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Le cantonnement successoral du conjoint et du légataire : principes et utilités

Le cantonnement successoral du conjoint et du légataire : principes et utilités

Temps de lecture estimé : 9 min

Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

Le cantonnement successoral bénéficie au conjoint survivant et au légataire sous certaines conditions. De quoi s’agit-il ? Quel intérêt patrimonial ? Comment l’appliquer ? Explications.

 

Le cantonnement successoral : quel est cet acte juridique atypique ? Le cantonnement successoral est tout à la fois :

  • acte de disposition, de renonciation et de transmission
  • dépendant de la volonté d’un seul ou de plusieurs successibles
  • et par lequel les intérêts patrimoniaux et familiaux, parfois contradictoires, de deux ou plusieurs personnes sont mis en concurrence.

Le cantonnement successoral est la faculté offerte à un successeur de choisir un ou plusieurs biens et/ou droits dans la succession en renonçant à d’autres biens et/ou droits.

Dans le cadre d’une succession légale, c’est-à-dire sans que le défunt ait pris de dispositions post-mortem (legs, donation au dernier vivant) ou ait aménagé conventionnellement son régime matrimonial (avantages matrimoniaux), les héritiers exercent l’option successorale (C.civ. art. 768) sans pouvoir bénéficier de la faculté de cantonnement.

En effet, cette option leur offre trois possibilités :

  • accepter la succession purement et simplement
  • y renoncer
  • ou accepter la succession à concurrence de l’actif net lorsqu’ils ont une vocation universelle ou à titre universelle.

L’option est indivisible (C.civ. art.769), le successeur ne peut pas choisir tel droit ou tel bien dans la succession pas plus qu’il ne peut exercer son option pour une quotité différente de celle que la loi lui impose, c’est à prendre, à laisser ou à prendre à charge d’assumer le passif proportionnel à l’actif qu’il recueille.

La faculté de cantonnement ne peut s’exercer que par trois voies :

  • La voie testamentaire ou libérale
  • La voie matrimoniale
  • La voie bénéficiaire

SOMMAIRE

  • Cantonnement par voie testamentaire ou libérale
  • Le cantonnement par convention matrimoniale : la clause de préciput
  • Le cantonnement par la clause bénéficiaire de l’assurance-vie

Cantonnement par voie testamentaire ou libérale 

 

La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, à effet le 01/01/2007, a mis fin à l’indivisibilité de l’option successorale en créant la faculté de cantonnement ( C.civ. art. 1002-1 et 1094-1, al. 2).

La faculté de cantonnement ne peut s’exercer que dans le cadre exclusif des successions testamentaires, procédant donc de la volonté du défunt et non de la loi.

Sont concernés les bénéficiaires d’un legs du défunt qu’ils soient héritiers ou non de ce dernier, et le conjoint survivant à la condition qu’il bénéficie également d’un legs ou d’une donation au dernier vivant consenti par le défunt.

Ils ont donc la possibilité de choisir les droits, biens ou quotité qu’ils souhaitent recueillir dans la succession en renonçant à d’autres droits, biens et/ou quotité.

Ainsi, le légataire de deux immeubles peut n’en recueillir qu’un, le conjoint légataire de l’usufruit universel peut choisir de n’exercer son droit d’usufruit que sur certains biens.

 

Attention :

La faculté de cantonnement ne permet pas de changer la nature des droits reçus, elle ne permet que leur réduction, ainsi :

Un légataire bénéficiant d’un legs en pleine propriété d’un immeuble ne peut pas choisir de recevoir l’usufruit de cet immeuble.

Le conjoint survivant désigné usufruitier universel ne peut transformer son usufruit en pleine propriété.

 

Les conditions de la faculté de cantonnement

Les conditions d’exercice du cantonnement sont différentes selon s’il s’agit d’un légataire ou du conjoint survivant :

Le légataire : L’héritier qui a également la qualité de légataire, le légataire universel, à titre universel ou à titre particulier, peuvent exercer leur faculté de cantonnement à deux conditions :

  • Le défunt ne les en a pas privé
  • La succession a été acceptée par au moins un héritier

Le conjoint survivant : Le conjoint survivant peut exercer la faculté de cantonnement à deux conditions :

  • Le défunt ne l’en a pas privé
  • Il bénéficie d’un legs ou d’une donation au dernier vivant consenti par le défunt.

 

Les effets de la faculté de cantonnement ?

Le cantonnement a pour caractéristique :

La renonciation à certains droits ou biens par le légataire ou le conjoint survivant ne constitue pas une libéralité faite aux autres successibles, cela ne donne lieu ni au rapport ni à réduction.

Cette renonciation abdicative est un abandon pur et simple de certains droits et biens. L’avantage qu’en retirent les autres successibles n’est pas taxable aux droits de donation mais imposable au barème fixé en fonction du lien de parenté avec le défunt, par exemple, au tarif en ligne directe pour les enfants du défunt (CGI, art. 788 bis, BOI-ENR-DMTG-10-20-50-30 n° 20).

  • de ne pas exclure la contribution à la dette:

A l’exception du légataire à titre particulier qui, sauf volonté contraire du testateur, n’est pas tenu des dettes et charges de la succession, les autres successibles contribuent au passif dans la proportion de ce qu’ils prennent ou reçoivent.

Les successibles peuvent néanmoins échapper à l’obligation de payer sur leur patrimoine personnel en acceptant le legs à concurrence de l’actif net.

 

Focus sur la faculté de cantonnement du conjoint survivant ?

Grâce au cantonnement, le conjoint survivant peut choisir ce qu’il désire conserver en fonction de ses objectifs patrimoniaux. Il augmente par sa renonciation la part revenant aux autres héritiers.

Il peut choisir de recueillir des biens en pleine propriété afin d’éviter d’éventuelles indivisions ou des démembrements de propriété ou au contraire, choisir de recevoir l’usufruit de certains biens afin qu’à son décès, le ou les nus-propriétaires recueillent la pleine propriété en franchise d’impôt.

Cette faculté doit être cependant exercée avec discernement notamment en présence d’enfants communs et en fonction de la nature des biens et droits sur lesquels elle s’exerce :

  • En présence d’enfants communs :

Exemple :

Un conjoint successible bénéficie d’une donation au dernier vivant lui offrant le choix entre les trois options prévues par l’article 1094-1 du Code civil (la quotité disponible spéciale en pleine propriété, 100 % en usufruit, ou ¼ en pleine propriété et ¾ en usufruit). Le défunt ne l’a pas privé de sa faculté de cantonnement. Le couple a un enfant commun, l’actif de succession est composé d’immeubles locatifs d’une valeur de 1.500.000 €.

Cas 1 :

Le conjoint cantonne son émolument à des actifs de succession d’une valeur de 550.000 € en pleine propriété car il désire majorer l’émolument de son enfant de 200.000 €.

Il reçoit 550.000 € en pleine propriété. Il ne paie aucun droit de succession (CGI art.796-0 bis).

L’enfant reçoit 950.000 € en pleine propriété (750.000 € + 200.000 €).

Assiette taxable : 950.000 € – 100.000 € = 850.000 €

Droits de succession dus : 197.962 €

Part nette reçue : 752.038 € (950.000 € – 197.962 €).

Cas 2 :

Le conjoint reçoit la moitié des actifs en pleine propriété mais ne cantonne pas son émolument.

