époux sont considérés comme contrepartie des services rendus par sa femme qui a abandonné sa carrière professionnelle pour s’occuper de son enfant issu d’un premier lit (TGI Versailles, 18-1-2006, n° 579, 1e ch. : RJF 11/06 n° 1472).

Les juges estiment qu’une donation présente un caractère rémunératoire en l’absence d’intention libérale du disposant et consiste donc en la rémunération, par exemple, de la collaboration bénévole au travail du conjoint (Cass. 1e civ. 25-6-2002 n° 98-22.282), de sa contribution aux travaux domestiques si celle-ci a excédé sa part normale aux charges du ménage (Cass. 1e civ. 4-3-1980), des sacrifices professionnels de l’épouse pour soutenir la carrière de son mari (Cass.1e civ. 7-6-1998 n° 960-FD).

remise de dette et donation indirecte

La remise de dette emporte renonciation par le créancier en faveur du débiteur au droit d’exiger en tout ou partie le paiement de la dette. Si elle résulte d’une intention libérale, elle donne ouverture aux droits de mutation à titre gratuit quand elle est acceptée par le débiteur (BOI-ENR-DMTG-20-10-10, n° 110).

Il en est ainsi par exemple de la remise de dette accordée par un créancier à son débiteur où le donateur accepte de renoncer à ses droits. Le créancier renonçant s’appauvrit dans le même temps que son débiteur s’enrichit par la disparition d’un élément de passif (CA Aix-en-Provence, 27 mars 1990).

La remise de dette constitue l’extinction d’un droit et non sa transmission actuelle et irrévocable. Pour autant, elle peut être constitutive d’une donation indirecte.

La jurisprudence précise ainsi que la remise de dette, même à titre gratuit, « repose sur l’extinction d’un droit et non sur la transmission actuelle de biens, avec dessaisissement qui constitue la donation entre vifs proprement dite » (Cass. Civ. 2-4-1862, DP,63.1.454).

renonciation à un droit et donation indirecte

Il existe deux catégories de renonciation :

  • La renonciation abdicative

C’est la renonciation à un droit faite sans l’intention de gratifier celui qui en bénéficie. Le titulaire du droit l’abandonne purement et simplement sans se préoccuper du devenir de son droit.

Elle ne constitue pas une donation (Cass. 1e civ. 16-3-1999 n° 97-13.149).

  • La renonciation translative

Cette renonciation est faite dans l’intention de transmettre un droit à une personne.

Elle est constitutive d’une donation indirecte.

Exemples :

Renonciation à un usufruit :

Des parents donnent la nue-propriété de divers biens immobiliers à leurs enfants. Dix-huit mois plus tard, ils renoncent à leur usufruit de sorte que les enfants, devenus pleins propriétaires, perçoivent les loyers. Les juges ont estimé que cette renonciation à usufruit procédant d’une intention libérale, était un acte translatif de l’usufruit aux enfants qui, en touchant les loyers, ont manifesté leur acceptation de cette donation (Cass. Com, 2-12-1997, n° 96-10729).

En revanche, l’usufruitier qui renoncerait à son droit d’usufruit parce que celui-ci est grevé de charges et ne lui apporte aucun gain tangible, ne réaliserait pas une libéralité (R. Libchaber, op.cit. supra).

Renonciation à un legs :

Une personne renonce au legs que lui a consenti sa sœur défunte au profit de sa seconde sœur dans l’intention de rétablir un équilibre qu’il estimait rompu par le legs fait en sa faveur. « Ainsi, c’est bien en se fondant sur l’intention libérale de l’auteur de l’acte que la cour d’appel lui a attribué le caractère d’une libéralité.» (Cass. 1e civ. , 22-12-1959, Bull. civ. I, n° 554).

Renonciation au bénéfice d’une succession :

En principe, la renonciation à succession ne peut être qualifiée de donation indirecte sauf à prouver l’intention libérale du renonçant (C.civ., art. 804 ss, Cass. 1e civ. 16-3-1999).

Mais la jurisprudence peut requalifier une renonciation à succession en donation indirecte.

Exemple :

Une personne décède, laissant pour cohéritiers, sa sœur et ses neveux. La sœur de la défunte renonce à la succession, substantielle, au profit de ses neveux avant de décéder elle-même. Cette intention libérale exorbitante au profit de ses neveux s’expliquant par « la mésintelligence qui, depuis de nombreuses années, régnait entre sa fille et elle, la cour a ainsi caractérisé l’existence d’une donation indirecte. » (Cass. 1e civ., 27-5-1961, Bull. civ. I, n° 268 ; D., 62.657, obs. R. Sabatier).

La renonciation à un droit a pour particularité de ne pas transmettre ce droit lui-même puisqu’il est éteint par la renonciation elle-même. Mais cette opération peut néanmoins relever d’une intention libérale.

Il faut donc systématiquement apporter la preuve qu’il y a bien eu volonté de donner, une renonciation n’étant jamais explicite quant aux intentions dont elle procède.

En effet, l’existence d’une donation indirecte implique que les conditions définies à l’article 894 du Code civil soient réunies (intention de donner, dessaisissement irrévocable du donateur et acceptation du donataire).

Il suffit que la preuve de l’une de ces conditions ne soit pas rapportée pour que la qualification de donation indirecte soit écartée. 

donation indirecte et stipulation pour autrui

Les risques de donation indirecte dans le cas de stipulation pour autrui concernent principalement l’assurance-vie et les contrats de fiducie.