Il reçoit 750.000 € en pleine propriété. Il ne paie aucun droit de succession.

L’enfant reçoit 750.000 € en pleine propriété.

Assiette taxable : 750.000 € – 100.000 € = 650.000 €

Droits de succession dus : 137.962 €

Le conjoint lui donne un bien immobilier d’une valeur de 200.000 €.

Assiette taxable : 200.000 – 100.000 € = 100.000 €

Droits de donation dus : 18.194 €

L’enfant reçoit donc (750.000 + 200.000) – (137.962 + 18.194) = 793.844 €

Compte tenu de la nature des actifs de succession, cet exemple démontre que le cantonnement ici exercé par le conjoint est désavantageux pour l’enfant commun et qu’il est préférable, fiscalement et économiquement, de renoncer à la faculté de cantonnement et de faire une donation bénéficiant de l’abattement en ligne directe de 100.000 €.

 

  • En présence d’enfants non communs

En revanche, et contrairement à l’exemple précédent, en présence d’enfants de lits différents qu’il souhaite avantager, le conjoint peut choisir de cantonner son émolument, afin de permettre à ses beaux-enfants de recueillir une part nette dans la succession plus importante.

Aucun abattement n’est en effet prévu dans le cadre d’une donation à un tiers et les droits de donation s’élèvent à 60 % du montant de la donation.

Exemple :

Le conjoint bénéficie d’une donation au dernier vivant, lui offrant le choix entre les trois options prévues par l’article 1094-1 du Code civil (quotité disponible spéciale en pleine propriété, 100 % en usufruit, ou ¼ en pleine propriété et ¾ en usufruit). Le défunt ne l’a pas privé de sa faculté de cantonnement. Le conjoint est en présence d’un enfant du défunt, il n’y a pas d’enfant commun. L‘actif de succession est d’une valeur de 1.500.000 € et est constitué de biens immobiliers.

Cas 1 :

Le conjoint choisit de cantonner son émolument à 550.000 €.

Il reçoit 550.000 € en pleine propriété. Il ne paie aucun droit de succession (CGI art.796-0 bis).

Le bel-enfant reçoit 950.000 € en pleine propriété.

Assiette taxable : 950.000 – 100.000 = 850.000 €

Droits de succession dus : 197.962 €

Part nette reçue : 752.038 €

 

Cas 2 :

Le conjoint choisit de recevoir la quotité disponible en pleine propriété mais ne cantonne pas son émolument.    

Le conjoint reçoit 750.000 € en franchise de droit de succession.

Le bel-enfant reçoit 750.000 €.

Assiette taxable : 750.000 – 100.000 = 650.000 €

Droits de succession dus : 137.962 €

Part nette reçu par le bel-enfant: 750.000 – 137.962 = 612.038

Le conjoint procède à une donation en pleine propriété de 200.000 € à l’enfant de son conjoint.

Droits de donation : 200.000 x 60 % = 120.000 €

Le bel enfant reçoit ainsi (750.000 + 200.000) – (137.962 + 120.000) = 692.028 €

Le cantonnement suivi d’une donation est beaucoup moins avantageux dans le cas d’un enfant non commun.

 

Le cantonnement par convention matrimoniale : la clause de préciput 

Bien avant que la faculté de cantonnement ne soit introduite par la loi du 23 juin 2006, le Code civil, dans son édition princeps de 1804, prévoyait la possibilité pour le survivant des époux d’exercer cette faculté grâce à un avantage matrimonial, la clause de préciput. 

La clause de préciput (C.civ. art. 1515), stipulée dans un contrat de mariage ou conférée par une convention modificative jointe au régime matrimonial, autorise le survivant des époux à « prélever sur la communauté, avant tout partage, soit une certaine somme, soit certains biens en nature, soit une certaine quantité d’une espèce déterminée ». 

Cet avantage matrimonial offre une liberté totale au conjoint survivant de cantonner son émolument sur certains droits, biens, et/ou en quotité dès lors que cela a été prévu par le couple lors de la rédaction de la convention matrimoniale. 

 

Le cantonnement par la clause bénéficiaire de l’assurance-vie 

Avec une clause bénéficiaire dite « classique » désignant un bénéficiaire de premier rang en pleine propriété et des bénéficiaires subsidiaires, le bénéficiaire de premier rang peut choisir d’accepter ou de refuser, mais pour le tout. Il ne peut cantonner son bénéfice à une fraction du capital en propriété. 

Dans le cadre d’une clause bénéficiaire à options, le bénéficiaire de premier rang à la faculté de choisir d’accepter totalement ou partiellement le bénéfice du capital en pleine propriété, en usufruit ou encore en pleine propriété et en usufruit, en fonction de ses objectifs patrimoniaux. 

La renonciation totale ou partielle au bénéfice du contrat conduit au règlement de la prestation au bénéficiaire à titre subsidiaire et cette renonciation n’est pas considérée comme une donation indirecte faite au profit du bénéficiaire subsidiaire, ce qu’a confirmé une réponse ministérielle qui précise que  « l’acceptation partielle comme le refus total du bénéficiaire en premier ne sont en effet nullement constitutifs d’une libéralité indirecte entre le bénéficiaire en premier et le bénéficiaire en second » (Rép. Malhuret : Sén. 22-9-2016 n° 18026). 

La fiscalité appliquée est celle entre l’assuré et le bénéficiaire subsidiaire et non celle entre le premier bénéficiaire renonçant pour tout ou partiellement et le second bénéficiaire. 

Exemple : 

Le conjoint, âgé de 68 ans, bénéficie d’une donation au dernier vivant lui offrant le choix entre les trois options prévues par l’article 1094-1 du Code civil (quotité disponible spéciale en pleine propriété, 100 % en usufruit, ou ¼ en pleine propriété et ¾ en usufruit).  

Le défunt ne l’a pas privé de sa faculté de cantonnement. Le couple a un enfant commun. 

L’actif de succession se compose comme suit : 

  • des immeubles locatifs d’une valeur de 1.300.000 €. 
  • un contrat d’assurance vie d’un montant de 200.000 € souscrit avant 70  ans par le défunt.  

La clause bénéficiaire du contrat permet au conjoint survivant de choisir de recevoir 100 %, 50 %, 25 % ou 0 % des capitaux décès. 

Le second bénéficiaire désigné (en cas de prédécès du conjoint survivant) est l’enfant commun. 

Le conjoint cantonne son émolument à des actifs de la succession d’une valeur de 550.000 € en pleine propriété. 

Il choisit par ailleurs de n’accepter que partiellement le capital du contrat d’assurance vie pour un montant de 47.500 €. 

L’enfant reçoit :  

  • 750.000 € en pleine propriété sur l’actif de succession 
  • 152.500 € (200.000 – 47.500) en tant que bénéficiaire subsidiaire du contrat d’assurance vie. 

Assiette taxable de la réserve héréditaire : 

  • 750.000 – 100.000 = 650000 € 
  • Droits de succession : 137.962 € 

Assiette taxable du capital assurance vie (CGI, art. 990 I) : 

  • 152.500 € – 152.500 € (abattement fixe, CGI, art . 990 I, al. I) = néant, aucune taxe due 
  • Part totale nette reçue par l’enfant = (750.000 + 152.500) – 137.962 =  764.538  

 

Tout à la fois acte de disposition, acte de renonciation et acte de transmission, la faculté de cantonnement peut mettre en présence des intérêts différents et parfois contradictoires. Elle nécessite une analyse et un diagnostic successoraux qui prennent en compte la composition de la famille, les biens et droits qui dépendront de la succession, les objectifs du couple et les conséquences fiscales et économiques pour les enfants, afin de concilier les différents intérêts et besoins en présence. 

 

Auteur

Jean-Guy Pécresse

Conseil en gestion de patrimoine – Intervenant formateur pour le CESB CGP, diplôme RNCP Niveau 7, spécialisé en gestion de patrimoine.

La renonciation à succession : une stratégie patrimoniale pertinente

La renonciation à succession : une stratégie patrimoniale pertinente

Temps de lecture estimé : 13 min

Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

La renonciation à succession permet une transmission directe aux autres héritiers, ainsi qu’une optimisation fiscale. Le point sur cet outil de transmission successorale.

 

Compte tenu de l’augmentation de l’espérance de vie, les patrimoines se transmettent de génération en génération beaucoup plus tardivement.

Le droit s’est adapté à cette évolution. La réforme des successions et des libéralités du 23 juin 2006 a introduit des dispositifs juridiques innovants facilitant les transmissions de patrimoine en faveur des jeunes générations. Parmi ceux-ci, la donation-partage transgénérationnelle est souvent mise en avant et fait l’objet de nombreux développements. Mais il existe un autre outil, la renonciation à succession, moins commenté et pourtant particulièrement pertinent pour optimiser la transmission successorale.

Tout comme la donation-partage transgénérationnelle, la renonciation à succession permet elle aussi un saut de génération via le principe de la représentation successorale. La représentation successorale est un mécanisme connu du droit des successions. La particularité est qu’il s’agit ici de la représentation d’un héritier vivant, possible uniquement pour les successions ouvertes depuis le 1er janvier 2007.

Cet outil juridique permet à un enfant bénéficiant d’un patrimoine suffisant de laisser sa place à ses descendants dans la succession de son auteur. Explications.

la renonciation à succession : quel intérêt patrimonial ?

Depuis la réforme de 2006, la renonciation à succession permet la représentation successorale. Elle revêt alors un nouvel intérêt patrimonial.

la renonciation à succession : quels effets patrimoniaux ?

Renonciation à succession et représentation successorale permettent de modifier et d’optimiser la dévolution successorale.

Qu’est-ce que la renonciation à succession ?

Un héritier n’est pas dans l’obligation d’accepter une succession. Il a en effet la possibilité :

  •  d’accepter la succession purement et simplement
  • d’accepter la succession à concurrence de l’actif net
  • ou de renoncer à la succession

La renonciation fait donc partie des options successorales ouvertes à tout héritier.

La renonciation ne peut pas être partielle et le renonçant perd tous ses droits dans la succession et corrélativement est exonéré de toutes obligations dans la succession (sauf frais funéraires). Il est censé n’avoir jamais été héritier (article 805 du Code civil).
En outre, la renonciation est irrévocable à partir du moment où les ayants droit ont accepté la succession.

Avant 2006, en cas de renonciation, la part de l’héritier renonçant venait accroître la part des autres héritiers du défunt, selon le principe de la dévolution successorale. Ainsi, si un enfant, héritier d’un de ses parents, avait des frères et sœurs, sa part en cas de renonciation venait accroître celles de ses derniers. Mais cette part ne revenait pas aux enfants du renonçant.

La renonciation à succession était alors le plus souvent utilisée lorsque l’héritier ne voulait pas assumer les dettes du défunt ou parce qu’il ne souhaitait pas être un hériter du défunt pour des raisons personnelles.

La réforme de 2006 a donné un tout autre intérêt patrimonial à la renonciation, en l’articulant avec le principe de la représentation successorale.

Pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007, un héritier renonçant peut en effet se faire représenter par ses enfants afin qu’ils héritent à sa place. La renonciation à succession peut donc résulter d’une réelle stratégie patrimoniale de transmission, et non plus seulement être la décision prise face à une succession déficitaire ou par amertume envers le défunt.

Le formalisme de la renonciation reste le même : la renonciation doit être expresse et ne peut en aucun cas être tacite (article 804 du Code civil). La renonciation ne peut intervenir qu’après le décès.

Depuis la loi du 18 novembre 2016 (en vigueur au 1er novembre 2017), les notaires peuvent recevoir l’acte de renonciation. Auparavant, ils devaient adresser la déclaration de renonciation de l’héritier au greffe du Tribunal de grande instance du dernier domicile du défunt.

La réforme de 2006 et la représentation successorale d’un héritier renonçant

La représentation successorale permet aux descendants d’un héritier d’hériter à sa place. L’article 751 du code civil définit la représentation comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté ».

La représentation successorale permet donc de déroger à la règle du degré déterminée à l’article 744 du Code civil, selon laquelle l’héritier le plus proche en degré exclut l’héritier plus éloigné. La représentation successorale constitue donc un aménagement de la dévolution successorale légale. Le partage s’opère par souche.

Sans le mécanisme de la représentation, la part d’un héritier prédécédé viendrait accroître les droits des autres héritiers du défunt venant directement à sa succession.

Exemple

Monsieur A décède. Il avait 2 fils, B et C. B est décédé avant son père et avait un enfant B1.
Dans cette situation, B1 vient en représentation de son père et en perçoit la part successorale (moitié de la succession de A).
Sans le mécanisme de la représentation, le principe des degrés aurait exclu B1 de la succession de son grand-père A et son oncle C aurait été le seul héritier de la totalité de la succession.

La représentation successorale fonctionne à l’infini dans deux situations familiales uniquement :

Elle est donc exclue pour les successions « remontantes » (vis-à-vis d’un ascendant par exemple).

La représentation successorale nécessite également une pluralité de souches, c’est-à-dire que le défunt laisse au moins 2 enfants dans le cas d’une succession en ligne directe, ou qu’il y ait plusieurs frères et sœurs pour les successions en ligne collatérale.

La jurisprudence de la Cour de cassation a précisé qu’en présence d’une souche unique, il ne pouvait pas y avoir de représentation et que les héritiers dans cette situation venaient à la succession de leur propre chef, que ce soit en ligne directe ou en ligne collatérale. (Cass. 1ère Civ. 25 sept. 2013 ; Cass. 1ère Civ. 3 oct. 2019).

Exemple de dévolution légale sans représentation :

Monsieur A décède. Il avait une fille unique B, celle-ci est prédécédée et avait un enfant B1.
B1 hérite de la succession de son grand-père A, non par le principe de la représentation mais par le principe même des degrés puisqu’il n’y a plus d’héritier au degré supérieur.

Avant la réforme de 2006, la représentation successorale était admise seulement en cas de prédécès d’un héritier, ou d’indignité de ce dernier (depuis la loi du 3 décembre 2001, articles 726 et 727 du Code civil).

Pour les successions ouvertes depuis le 1er janvier 2007, la représentation fonctionne également en cas de renonciation à succession d’un héritier. Il est donc possible de venir en représentation d’un héritier de son vivant.

Ainsi :

  • un enfant renonçant sera représenté par ses propres enfants. Les petits-enfants viendront donc à la succession de leur grand-parent en concours avec leurs oncles et tantes.
  • les neveux et nièces pourront venir en représentation de leur auteur renonçant à la succession de leur oncle ou tante et en concours avec d’autres oncles et tantes et grands-parents.