Assurance vie et donation indirecte

En principe, la souscription d’un contrat d’assurance-vie ne constitue pas une donation indirecte au profit du bénéficiaire, dès lors que la faculté de rachat dont bénéficie le souscripteur pendant la durée du contrat exclut qu’il se soit dépouillé irrévocablement au sens de l’article 894 du code civil.

Mais un contrat d’assurance vie peut être requalifié en donation indirecte s’il est prouvé que le souscripteur souhaitait se dépouiller de manière irrévocable au profit du bénéficiaire.

Une telle requalification implique d’établir :

  • un défaut d’aléa dans les rapports entre le souscripteur et le bénéficiaire au moment de la rédaction de la clause bénéficiaire, le décès de l’assuré étant la seule cause possible du dénouement du contrat
  • que les éléments constitutifs d’une donation (intention libérale, dépouillement irrévocable du souscripteur et acceptation du bénéficiaire) sont réunis (Memento Francis Lefebvre, successions et libéralités, 2021, Ed. Francis Lefebvre, n° 45315).

Ces risques peuvent survenir entre autres dans les situations suivantes :

Requalification en donation indirecte de contrats co-souscrits par des époux avec des fonds communs et non dénoués au premier décès :

Depuis le 1er janvier 2016, la valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie souscrit avec des deniers communs et non dénoué au décès du premier époux, n’est pas intégrée, au plan fiscal, à l’actif de la communauté (RM CIOT, n° 78192, 23-2-16, BOI-ENR-DMTG-10-10-20-20 n° 380).

Cependant, sur un plan civil, la moitié de la valeur de rachat du contrat doit être rapportée à la succession (Cass., 1e civ., 26 juin 2019, 18-21.383).

Si le partage successoral n’est pas fait, un risque de requalification en donation indirecte au profit du survivant des époux est encouru.

Requalification en donation indirecte de contrats non acceptés par les bénéficiaires du vivant des souscripteurs :

Les juges ont constaté ici une « absence d’aléa dans les dispositions prises, le caractère illusoire de la faculté de rachat », l’imminence du décès du souscripteur, et la volonté de ce dernier de transmettre irrévocablement et immédiatement le capital du contrat à sa légataire.

  • Une personne âgée de 102 ans, effectue deux versements de 750.000 € quelques mois avant son décès. La cour d’appel de Versailles a constaté le « caractère illusoire ou purement théorique de la faculté de rachat et la volonté de se dépouiller irrévocablement» (CA Versailles, 12 oct. 2021, n° 20/03376).

L’acceptation postérieure au décès ne fait pas obstacle à la requalification du contrat en donation indirecte et à son imposition aux droits de mutation à titre gratuit (CGI, art 784).

Requalification en donation indirecte de contrats acceptés par les bénéficiaires du vivant des souscripteurs :

Le contrat d’assurance vie peut être également requalifié en donation indirecte si le souscripteur a renoncé à sa faculté de rachat en donnant simultanément son accord à l’acceptation du bénéficiaire.

Il est ici important de tenir compte de la date d’acceptation du bénéfice du contrat :

  • Le bénéfice du contrat a été accepté avant le 18 décembre 2007:

Dans ce cas, le souscripteur conserve son droit de rachat sauf à avoir renoncé expressément à ce droit (Cass. Ch. mixte, 22-2-2008, n° 06-11.934). Il ne se dessaisit pas alors irrévocablement des actifs du contrat même après l’acceptation du bénéficiaire.

Exemple :

Un époux souscrit des contrats d’assurance vie dont la bénéficiaire est sa maîtresse qui accepte le bénéfice du contrat. Par écrit, il consent dans le même temps à l’acceptation par la bénéficiaire. Au décès de celui-ci, son épouse demande la requalification des contrats d’assurance vie en donation indirecte. La Cour de cassation casse l’arrêt qui requalifie les contrats d’assurance en donation indirecte car, même si le bénéfice avait été accepté, le souscripteur conservait son droit de rachat et ne se dépouillait donc pas de manière irrévocable (Cass.1e civ. 20-11-2019, N° 16-15.867).

  • Le bénéfice du contrat a été accepté depuis le 18 décembre 2007:

Le souscripteur perd sa faculté de rachat s’il a donné son accord à l’acceptation du bénéficiaire (Code des assurances art L 132-9,I-al.1, loi 2007-1775 du 17-12-2007).

Ainsi, si le souscripteur donne son accord à l’acceptation du bénéficiaire, il renonce à son droit de rachat ce qui permet de requalifier plus facilement un contrat d’assurance vie en donation indirecte.

Renonciation au bénéfice d’un contrat d’assurance vie par le bénéficiaire après le décès du souscripteur :

La renonciation au bénéfice du contrat doit nécessairement être expresse. Elle conduit au règlement de la prestation au bénéficiaire à titre subsidiaire et est totalement indépendante de la renonciation à la succession du défunt. En principe, elle ne constitue pas une donation.

Une réponse ministérielle précise ainsi que « l’acceptation partielle comme le refus total du bénéficiaire en premier ne sont en effet nullement constitutifs d’une libéralité indirecte entre le bénéficiaire en premier et le bénéficiaire en second » (Rép. Malhuret : Sén. 22-9-2016 n° 18026).

La renonciation au bénéfice du contrat doit pour cela être pure et simple : « Je renonce au bénéfice du contrat… ».

L’expression « Je renonce au profit de… »  constituerait une renonciation translative témoignant de la volonté de donner du bénéficiaire renonçant et conduirait à une requalification fiscale en donation indirecte.

  • Fiducie et donation indirecte

« La fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires. » (C.civ. art. 2011)

Le contrat de fiducie permet donc à une personne, dite constituant, de transférer une partie de son patrimoine à une personne physique ou morale, dit fiduciaire. Ce dernier est en charge de gérer ces actifs au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires.

Reconnue en France depuis 2007, la fiducie permet de gérer un patrimoine en faveur d’un bénéficiaire, comme un enfant handicapé par exemple, ou est utilisée pour garantir un créancier. A la différence des pays anglo-saxons, elle ne peut pas être utilisée en France dans un objectif de transmission.

Ainsi, « le contrat de fiducie est nul s’il procède d’une intention libérale au profit du bénéficiaire. Cette nullité est d’ordre public. » (C.civ. art. 2013)

Dans les cas où l’intention libérale est prouvée, les droits de mutation à titre gratuit s’appliquent sur la valeur des biens, droits ou fruits ainsi transférés, appréciée à la date de ce transfert. Ils sont liquidés selon le tarif applicable entre personnes non parentes mentionné au tableau III de l’article 777 du CGI (article 792 bis du CGI).

Si la donation déguisée repose sur un acte sciemment mensonger, son auteur étant  supposé en connaître les risques et les conséquences tant juridiques que fiscaux, la donation indirecte peut s’accomplir sans que ne soit « préméditée » par son protagoniste une intention libérale ou une fraude à la loi.

La donation indirecte peut en effet résulter d’un acte tout aussi anodin qu’ambivalent que la renonciation à un droit ou la stipulation pour autrui. Ces actes neutres par excellence, ni onéreux, ni gratuits, peuvent donc constituer ou non le vecteur d’une volonté libérale, sans que le renonçant ou le stipulant ait eu une quelconque intention de donner.

Le rôle du conseil patrimonial est donc d’analyser en amont l’acte envisagé par son client, ses motivations et objectifs, d’en déduire un constat, et enfin de le conseiller afin de prévenir tout risque de requalification par l’administration et/ou les tribunaux.

Auteur

Jean-Guy Pécresse    

Conseil en gestion de patrimoine – Intervenant formateur pour le CESB CGP, diplôme RNCP Niveau 7, spécialisé en gestion de patrimoine.

Sources :

Code des assurances

  • Art. L 132-9

Code civil

  • Art. 804 ss
  • Art. 843
  • Art. 853
  • Art. 893
  • Art. 894
  • Art. 911
  • Art. 931
  • Art. 1044
  • Art. 1096
  • Art. 1099
  • Art. 1205
  • Art. 2011
  • Art. 2013

Code général des impôts

  • Art. 792 bis
  • Art.  1727
  • Art. 1729

Livre des procédures fiscales

  • Art. L 64
  • Art. L 64 A
  • Art. L 192

Jurisprudence

  • Cass. Req. 2-4-1823
  • Cass. Req., 1er juin 1932
  • Cass. 1e civ. 27-11-1961 n° 59-13.331 : Bull. civ. I n° 553
  • Cass. 1ère civ. 6-11-2013, n° 12-233.63
  • Cass. 1e civ. 4-3-2015, n° 13-27.701
  • Cass. 1e civ. 26 avril 1984, n° 82-16.933
  • Cass. Com., 21-10-2008, n° 07-19.345
  • Cass. 1e civ., 21-10-2015, n° 14-24.926
  • Cass. 1e civ. 25-6-2002 n° 98-22.282
  • Cass. 1e civ. 4-3-1980
  • Cass.1e civ. 7-6-1998 n° 960-FD
  • Cass. Civ. 2-4-1862, DP,63.1.454
  • Cass. 1e civ. 16-3-1999 n° 97-13.149
  • Cass. Com, 2-12-1997, n° 96-10729
  • Cass. 1e civ. , 22-12-1959, Bull. civ. I, n° 554
  • Cass. 1e civ. 16-3-1999
  • Cass. 1e civ., 27-5-1961, Bull. civ. I, n° 268 ; D., 62.657, obs. R. Sabatier
  • Cass., 1e civ., 26 juin 2019, 18-21.383
  • Cass. ch. mixte, 21-12-2007, n° 06-12.769
  • Cass. Ch. mixte, 22-2-2008, n° 06-11.934
  • CA Paris, 29-6-2007, n° 05-17124, 1e ch. Sect. B : RJF 1/08 n° 87
  • CA Aix-en-Provence, 27 mars 1990
  • CA Versailles, 12 oct. 2021, n° 20/03376
  • TGI Versailles, 18-1-2006, n° 579, 1e Ch. : RJF 11/06 n° 147
  • BOI-ENR-DMTG-20-10-10, n° 110
  • BOI-ENR-DMTG-10-10-20-20 n° 380
  • RM CIOT, n° 78192, 23-2-16
  • Rép. Malhuret : Sén. 22-9-2016 n° 18026
Donation indirecte, donation déguisée : de quoi s’agit-il ? Quelles différences ?

Donation indirecte, donation déguisée : de quoi s’agit-il ? Quelles différences ?

Temps de lecture estimé : 15 min

Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

Qu’est-ce qu’une donation indirecte, une donation déguisée ? Quelles sont les situations concernées et les risques ?

Paradoxalement, les donations déguisées et indirectes procèdent d’actes juridiques qui ne revêtent pas, à l’origine, la forme d’une donation.