 

Avant la réforme de 2006 :

Le petit-fils B1 n’hérite pas car la représentation successorale ne s’appliquait pas en cas de renonciation à la succession.

 

Après la réforme de 2006 :

Source : JUST DEEP CONTENT pour l’ESBanque

 

Quel impact sur la réserve héréditaire et sur le rapport à la succession ?

La représentation du renonçant est prise en compte pour la détermination de la réserve héréditaire et de la quotité disponible (article 913, alinéa 2 du Code civil). Dans ce cas, la renonciation n’a donc pas d’incidence sur la détermination de la quotité disponible.

Précisons que si le renonçant a reçu une donation en avancement de part successorale de la part du défunt, il pourrait être tenu au rapport en fonction des termes de l’acte. Si le renonçant est représenté, les donations qu’il a reçues s’imputent sur la part de réserve qui aurait dû lui revenir s’il n’avait pas renoncé, sauf volonté contraire du donateur (article 754, alinéa 3 du Code civil). Ainsi, ses descendants héritent seulement du reliquat.

Par ailleurs, si le renonçant a des enfants postérieurement à l’ouverture de la succession à laquelle il a renoncée, les enfants ayant été avantagés seront tenus au rapport dans la succession de leur auteur, afin de rétablir l’égalité avec les enfants qui n’ont pas pu intervenir par représentation (article 754 alinéa 2 du Code civil).

la renonciation à succession : les stratégies patrimoniales

Dans la majorité des cas, la renonciation à succession est utilisée pour favoriser les enfants lorsque l’héritier est déjà bien installé dans la vie et n’a pas besoin de patrimoine ou revenus supplémentaires. Cette situation le conduira à renoncer afin d’être représenté par ses propres enfants. Cette renonciation suivie d’une représentation permettra ainsi un saut de génération, ainsi que des économies de droits de succession comme nous allons le voir.

Dans d’autres situations familiales, la renonciation peut ne pas être suivie de représentation, celle-ci n’étant possible qu’en ligne directe descendante et en ligne collatérale privilégiée. La renonciation peut néanmoins constituer dans ce cas une stratégie patrimoniale pertinente. Elle permet en effet un allotissement différent de la dévolution successorale légale.

Ce sera le cas, par exemple, si le défunt sans postérité laisse pour lui succéder ses parents et son conjoint survivant. Si les parents renoncent à la succession, ils ne seront pas représentés et le conjoint survivant pourra hériter de toute la succession.
De la même manière, si le défunt laisse pour lui succéder ses frères et soeurs :  un frère sans postérité qui renonce ne sera pas représenté, mais sa part accroitra celles de ses frères et soeurs.
Ces renonciations permettent donc une redistribution différente du patrimoine.

la renonciation dans les dévolutions testamentaires ou l’assurance-vie

Concernant les dévolutions successorales avec testament, il est nécessaire d’être vigilant lors de la rédaction du testament. Si cette stratégie correspond aux objectifs patrimoniaux du testateur, la représentation devra explicitement être prévue au testament. A défaut, en cas de renonciation du légataire, ses descendants ne pourraient pas hériter à sa place.

La représentation est un principe dans une dévolution successorale sans testament, dite ab intestat. Elle ne l’est pas dans une dévolution testamentaire et doit donc être expressément prévue.

Il en va de même pour les clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie qui doivent être rédigées avec précaution afin que la renonciation d’un bénéficiaire entraîne les conséquences souhaitées en termes de stratégie patrimoniale. Effectivement, la représentation du renonçant bénéficiaire ne se présume pas.

Le souscripteur doit donc prévoir expressément le mécanisme de la représentation en désignant un ou des bénéficiaires par défaut aux bénéficiaires désignés en premier rang. La rédaction de la clause bénéficiaire ouvre de nombreuses possibilités mais doit être rédigée avec grande précaution pour que ses effets correspondent réellement aux souhaits du souscripteur.

la renonciation à succession : les risques de requalification en libéralité

Le législateur a exclu toute qualification de donation indirecte pour la renonciation à succession. Ainsi en laissant sa place à ses descendants, un enfant ne leur consent pas une libéralité.

Toutefois, il doit s’agir d’une véritable renonciation à succession (ni onéreuse, ni consentie au profit d’une personne désignée). A défaut, une donation serait caractérisée entraînant les conséquences civiles et fiscales d’une telle qualification.

Exemple

B a 2 enfants C et D. Il souhaite renoncer à la succession de son père mais en faveur de son enfant C uniquement. Cette opération serait considérée comme une libéralité en faveur de C et ne bénéficierait pas des effets civils et fiscaux du mécanisme de la renonciation à succession.

la renonciation à succession : conséquences fiscales

Il est important de rappeler tout d’abord que la renonciation doit être pure et simple, afin que l’administration fiscale ne puisse pas la contester sur le terrain de l’abus de droit fiscal.

avantage fiscal de la représentation en ligne directe

Lorsque la représentation s’applique en ligne directe, l’abattement se divise selon les règles de la dévolution légale (article 779 I alinéa 2 du CGI).

Ainsi si un héritier renonce à la succession de son père ou de sa mère et laisse deux enfants pour le représenter, son abattement de 100 000€ sera divisé par deux.
Chaque petit-enfant du défunt venant en représentation de son parent dans la succession de son grand-parent pourra bénéficier d’un abattement de 50 000€. Au-delà le tarif en ligne directe s’applique. Il est identique pour l’enfant et les petits-enfants.

Rappelons que si les petits-enfants venaient à la succession par testament de leur grand-parent, ils n’auraient pas d’abattement en sus de celui applicable aux tiers soit 1 594 €.

Lorsque le renonçant a reçu des donations de moins de 15 ans du défunt, ses descendants ne bénéficieront que de l’abattement résiduel.

Lorsque le défunt laisse une seule souche, une réponse ministérielle du 15 janvier 2013 a pris une position favorable. En effet, dans ce cas, les petits-enfants pourront bénéficier de l’abattement de leur auteur alors qu’ils viendront à la succession de leur propre chef, faute de pluralité de souches.

Exemple chiffré

Monsieur X décède en laissant pour lui succéder deux enfants A et B.
A a quatre enfants A1, A2, A3 et A4. Le patrimoine successoral net laissé par Monsieur X est de
1 000 000€.

Hypothèse 1 :

A et B acceptent la succession et A consent une donation de 500 000€ à ses quatre enfants.

Le montant des droits de succession serait de :

Part revenant à A : 500 000€
A déduire l’abattement d’un montant de 100 000€
Soit un net taxable de 400 000€
Droits de succession de 78 194€

Part revenant à B : 500 000€
A déduire l’abattement d’un montant de 100 000€
Soit un net taxable de 400 000€
Droits de succession de 78 194€

A consent une donation de 500 000€ à ses quatre enfants :

La fiscalité serait la suivante :

Part de chaque enfant : 125 000€
A déduire l’abattement de 100 000€
Soit un net taxable de 25 000€
Droits de donation par enfant : 3 194€
Total pour les quatre enfants de 12 776€.

Le coût global de la transmission pour la souche de A est donc de 90 970€.