Il s’agit par exemple d’un acte de vente immobilière, d’un contrat de prêt ou d’une stipulation pour autrui, qui, sous certaines conditions, peuvent être considérés comme une donation par l’administration fiscale et la jurisprudence.

Les donations indirectes et les donations déguisées ont des particularités communes en termes :

  • de forme :
    Elles échappent en effet à la règle de forme prévue à l’article 931 du Code civil qui dicte que « Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaire dans la forme ordinaire des contrats… »  mais sont pourtant validées par la jurisprudence et l’administration fiscale (Cass. Req. 2-4-1823, Cass. Req., 1er juin 1932, Cass. Civ. 1e, 26-4-1984, Cass. 1e civ. 27-11-1961 n° 59-13.331 : Bull. civ. I n° 553).
  • de fond :
    Bien qu’elles procèdent d’un acte réel dans lequel la volonté de donner n’est pas exprimée, elles ont cependant toutes les caractéristiques des libéralités (C. civ. Art. 893, 894) :
    • un appauvrissement du donateur
    • un enrichissement du donataire
    • une intention libérale.

Leur objectif commun est donc de procurer un avantage patrimonial, qui se traduit par une économie d’impôt et/ou un enrichissement profitant à l’une des parties au contrat ou aux deux simultanément.

Elles obéissent toutes deux aux règles de fond qui régissent les libéralités, elles sont donc présumées rapportables (C.civ. art.843 ss) et réductibles (C.civ. art.921 ss), la preuve pouvant être apportée par tous moyens par les co-héritiers qui veulent en obtenir le rapport et/ou la réduction.

Fiscalement, elles sont soumises aux droits de mutation à titre gratuit (CGI art. 777 ss), au même titre que toutes les donations.

Elles sont irrévocables sauf les exceptions prévues par la loi :

  • inexécution des conditions sous lesquelles elles ont été faites,
  • ingratitude du donataire,
  • survenance d’enfants chez le donateur (C.civ. art 953 ss), sauf les donations de biens présents entre époux (C.civ. 1096, al.3).

Mais les similitudes s’arrêtent là. Bien qu’en pratique, ces deux types de donation peuvent paraître proches, elles sont bien distinctes et ne doivent pas être confondues.

En effet, si la donation indirecte « est enveloppée d’un persistant mystère » ( R. Libchaber, Pour une redéfinition de la donation indirecte, 30.12.2000, Ed. Defrénois), la donation déguisée est plus facilement identifiable en ce qu’elle masque sous un acte apparent la véritable intention de donner du disposant.

qu’est-ce qu’une donation déguisée ?

Citée aux articles 911 ou 1832-1 du Code civil, la donation déguisée est constamment validée par la jurisprudence, qui précise : « les libéralités faites sous couvert d’actes à titre onéreux sont valables si elles réunissent les conditions de forme des actes dont elles empruntent l’apparence et si les règles de fond auxquelles elles sont assujetties sont propres aux actes à titre gratuit » (Cass. 1ère civ. 6-11-2013, n° 12-233.63).

le régime juridique des donation déguisées

La donation déguisée prend la forme d’un acte à titre onéreux mais cache en réalité une libéralité, c’est-à-dire un acte à titre gratuit.

La donation déguisée a donc pour particularité de respecter à la fois :

  • les conditions de forme propres à l’acte à titre onéreux qui masque en réalité la libéralité.
  • les conditions de fond propres aux donations entre vifs, comme nous l’avons précédemment indiqué.

L’acte ne révèle aucune intention de donner mais satisfait néanmoins à toutes les conditions de fond pour être considéré comme une donation.

Exemple de donation déguisée la plus courante :

Une personne vend un bien à une autre, laquelle ne paiera jamais le prix, soit parce qu’il n’est jamais versé par l’acheteur, soit parce qu’il est secrètement remboursé à ce dernier (Cass. 1e civ. 4-3-2015, n° 13-27.701).

Les deux fondements d’une donation déguisée sont donc :

  • le déguisement de l’acte ( 1e civ. 26 avril 1984, n° 82-16.933)

    Par exemple, une reconnaissance de dette qui stipule bien que la dette existe mais qui dissimule en réalité une donation.

  • l’intention libérale d’une des parties.

Ces preuves de validité, déguisement de l’acte et intention libérale, doivent être établies par celui qui les allègue et dépendront de l’appréciation des juges du fonds.

Les motifs d’une donation déguisée peuvent être d’ordre :

  • successoral : avantager ou léser un futur héritier ou un futur légataire
  • ou fiscal : échapper aux droits de mutation à titre gratuit plus élevés que ceux auxquels l’acte de vente apparent serait soumis.

Exemples :

Une tante, âgée de 90 ans, vend à son neveu qui est son légataire universel, sa résidence principale avec une réserve d’habitation viagère pour le prix de 121.959 € converti en rente viagère d’un montant annuel de 25.611 €. Elle décède deux mois plus tard. L’administration fiscale a requalifié l’acte de vente en donation déguisée et exigé le paiement des droits de donation ainsi qu’une pénalité de 80 % sur le montant des droits dus.

En effet, le neveu avait vocation à recevoir la maison moyennant le paiement de droits de succession de 55 % et les trois premiers chèques correspondant à la rente n’ont été présentés qu’après le décès de cette dernière (Cass. Com., 21-10-2008, n° 07-19.345).

Vente fictive d’un bien immobilier d’une valeur de 500.000 € d’un père à son enfant, l’enfant ne payant jamais le prix convenu dans l’acte de vente. Les frais d’acte sont d’environ 36.300 €.

La donation du même bien immobilier d’une valeur de 500.000 € d’un père à son enfant entraînerait des droits de mutation à titre gratuit de 78.194 € (en tenant compte de l’abattement de droit commun en ligne directe de 100.000 €).

le régime fiscal des donation déguisées

Si la donation déguisée est avérée, l’imposition aux droits de donation n’est pas systématique. L’acte est d’abord imposé conformément à sa nature, selon le régime fiscal dit de l’acte apparent (vente, prêt …).

Si les montants concernés sont significatifs, l’administration fiscale peut également imposer l’opération au régime fiscal des donations.

La donation déguisée relève de la procédure de répression des abus de droit par simulation (LPF, art. L 64).

Cette procédure est mise en œuvre à l’initiative de l’administration.

L’article L 64 du Livre des procédures fiscales vise les actes constitutifs d’un abus de droit que sont notamment les actes ayant un caractère fictif (abus de droit par simulation).

L’acte rend donc exigible les droits de mutation à titre gratuit et l’intérêt de retard de 0,20 % (CGI, art. 777, 1727).

Outre les droits de mutation à titre gratuit, la donation déguisée peut également être  sanctionnée au titre de l’abus de droit par une pénalité égale à 80 % des droits rappelés et ramenée à 40 % s’il « n’est pas établi que le  contribuable est l’instigateur principal ou le bénéficiaire principal de l’abus de droit.»( CGI, art. 1729,  BOI-CF-INF-10-20-20 , n° 80).

Ces risques de requalification sont par ailleurs accrus par la mise en place de la nouvelle notion d’abus de droit de l’article L64 A du LPF, concernant les actes réalisés depuis le 1er janvier 2020 dans un but principalement fiscal et non « exclusivement ».

Si l’administration et le contribuable sont en désaccord sur les rectifications, le litige est soumis au comité de l’abus de droit fiscal (CADF). Quel que soit l’avis rendu par le CADF, la charge de la preuve incombe à l’administration depuis le 1er janvier 2019 (LPF, art. L 192). Pour les rectifications opérées avant le 1er janvier 2019, c’est le contribuable qui supporte la charge de la preuve.

En dernier ressort et en cas de refus par le contribuable d’accepter les rectifications proposées par l’administration, ce sont les tribunaux judiciaires qui tranchent le litige.

qu’est-ce qu’une donation indirecte ?

Le Code civil fait référence à la donation indirecte dans plusieurs articles sans pour autant la définir (C.civ. art. 843, 853, 920,1099).

Si la donation déguisée repose sur un mensonge (Cass. 1e civ., 26-4-1984, n° 82-16.933), la donation indirecte repose sur un acte réel et sincère autre qu’une donation, lequel acte ne cache pas l’avantage patrimonial consenti dans une intention libérale par l’une des parties au profit de l’autre partie au contrat.

La seule cause de validité d’une donation indirecte est donc « une intention de donner, matérialisée autrement que par les formes répertoriées des donations non solennelles, qu’elles soient déguisées ou manuelles » (R. Libchaber, op. cit. supra).

La donation indirecte n’est donc ni un don manuel en ce qu’elle ne se réalise pas par une donation (directe) de la main à la main par simple tradition réelle d’une chose mobilière, ni une donation déguisée en ce qu’elle ne masque pas derrière un acte en apparence onéreux, un acte volontairement gratuit.

A noter : contrairement à la donation déguisée, une donation indirecte peut être consentie à une personne incapable (C.civ. art.911).

Il est donc beaucoup plus complexe de définir ce type de donation et certainement plus parlant de l’appréhender en fonction des actes les plus caractéristiques qu’elle peut revêtir.

acte à titre onéreux déséquilibré et donation indirecte

Ce sont des actes dans lesquels la prestation est volontairement déséquilibrée afin qu’un avantage patrimonial profite à l’un des parties au contrat.

Ainsi, dans le cas d’une vente :

  • le prix de vente est majoré afin que la libéralité profite au vendeur.
  • le prix de vente est minoré afin que la libéralité profite à l’acheteur.

Exemple :

Une vente dont le prix stipulé dans l’acte est inférieur à la valeur réelle des biens :

Deux époux vendent à l’une de leurs deux filles et au mari de celle-ci leur propriété agricole et des terres, à des prix sous-évalués.

Au décès du père, la fille lésée demande le rapport à la succession de cette donation indirecte correspondant à la différence entre le prix de vente des biens et leur valeur réelle (Cass. 1e civ., 21-10-2015, n° 14-24.926).

paiement pour autrui et donation indirecte

Il s’agit ici de payer à la place d’autrui sans qu’une créance ne soit constatée ni remboursée.

Exemple :

Un époux marié sous le régime de la séparation de biens paie les dettes de son épouse et l’acquisition de trois biens immobiliers au nom de cette dernière. Après le décès de son époux, la veuve ne peut justifier de son engagement à rembourser les sommes en cause, se comporte en propriétaire et aucune créance à son encontre ne figure dans l’actif successoral du défunt (CA Paris, 29-6-2007, n° 05-17124, 1e ch. Sect. B : RJF 1/08 n° 87).