Hypothèse 2 :

B accepte la succession. A renonce à la succession, et ses quatre enfants viennent à la succession de X par représentation. La fiscalité successorale serait la suivante :

Souche de A :

Part revenant à A1 : 125 000€
A déduire le quart de l’abattement de A : 25 000€
Soit un net taxable de 100 000€
Droits de succession 18 194€

Part revenant à A2 : 125 000€
A déduire le quart de l’abattement de A : 25 000€
Soit un net taxable de 100 000€
Droits de succession 18 194€

Part revenant à A3 : 125 000€
A déduire le quart de l’abattement de A : 25 000€
Soit un net taxable de 100 000€
Droits de succession 18 194€

Part revenant à A4 : 125 000€
A déduire le quart de l’abattement de A : 25 000€
Soit un net taxable de 100 000€
Droits de succession 18 194€

Droits de succession dus par la souche de A : 72 776€

Souche de B :

Part revenant à B : 500 000€
A déduire l’abattement d’un montant de 100 000€
Soit un net taxable de 400 000€
Droits de succession de 78 194€

Droits de succession dus par la souche de B : 78 194 €

L’économie globale de fiscalité pour la souche de A est de : 90 970 € – 72 776 € = 18 194 €

avantage fiscal de la représentation en ligne collatérale privilégiée

Lorsque la représentation joue en ligne collatérale, l’abattement des frères et soeurs d’un montant de 15 932€ se divise entre leurs descendants suivant les règles de la dévolution légale (article 779 IV alinéa 2 du CGI).

En sus, les neveux et nièces bénéficieront du tarif applicable entre frères et soeurs soit 35% jusqu’à 24 430€ et 45% au-delà. Ce tarif est donc plus intéressant que celui applicable aux neveux et nièces au taux unique de 55%.
Dans l’hypothèse d’une souche unique, l’administration fiscale refuse l’application de l’abattement et du tarif des frères et soeurs. Il est donc appliqué l’abattement personnel des neveux et nièces de 7 967€.

Point d’attention :

L’abattement en faveur des handicapés d’un montant de 159 325€ (sous conditions) est un abattement personnel qui ne joue pas en cas de représentation.

Ainsi, en ligne directe comme en ligne collatérale, la renonciation peut permettre une transmission dans un cadre fiscal favorable.

Fiscalement, la représentation ne s’applique que dans les successions sans testament.

Concernant les contrats d’assurance-vie, l’administration fiscale refuse l’application de la représentation fiscale.

En pratique, il convient alors de procéder à une double liquidation :

  • au titre de la succession légale : la représentation va s’appliquer avec les conséquences fiscales rappelées ci-dessus
  • au titre du contrat d’assurance-vie : les bénéficiaires viennent obligatoirement de leur propre chef.

Attention au risque d’abus de droit fiscal dans certaines situations :

L’administration fiscale considère que la renonciation de la sœur du défunt en son nom propre et au nom de ses enfants mineurs en faveur de sa mère, suivie de la donation d’une somme d’argent par la mère du défunt correspondant à l’actif successoral au profit de ses petits-enfants, ne présente aucun intérêt économique ou patrimonial. Elle permet uniquement d’imposer la transmission au barème en ligne directe au lieu de celui en ligne collatérale, entre oncle et neveux, plus onéreux. L’abus de droit se trouve alors caractérisé. (BOI-ENR-DMTG-10-50-80, n°290 ; RES n°2008/17(ENR) 22 juillet 2008).

 

renonciation à succession : comparatif avec le cantonnement

La faculté de cantonnement est un mécanisme comparable à la renonciation à succession dans la mesure où elle permet également de transmettre un patrimoine en abandonnant ses droits. Celui qui cantonne accepte le bénéfice de la libéralité mais en limite l’exercice. Il s’agit donc d’un autre outil de stratégie patrimoniale institué par la loi du 23 juin 2006.

Toutefois, le cantonnement se distingue de la renonciation à succession car il n’est nécessairement que partiel, et ce par exception au principe de l’indivisibilité de l’option successorale.

Le cantonnement est irrévocable. Par ailleurs, la question d’un possible cantonnement en démembrement reste en suspens.

Le cantonnement peut être exercé par le conjoint survivant bénéficiaire d’une donation entre époux (ou d’un legs universel ou à titre universel) ou un légataire, à condition que :

  • le défunt n’ait pas retiré la faculté de cantonnement dans la libéralité
  • la succession soit acceptée par au moins un héritier.

Concernant le conjoint survivant, précisons que le cantonnement d’un avantage matrimonial n’est pas admis.

En pratique, le cantonnement est mis en œuvre pour des successions bénéficiaires, lorsque le conjoint survivant ou le légataire dispose d’une situation patrimoniale bien établie. En outre, il peut être utilisé par un bénéficiaire d’une libéralité réductible, afin d’éviter le mécanisme de la réduction.

Le cantonnement exclut de la même manière que la renonciation toute qualification en donation indirecte (articles 1002-1 et 1094-1 alinéa 2 du Code civil). Ainsi, les héritiers bénéficiant par ricochet du cantonnement du conjoint ou du légataire ne sont pas considérés comme des donataires du conjoint ou dudit légataire.

Par conséquent, le légataire ne sera soumis aux droits de succession que sur la part qu’il conserve, et les héritiers qui reçoivent une part plus importante (que celle prévue par la dévolution légale) dans la succession seront imposés aux droits de succession en fonction de leur lien de parenté avec le défunt.

Ainsi, le cantonnement est à côté de la renonciation à succession un outil précieux de stratégies patrimoniales.

 

Il est donc important d’attirer l’attention des héritiers sur le fait qu’au moment d’une succession, des choix stratégiques permettent des optimisations patrimoniales et fiscales. Ainsi, la renonciation permet de sauter une génération ou de transmettre à d’autres héritiers. On évite ainsi le coût d’une double transmission de patrimoine ou d’une donation future.

Le rôle du professionnel du patrimoine est donc crucial lors de l’ouverture d’une succession. Ses conseils permettront de mettre en place une stratégie patrimoniale et fiscale répondant aux objectifs des héritiers.

 

Auteurs
Charlotte MÂLON 

Notaire collaborateur et formateur intervenant à L’ESBanque pour le CESB CGP

Pourquoi ouvrir un PER à son enfant mineur ?

Pourquoi ouvrir un PER à son enfant mineur ?

Temps de lecture estimé : 9 min

Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

Préparer la future retraite de ses enfants, transmettre son patrimoine dans de bonnes conditions fiscales, maitriser l’utilisation des fonds, préparer l’acquisition de la future résidence principale de ses enfants, baisser ses impôts autant d’atouts que présentent le Plan Epargne Retraite, souscrit par un enfant mineur. Nous vous expliquons pourquoi. 

 

SOMMAIRE

  • Souscription à un PER pour un mineur
  • Clause d’inaliénabilité en Assurance vie vs PER : le match
  • Origine des fonds
  • Les avantages d’ouvrir un PER pour un mineur
  • Pourquoi souscrire le plus tôt possible ? 
 

Souscription à un PER pour un mineur

 

Qui peut souscrire ?

La loi Pacte de mai 2019, qui a créé le Plan Epargne Retraite, n’a soumis à aucune condition d’âge, la souscription d’un PER. Toutefois, la pratique est toute autre, puisque les assureurs ont pu insérer dans leurs conditions générales des contrats, ce qui est tout à fait légal, une condition d’âge pour la souscription d’un Plan Epargne Retraite. 