En revanche, dans une situation d’acquisition indivise d’immeubles par des époux séparés de biens, grâce aux deniers personnels du mari, il a été considéré que ce financement ne constituait pas une donation indirecte en faveur de l’épouse, faute d’intention libérale, mais une donation rémunératoire non taxable. Les versements faits par l’époux sont considérés comme contrepartie des services rendus par sa femme qui a abandonné sa carrière professionnelle pour s’occuper de son enfant issu d’un premier lit (TGI Versailles, 18-1-2006, n° 579, 1e ch. : RJF 11/06 n° 1472).

Les juges estiment qu’une donation présente un caractère rémunératoire en l’absence d’intention libérale du disposant et consiste donc en la rémunération, par exemple, de la collaboration bénévole au travail du conjoint (Cass. 1e civ. 25-6-2002 n° 98-22.282), de sa contribution aux travaux domestiques si celle-ci a excédé sa part normale aux charges du ménage (Cass. 1e civ. 4-3-1980), des sacrifices professionnels de l’épouse pour soutenir la carrière de son mari (Cass.1e civ. 7-6-1998 n° 960-FD).

remise de dette et donation indirecte

La remise de dette emporte renonciation par le créancier en faveur du débiteur au droit d’exiger en tout ou partie le paiement de la dette. Si elle résulte d’une intention libérale, elle donne ouverture aux droits de mutation à titre gratuit quand elle est acceptée par le débiteur (BOI-ENR-DMTG-20-10-10, n° 110).

Il en est ainsi par exemple de la remise de dette accordée par un créancier à son débiteur où le donateur accepte de renoncer à ses droits. Le créancier renonçant s’appauvrit dans le même temps que son débiteur s’enrichit par la disparition d’un élément de passif (CA Aix-en-Provence, 27 mars 1990).

La remise de dette constitue l’extinction d’un droit et non sa transmission actuelle et irrévocable. Pour autant, elle peut être constitutive d’une donation indirecte.

La jurisprudence précise ainsi que la remise de dette, même à titre gratuit, « repose sur l’extinction d’un droit et non sur la transmission actuelle de biens, avec dessaisissement qui constitue la donation entre vifs proprement dite » (Cass. Civ. 2-4-1862, DP,63.1.454).

renonciation à un droit et donation indirecte

Il existe deux catégories de renonciation :

  • La renonciation abdicative C’est la renonciation à un droit faite sans l’intention de gratifier celui qui en bénéficie. Le titulaire du droit l’abandonne purement et simplement sans se préoccuper du devenir de son droit.Elle ne constitue pas une donation (Cass. 1e civ. 16-3-1999 n° 97-13.149).
  • La renonciation translativeCette renonciation est faite dans l’intention de transmettre un droit à une personne.Elle est constitutive d’une donation indirecte.

Exemples :

Renonciation à un usufruit :

Des parents donnent la nue-propriété de divers biens immobiliers à leurs enfants. Dix-huit mois plus tard, ils renoncent à leur usufruit de sorte que les enfants, devenus pleins propriétaires, perçoivent les loyers. Les juges ont estimé que cette renonciation à usufruit procédant d’une intention libérale, était un acte translatif de l’usufruit aux enfants qui, en touchant les loyers, ont manifesté leur acceptation de cette donation (Cass. Com, 2-12-1997, n° 96-10729).

En revanche, l’usufruitier qui renoncerait à son droit d’usufruit parce que celui-ci est grevé de charges et ne lui apporte aucun gain tangible, ne réaliserait pas une libéralité (R. Libchaber, op.cit. supra).

Renonciation à un legs :

Une personne renonce au legs que lui a consenti sa sœur défunte au profit de sa seconde sœur dans l’intention de rétablir un équilibre qu’il estimait rompu par le legs fait en sa faveur. « Ainsi, c’est bien en se fondant sur l’intention libérale de l’auteur de l’acte que la cour d’appel lui a attribué le caractère d’une libéralité.» (Cass. 1e civ. , 22-12-1959, Bull. civ. I, n° 554).

Renonciation au bénéfice d’une succession :

En principe, la renonciation à succession ne peut être qualifiée de donation indirecte sauf à prouver l’intention libérale du renonçant (C.civ., art. 804 ss, Cass. 1e civ. 16-3-1999).

Mais la jurisprudence peut requalifier une renonciation à succession en donation indirecte.

Exemple :

Une personne décède, laissant pour cohéritiers, sa sœur et ses neveux. La sœur de la défunte renonce à la succession, substantielle, au profit de ses neveux avant de décéder elle-même. Cette intention libérale exorbitante au profit de ses neveux s’expliquant par « la mésintelligence qui, depuis de nombreuses années, régnait entre sa fille et elle, la cour a ainsi caractérisé l’existence d’une donation indirecte. » (Cass. 1e civ., 27-5-1961, Bull. civ. I, n° 268 ; D., 62.657, obs. R. Sabatier).

La renonciation à un droit a pour particularité de ne pas transmettre ce droit lui-même puisqu’il est éteint par la renonciation elle-même. Mais cette opération peut néanmoins relever d’une intention libérale.

Il faut donc systématiquement apporter la preuve qu’il y a bien eu volonté de donner, une renonciation n’étant jamais explicite quant aux intentions dont elle procède.

En effet, l’existence d’une donation indirecte implique que les conditions définies à l’article 894 du Code civil soient réunies (intention de donner, dessaisissement irrévocable du donateur et acceptation du donataire).