Si à ce jour, certains assureurs le réservent uniquement aux personnes majeures de plus de 18 ans, d’autres l’ont ouvert aux mineurs soit sans aucune condition d’âge, conformément à l’esprit et au texte de la loi Pacte, soit sous condition d’âge de plus de 12 ans, voire de plus de 16 ans. 

 

Comment souscrire ?

C’est très simple. L’adhésion à un PER mineur nécessite l’accord des 2 représentants légaux qui signent alors les documents de souscription (acte de disposition) et peuvent gérer le contrat jusqu’à la majorité de leur enfant, en leur qualité de représentants légaux disposant de l’autorité parentale.  

Dès lors que l’enfant mineur dispose de ses deux parents, ces derniers doivent donner un accord commun à la souscription du PER, au même titre qu’un contrat d’assurance vie. En cas de désaccord entre eux, l’autorisation du juge des tutelles est nécessaire. 

Une seule exception existe à ce principe d’administration légale des parents : lorsqu’un bien fait l’objet d’une donation à un mineur sous condition qu’il soit administré par un tiers administrateur désigné par le donateur lui-même2. 

Par exemple, il serait possible à chacun des grands-parents de réaliser une donation de sommes d’argent à ses petits-enfants, bénéficiant chacun d’un abattement de 31 865 €, avec obligation de remploi des sommes données dans la souscription d’un PER par l’enfant mineur et désignation d’un tiers administrateur autre que le ou les parents. Dans ce cas, les signataires des documents de souscription PER seront les tiers administrateurs désignés dans l’acte de donation avec dérogation au principe de l’administration légale des parents. L’avantage fiscal ici réside notamment dans le fait que les primes versées sur le PER issues de la donation des grands-parents aux petits-enfants viendront réduire l’IR du foyer fiscal des parents auquel est rattaché le mineur. Une bonne combinaison pour répondre aux objectifs de constitution de droit retraite, transmission intergénérationnelle, protection et limitation du coût fiscal.  

 

Clause d’inaliénabilité en Assurance vie vs PER : le match

 

Il a souvent été reproché au PER, sa date de sortie à l’échéance, à savoir la retraite. D’où l’utilisation du terme de « contrat tunnel ». Sauf que cette indisponibilité peut constituer un point positif, notamment dans le cadre d’une souscription mineur.  

Car lorsque les parents ou les grands-parents réalisent une donation de sommes d’argent à leur(s) enfant(s)/petit(s)-enfant(s), ils souhaitent habituellement que le bénéficiaire mineur de cette donation utilise à bon escient les sommes transmises une fois devenu majeur, et notamment l’utilise à l’affectation d’un investissement immobilier par exemple. 

Il est alors possible de prévoir dans le cadre de la donation de sommes d’argent à son enfant, une condition de réinvestissement obligatoire des fonds dans un contrat d’assurance vie. C’est ce qu’on appelle une « donation avec charge ». 

Mais comment faire pour éviter que les fonds ne soient dilapidés dès la majorité du bénéficiaire de la donation, puisque le mineur devenu majeur retrouve sa capacité juridique de gérer seul son contrat et de réaliser les opérations de rachats le cas échéant.  

 

1ère Solution

Prévoir dans l’acte de donation, une clause d’inaliénabilité des fonds, même réemployés dans un contrat d’assurance vie. Le mineur devenu majeur devra alors attendre la date indiquée dans l’acte de donation pour pouvoir réaliser seul, les opérations de rachats sur le contrat d’assurance vie souscrit en remploi des sommes données, afin de pouvoir récupérer celles-ci. Cependant, cette clause d’inaliénabilité est limitée à ses 25 ans. Au-delà, il n’est pas possible de le priver de son droit au rachat sur le contrat d’assurance vie et de disposer librement des fonds.  

Pire, cette clause d’inaliénabilité pourrait être remise en cause judiciairement par le donataire lui-même, devenu majeur, en démontrant que cette indisponibilité lui cause un préjudice, le juge pouvant alors, selon les cas, lever cette indisponibilité avant ses 25 ans, notamment en cas de besoin de liquidités.   

 

Est-ce la meilleure solution ?

La souscription d’un PER, qui apparaît être aujourd’hui la seule solution permettant de limiter l’utilisation des fonds par le donataire, tout en lui permettant de débloquer les sommes de manière anticipée, et ce, pour leur pleine propriété, pour des cas strictement énoncés par la loi, et notamment pour l’acquisition de la résidence principale.  

Il ne faudra cependant pas occulter la fiscalité de sortie anticipée pour cause d’acquisition de la résidence principale, puisque dans ce cas, les primes rachetées seront intégrées à l’assiette taxable de l’IR du bénéficiaire du rachat et les intérêts, au PFU ou option IR + Prélèvements sociaux. Mais dès lors qu’il existe un écart de tranche d’IR entre celui des parents et l’enfant devenu majeur détaché fiscalement, un gain fiscal pourra être constaté. 

 

Existe-il d’autres solutions ?

Une donation démembrée avec réserve d’usufruit viager ne permet pas d’arriver strictement à la même solution (indisponibilité des sommes jusqu’à la retraite sauf sorties anticipées), même si on s’en rapproche sans toutefois l’égaler, puisque le nu-propriétaire devra attendre l’extinction de l’usufruit par décès (date non maitrisable) pour devenir plein propriétaire et commencer à percevoir les revenus. Sachant que l’usufruitier pourra dépenser les revenus, qui ne reviendront alors pas au nu-propriétaire à terme, contrairement à la stratégie PER Mineur.  

Même solution pour la donation à terme qui permet de transmettre sans se démunir, en retenant le bien objet de la donation jusqu’à une certaine date précisée dans l’acte de donation, dont la plus tardive est celle du décès du donateur. Mais cette solution ne permet pas au donataire de récupérer le bien de manière anticipée, sauf à le prévoir expressément dans l’acte de donation.   

 

Origine des fonds

 

Pour justifier qu’un enfant mineur dispose de 4 114 €4 sur son compte bancaire chaque année pour réaliser des versements sur son PER, il faut justifier soit d’un acte de donation, soit tout simplement de présent(s) d’usage5 

Le bénéficiaire de la donation de somme d’argent n’ayant pas plus de 18 ans car s’agissant d’un mineur, il ne sera pas possible d’utiliser l’abattement de 31 865 € applicable aux dons familiaux de sommes d’argent (art. 790 G CGI) puisque le bénéficiaire doit être majeur. Il sera cependant possible d’utiliser le don manuel (cerfa 2735) de biens (art. 757 CGI), en ce compris la donation d’une somme d’argent, et bénéficier de l’abattement de droit commun de 100 000 € en ligne directe, ou de 31 865 € lorsque le donateur est un grand-parent.  

PS : Attention à ne pas confondre l’abattement de 31 865 € applicable aux donations de somme d’argent de l’article 790 G du CGI soumis à condition d’âge (donataire > 18 ans, donateur < 80 ans), et l’abattement de droit commun de même montant en cas de don manuel entre grand-parent et petit-enfant, mais sans condition d’âge cette fois-ci (art. 757 CGI).  

Quant au présent usage, qui n’est soumis à aucune formalité déclarative, il s’agit de transmettre une somme modique pour un ou plusieurs événements particuliers dans l’année (anniversaire, fête religieuse, diplôme…). La jurisprudence a reconnu qu’il s’agissait d’un présent d’usage dès lors que le transfert des sommes ne représentait pas plus de 2.5% environ du patrimoine et/ou des revenus annuels pour un même foyer fiscal. Il serait donc possible, dès lors que l’événement particulier est justifié, de transmettre jusqu’à 2.5% de son patrimoine6 chaque année pour un même foyer fiscal, à ses enfants, sans réaliser de déclaration auprès de l’administration fiscale, et préserver les abattements disponibles pour les donations.  

 

 

Les avantages d’ouvrir un PER pour un mineur

 

Une baisse d’impôt pour tous

L’enfant mineur étant rattaché fiscalement au foyer de ses parents, ces derniers bénéficieront de la diminution de l’assiette taxable à l’IR, générée par le versement des primes de l’enfant mineur sur son PER issus d’un présent d’usage ou d’une donation des grands-parents par exemple.  

Le mineur rattaché fiscalement bénéficie de son propre disponible fiscal retraite. Lorsqu’il ne travaille pas ou peu, le minimum déductible correspond à 10% du plafond annuel de la sécurité sociale (PASS) de l’année précédente, soit 4 114 € pour les revenus 2022, et 4 399 € pour les revenus 2023 déclarés en 2024. 

Et comme tout contribuable, il est possible d’utiliser les plafonds non utilisés des 3 dernières années, soit un cumul possible de versement sur le PER Mineur, déductible de l’IR du foyer fiscal, de plus de 16 000 € en une seule fois la même année. Il faudra toutefois pouvoir justifier que le mineur dispose de 16 000 € sur son compte bancaire (voir point précédent « Origine des fonds »).  

 

Un encadrement des sommes pour l’acquisition de la résidence principale

Lorsque le mineur devenu majeur souhaitera acquérir sa résidence principale, il pourra déloquer son PER de manière anticipée, sans attendre la retraite, et récupérer les primes versées et les intérêts générés pour les affecter à l’opération immobilière. Avec l’augmentation des taux de crédit et les besoins d’apport personnel de plus en plus élevés demandés par les banques dans le cadre d’un prêt immobilier, la souscription d’un PER apparait être une bonne solution pour l’acquisition future de la résidence principale du mineur, qui deviendra majeur.  

Les primes débloquées seront certes réintégrées dans la base taxable à l’IR du majeur. Mais si ce dernier est détaché fiscalement du foyer fiscal de ses parents et qu’il commence tout juste à travailler, sa tranche marginale d’imposition devrait être inférieure à celle de ses parents, ce qui constitue un gain fiscal non négligeable : les parents ayant défiscalisé les primes (par exemple sur une TMI à 30%, 41% ou 45 %), et le mineur devenu majeur pourra être soumis lors du rachat des primes à une TMI à 0% ou 11% (tout du moins au début d’activité).  

 

Une sortie en capital ou en rentes

En l’absence de déblocage anticipé, le mineur devenu majeur pourra, au moment de sa retraite, sortir en rentes ou en capital, fractionné ou non, ou réaliser un mix des deux. Et s’il ne le débloque pas à la retraite (puisque ce n’est pas une obligation), alors les capitaux décès seront versés aux bénéficiaires désignés dans le cadre du PER Assurance, sans reprise de la défiscalisation des primes à l’entrée.  

 

Un avantage fiscal supplémentaire sous réserve de versement régulier des primes pendant 15 ans

Mieux encore, si les primes ont été versées de manière régulière tant en termes de fréquence qu’en terme de montant durant les 15 ans avant le départ retraite du mineur devenu majeur, en cas de décès en phase d’épargne, avant son 70ème anniversaire, les capitaux décès transmis aux bénéficiaires désignés du PER Assurance seront totalement exonérés de fiscalité de l’article 990 I du CGI, et ce, quel que soit le bénéficiaire. Un argument supplémentaire pour verser de manière régulière chaque année sur son PER, y compris pour une souscription mineure 

 

Pourquoi souscrire le plus tôt possible ?

 

Même si l’horizon de la retraite peut être très lointain pour un enfant mineur, l’application de la formule des intérêts composés sur le fonds euros, ou une stratégie d’investissements UC diversifiées long terme… permettra, selon les investissements réalisés et supports choisis, de doubler voire de tripler les sommes disponibles une fois la retraite venue. Car comme l’affirment certains, « Les intérêts composés sont la huitième merveille du monde. Celui qui le comprend s’enrichit, celui qui ne le comprend pas, le paie ».  

Commencer le plus tôt possible, pour se constituer des droits retraites, même lorsque l’on est mineur, peut être utile et pertinent, notamment lorsque l’on sait que les futures générations percevront un niveau de pension inférieur à celui de leurs ainés.  Se constituer une retraite par capitalisation prend alors tout son sens, sans occulter bien entendu la fiscalité de sortie, avec une combinaison possible via l’assurance vie classique pour bénéficier cette fois-ci de la disponibilité des sommes sans possible défiscalisation des primes. 

On évitera cependant d’ouvrir un PER mineur dans le seul but de défiscaliser l’IR des parents car dans ce cas, l’objectif principal est fiscal et l’administration pourrait avoir des choses à redire. Il est de la responsabilité du professionnel de la gestion de patrimoine d’en informer son client.

Ainsi, proposer l’ouverture d’un contrat PER à un mineur, en parallèle d’un contrat d’assurance vie, pour lui permettre de se constituer, en premier lieu, des futures droites retraites est donc tout à fait possible, et apparait être une bonne stratégie et un bon conseil.  

 

Auteur

Benoît BERCHEBRU

Directeur de l’Ingénierie Patrimoniale chez Nortia groupe DLPK, intervenant en Master 2 Gestion du Patrimoine diplôme RNCP Niveau 7 à l’ESBanque

Sources:

  • article 382 du code civil 
  • article 384 du code civil 
  • article 790 G CGI (Don familiale de sommes d’argent sous conditions d’âge : donateur < 80 ans ; donataire > 18 ans)
  • article 757 CGI (Don entre grand(s)-parent(s) et petit(s)-enfant(s))
Protection du conjoint survivant : des droits légaux accrus mais pour autant suffisants ?

Protection du conjoint survivant : des droits légaux accrus mais pour autant suffisants ?

Temps de lecture estimé : 9 min

Longtemps « parent pauvre » des successions, le conjoint dispose de droits légaux nettement plus importants depuis les lois de 2001 et de 2006 ainsi que de l’exonération de droits de succession depuis la loi TEPA (Travail, Emploi et Pouvoir d’Achat) de 2007.

Néanmoins, ces droits sont-ils suffisants dans un contexte où l’espérance de vie et le coût de la dépendance augmentent ?

La fameuse donation au dernier vivant est-elle la solution à privilégier alors qu’il existe de nombreux autres outils pour accroître la protection du conjoint ? L’intervention d’un conseil en gestion de patrimoine est ici incontournable.

un accroissement notable des droits légaux du conjoint

du code napoléon

« Il n’y a que la parenté civile qui donne le droit de succéder » précisait au 18ème siècle Robert-Joseph Pothier dans l’un de ces traités de droit (Pothier, introduction au titre des successions, n° 13).