Il suffit que la preuve de l’une de ces conditions ne soit pas rapportée pour que la qualification de donation indirecte soit écartée.

donation indirecte et stipulation pour autrui

Les risques de donation indirecte dans le cas de stipulation pour autrui concernent principalement l’assurance-vie et les contrats de fiducie.

Assurance vie et donation indirecte

En principe, la souscription d’un contrat d’assurance-vie ne constitue pas une donation indirecte au profit du bénéficiaire, dès lors que la faculté de rachat dont bénéficie le souscripteur pendant la durée du contrat exclut qu’il se soit dépouillé irrévocablement au sens de l’article 894 du code civil.

Mais un contrat d’assurance vie peut être requalifié en donation indirecte s’il est prouvé que le souscripteur souhaitait se dépouiller de manière irrévocable au profit du bénéficiaire.

Une telle requalification implique d’établir :

  • un défaut d’aléa dans les rapports entre le souscripteur et le bénéficiaire au moment de la rédaction de la clause bénéficiaire, le décès de l’assuré étant la seule cause possible du dénouement du contrat
  • que les éléments constitutifs d’une donation (intention libérale, dépouillement irrévocable du souscripteur et acceptation du bénéficiaire) sont réunis (Memento Francis Lefebvre, successions et libéralités, 2021, Ed. Francis Lefebvre, n° 45315).

Ces risques peuvent survenir entre autres dans les situations suivantes :

Requalification en donation indirecte de contrats co-souscrits par des époux avec des fonds communs et non dénoués au premier décès :

Depuis le 1er janvier 2016, la valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie souscrit avec des deniers communs et non dénoué au décès du premier époux, n’est pas intégrée, au plan fiscal, à l’actif de la communauté (RM CIOT, n° 78192, 23-2-16, BOI-ENR-DMTG-10-10-20-20 n° 380).

Cependant, sur un plan civil, la moitié de la valeur de rachat du contrat doit être rapportée à la succession (Cass., 1e civ., 26 juin 2019, 18-21.383).

Si le partage successoral n’est pas fait, un risque de requalification en donation indirecte au profit du survivant des époux est encouru.

Requalification en donation indirecte de contrats non acceptés par les bénéficiaires du vivant des souscripteurs :

  • Une clause bénéficiaire est modifiée par le souscripteur qui se sait mourant, trois jours avant son décès, au profit de la personne qu’il a nommée légataire universelle depuis peu ( ch. mixte, 21-12-2007, n° 06-12.769).Les juges ont constaté ici une « absence d’aléa dans les dispositions prises, le caractère illusoire de la faculté de rachat », l’imminence du décès du souscripteur, et la volonté de ce dernier de transmettre irrévocablement et immédiatement le capital du contrat à sa légataire.
  • Une personne âgée de 102 ans, effectue deux versements de 750.000 € quelques mois avant son décès. La cour d’appel de Versailles a constaté le « caractère illusoire ou purement théorique de la faculté de rachat et la volonté de se dépouiller irrévocablement» (CA Versailles, 12 oct. 2021, n° 20/03376).

L’acceptation postérieure au décès ne fait pas obstacle à la requalification du contrat en donation indirecte et à son imposition aux droits de mutation à titre gratuit (CGI, art 784).

Requalification en donation indirecte de contrats acceptés par les bénéficiaires du vivant des souscripteurs :

Le contrat d’assurance vie peut être également requalifié en donation indirecte si le souscripteur a renoncé à sa faculté de rachat en donnant simultanément son accord à l’acceptation du bénéficiaire.

Il est ici important de tenir compte de la date d’acceptation du bénéfice du contrat :

  • Le bénéfice du contrat a été accepté avant le 18 décembre 2007 :Dans ce cas, le souscripteur conserve son droit de rachat sauf à avoir renoncé expressément à ce droit (Cass. Ch. mixte, 22-2-2008, n° 06-11.934). Il ne se dessaisit pas alors irrévocablement des actifs du contrat même après l’acceptation du bénéficiaire.Exemple : Un époux souscrit des contrats d’assurance vie dont la bénéficiaire est sa maîtresse qui accepte le bénéfice du contrat. Par écrit, il consent dans le même temps à l’acceptation par la bénéficiaire. Au décès de celui-ci, son épouse demande la requalification des contrats d’assurance vie en donation indirecte. La Cour de cassation casse l’arrêt qui requalifie les contrats d’assurance en donation indirecte car, même si le bénéfice avait été accepté, le souscripteur conservait son droit de rachat et ne se dépouillait donc pas de manière irrévocable (Cass.1e civ. 20-11-2019, N° 16-15.867).
  • Le bénéfice du contrat a été accepté depuis le 18 décembre 2007 :Le souscripteur perd sa faculté de rachat s’il a donné son accord à l’acceptation du bénéficiaire (Code des assurances art L 132-9,I-al.1, loi 2007-1775 du 17-12-2007).Ainsi, si le souscripteur donne son accord à l’acceptation du bénéficiaire, il renonce à son droit de rachat ce qui permet de requalifier plus facilement un contrat d’assurance vie en donation indirecte.

Renonciation au bénéfice d’un contrat d’assurance vie par le bénéficiaire après le décès du souscripteur :

La renonciation au bénéfice du contrat doit nécessairement être expresse. Elle conduit au règlement de la prestation au bénéficiaire à titre subsidiaire et est totalement indépendante de la renonciation à la succession du défunt. En principe, elle ne constitue pas une donation.

Une réponse ministérielle précise ainsi que « l’acceptation partielle comme le refus total du bénéficiaire en premier ne sont en effet nullement constitutifs d’une libéralité indirecte entre le bénéficiaire en premier et le bénéficiaire en second » (Rép. Malhuret : Sén. 22-9-2016 n° 18026).

La renonciation au bénéfice du contrat doit pour cela être pure et simple : « Je renonce au bénéfice du contrat… ».

L’expression « Je renonce au profit de… »  constituerait une renonciation translative témoignant de la volonté de donner du bénéficiaire renonçant et conduirait à une requalification fiscale en donation indirecte.

Fiducie et donation indirecte

« La fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires. » (C.civ. art. 2011)

Le contrat de fiducie permet donc à une personne, dite constituant, de transférer une partie de son patrimoine à une personne physique ou morale, dit fiduciaire. Ce dernier est en charge de gérer ces actifs au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires.

Reconnue en France depuis 2007, la fiducie permet de gérer un patrimoine en faveur d’un bénéficiaire, comme un enfant handicapé par exemple, ou est utilisée pour garantir un créancier. A la différence des pays anglo-saxons, elle ne peut pas être utilisée en France dans un objectif de transmission.

Ainsi, « le contrat de fiducie est nul s’il procède d’une intention libérale au profit du bénéficiaire. Cette nullité est d’ordre public. » (C.civ. art. 2013)

Dans les cas où l’intention libérale est prouvée, les droits de mutation à titre gratuit s’appliquent sur la valeur des biens, droits ou fruits ainsi transférés, appréciée à la date de ce transfert. Ils sont liquidés selon le tarif applicable entre personnes non parentes mentionné au tableau III de l’article 777 du CGI (article 792 bis du CGI).

 Si la donation déguisée repose sur un acte sciemment mensonger, son auteur étant  supposé en connaître les risques et les conséquences tant juridiques que fiscaux, la donation indirecte peut s’accomplir sans que ne soit « préméditée » par son protagoniste une intention libérale ou une fraude à la loi.

La donation indirecte peut en effet résulter d’un acte tout aussi anodin qu’ambivalent que la renonciation à un droit ou la stipulation pour autrui. Ces actes neutres par excellence, ni onéreux, ni gratuits, peuvent donc constituer ou non le vecteur d’une volonté libérale, sans que le renonçant ou le stipulant ait eu une quelconque intention de donner.

Le rôle du conseil patrimonial est donc d’analyser en amont l’acte envisagé par son client, ses motivations et objectifs, d’en déduire un constat, et enfin de le conseiller afin de prévenir tout risque de requalification par l’administration et/ou les tribunaux.

Auteur

Jean-Guy Pécresse    

Conseil en gestion de patrimoine – Intervenant formateur pour le CESB CGP, diplôme RNCP Niveau 7, spécialisé en gestion de patrimoine.

Sources :

  • Code des assurances
  • Art. L 132-9
  • Code civil
  • Art. 804 ss
  • Art. 843
  • Art. 853
  • Art. 893
  • Art. 894
  • Art. 911
  • Art. 931
  • Art. 1044
  • Art. 1096
  • Art. 1099
  • Art. 1205
  • Art. 2011
  • Art. 2013
  • Code général des impôts
  • Art. 792 bis
  • Art.  1727
  • Art. 1729
  • Livre des procédures fiscales
  • Art. L 64
  • Art. L 64 A
  • Art. L 192
  • Jurisprudence
  • Cass. Req. 2-4-1823
  • Cass. Req., 1er juin 1932
  • Cass. 1e civ. 27-11-1961 n° 59-13.331 : Bull. civ. I n° 553
  • Cass. 1ère civ. 6-11-2013, n° 12-233.63
  • Cass. 1e civ. 4-3-2015, n° 13-27.701
  • Cass. 1e civ. 26 avril 1984, n° 82-16.933
  • Cass. Com., 21-10-2008, n° 07-19.345
  • Cass. 1e civ., 21-10-2015, n° 14-24.926
  • Cass. 1e civ. 25-6-2002 n° 98-22.282
  • Cass. 1e civ. 4-3-1980
  • Cass.1e civ. 7-6-1998 n° 960-FD
  • Cass. Civ. 2-4-1862, DP,63.1.454
  • Cass. 1e civ. 16-3-1999 n° 97-13.149
  • Cass. Com, 2-12-1997, n° 96-10729
  • Cass. 1e civ. , 22-12-1959, Bull. civ. I, n° 554
  • Cass. 1e civ. 16-3-1999
  • Cass. 1e civ., 27-5-1961, Bull. civ. I, n° 268 ; D., 62.657, obs. R. Sabatier
  • Cass., 1e civ., 26 juin 2019, 18-21.383
  • Cass. ch. mixte, 21-12-2007, n° 06-12.769
  • Cass. Ch. mixte, 22-2-2008, n° 06-11.934
  • CA Paris, 29-6-2007, n° 05-17124, 1e ch. Sect. B : RJF 1/08 n° 87
  • CA Aix-en-Provence, 27 mars 1990
  • CA Versailles, 12 oct. 2021, n° 20/03376
  • TGI Versailles, 18-1-2006, n° 579, 1e Ch. : RJF 11/06 n° 147
  • BOI-ENR-DMTG-20-10-10, n° 110
  • BOI-ENR-DMTG-10-10-20-20 n° 380
  • RM CIOT, n° 78192, 23-2-16
  • Rép. Malhuret : Sén. 22-9-2016 n° 18026