En 1804, le conjoint n’a de vocation successorale que dans des cas exceptionnels : les biens ne doivent pas sortir de la famille, le lien de sang prime le lien d’alliance.
Ainsi que le dicte l’article 731 du code Napoléon dans sa première version, « les successions sont déférées aux enfants et descendants du défunt, à ses ascendants et à ses parents collatéraux, dans l’ordre et suivant les règles ci-après déterminés. » Point de conjoint survivant dans ces textes.

Parent pauvre de la succession, il n’a de droits successoraux qu’en l’absence d’héritiers jusqu’au 12e degré (Art. 755, C.civil de 1804) !

aux lois de 2001, 2006 et loi tepa de 2007

Grâce à la réforme du 3 décembre 2001, puis à celle du 23 juin 2006, les droits successoraux légaux du conjoint ont été considérablement modifiés et augmentés.

Le conjoint successible devient un héritier de premier rang et héritier réservataire en l’absence de descendants (C.civ art. 914-1).
Le conjoint successible est le conjoint non divorcé (C.civ. art. 732).
Ainsi, en cas de jugement de séparation de corps ayant force de chose jugée ou de procédure de divorce, le conjoint reste un successible.

Depuis 2001, les droits légaux du conjoint survivant, c’est à dire en l’absence de toute disposition testamentaire, sont les suivants :

En présence d’enfants (C.civ. art. 757)

En présence d'enfants communs uniquementEn présence d'un enfant non commun du défunt
Droits légaux du conjoint survivant sur la masse successorale du défunt100% en usufruit
ou
1/4 en pleine propriété
1/4 en pleine propriété
En l’absence d’enfant et en présence d’autres héritiers
Présence et qualité des héritiers du défunt
Droits légaux du conjoint survivant sur la masse successorale du défunt
Seulement le père ou la mère
¾ en pleine propriété
Père et mère
½ en pleine propriété
Frères et sœurs
100 % en pleine propriété
sauf droit de retour de la moitié des biens de famille

Autres héritiers
100 % en pleine propriété
Les réformes de 2001 et 2006 instituent également de nouveaux droits au conjoint survivant visant à maintenir son niveau de vie :

  • Des droits considérés comme « effet direct du mariage » : ces droits sont d’ordre public. Ils ne peuvent pas être supprimés par une décision testamentaire. Ils concernent :
    • le droit au logement occupé à titre d’habitation principale pendant un an (C.civ. art.763, al.1), aux conditions que le conjoint occupe effectivement le logement à titre d’habitation principale au jour du décès, et que le dit logement appartienne aux deux époux ou dépende totalement de la succession. Ce droit ne s’impute pas sur la part successorale du conjoint.
    • le droit pour le conjoint locataire du logement qu’il occupe de demander à la succession une année de loyers s’il était locataire (C.civ. art. 763, al.2).
    • le droit pour le conjoint de demander une pension lorsqu’il est dans le besoin au jour du décès (C.civ. art. 767).
  • Des droits successoraux, dont le conjoint peut être privé par testament :
    • Droit de demander le bénéfice du droit viager d’habitation sur le logement occupé à titre de résidence principale (sauf s’il en était locataire) et d’usage sur le mobilier (C.civ. art. 764, al.1). Le conjoint devra opter pour ce droit dans l’année suivant le décès et ce droit s’impute sur sa part successorale. Les héritiers pourront exiger l’établissement d’un état de l’immeuble et d’un inventaire des meubles. Le conjoint devra entretenir le bien et supporter les charges afférentes.
    • Droit pour le conjoint titulaire du droit viager de louer le logement inadapté à ses besoins (C.civ. art. 764, al. 4) mais uniquement dans ce cas. Hors cette condition, le conjoint ne peut pas louer le bien ou vendre ses droits.
    • Droit de demander la conversion de l’usufruit en rente viagère, à charge de soulte s’il y a lieu. Cette attribution préférentielle peut aussi porter sur l’entreprise ou le local à usage professionnel (C.civ. art. 831 ss).

pour autant, des droits fragiles et partagés

le conjoint peut être déshérité

Contrairement à l’idée reçue qui veut que le mariage crée des droits impératifs au profit du conjoint survivant, rappelons que ce dernier ne bénéficie que d’une expectative, d’un droit éventuel sur la succession, par définition incertain.

« Dura lex sed lex » (la loi est dure mais c’est la loi) : à l’exception des droits d’ordre public que nous venons de voir et des situations spécifiques où il est réservataire, le conjoint survivant peut être totalement ou partiellement déshérité par son époux par voie testamentaire.

À noter

Un testament olographe permet de déshériter le conjoint survivant de tous ces droits à l’exception du droit viager au logement qui requiert un testament authentique.

Cas où le conjoint survivant est réservataire et ne peut être totalement déshérité

Dans la situation où le défunt ne laisse pas de descendant, le conjoint qui souhaite déshériter l’autre ne peut le faire qu’à concurrence des trois quarts de ses biens (C.civ. art. 914-1). Le conjoint survivant est alors réservataire pour ¼ en pleine propriété.

des droits légaux mais partagés

Une succession qui s’ouvre sans que le défunt n’ait prévu de dispositions particulières (testament, legs, donations), succession dite « ab intestat », ou sans que les époux n’aient procédé à des modifications conventionnelles de leur régime matrimonial (conventions matrimoniales, avantages matrimoniaux), voit s’appliquer les règles prévues pour les dévolutions successorales légales.

La loi détermine alors les personnes qui héritent et leur part d’héritage sans qu’un choix n’ait été préalablement fait par les époux ou par un seul d’entre eux. Le survivant subit les règles imposées par la loi et son « sort » post-successoral n’est pas toujours celui qu’il espérait ou, a fortiori, celui qui le protège le mieux.

Face aux droits que leur confère la loi, beaucoup de conjoints successibles se retrouvent à devoir partager avec les autres héritiers les pouvoirs de gestion et de disposition des biens de la succession de leur époux, y compris lorsqu’il dispose de l’emblématique droit de propriété.

Comme nous l’avons vu, en présence d’enfants communs, le survivant des époux peut opter pour l’usufruit universel ou le quart en pleine propriété portant sur les biens composant la succession. Le droit de propriété est donc susceptible de division.

Le démembrement de propriété

Dans le cas où le conjoint survivant opte pour la totalité de la succession de son époux en usufruit, quels sont ses droits économiques ?
Pour tout un chacun, l’usufruit c’est le droit de jouir du bien. Jouir c’est le droit de percevoir les fruits d’un bien, loyers, dividendes, revenus, mais l’usufruit comprend aussi le droit d’user et/ou d’habiter le bien s’il est immeuble.
Parallèlement à ces droits, l’usufruitier a des obligations. Il doit conserver la substance du bien :

  • Il ne peut donc en vendre seul la pleine propriété.
  • Il doit assumer les charges liées à son droit, réparations d’entretien, impôts foncier et local, assurances du bien.
  • Il peut perdre son droit d’usufruit.
    En dehors du cas d’extinction pour non-usage pendant trente ans ou « par la perte totale de la chose sur laquelle l’usufruit est établi » (C.civ.art. 617), il peut être déchu de son droit pour abus de jouissance parce qu’il n’a pas obéi à son obligation de conservation de la substance du bien en le détériorant, en le laissant dépérir, voire en le détruisant (C.civ.art. 618).
  • Il peut subir la demande de conversion de son usufruit en rente viagère par le nu-propriétaire, ce qui conduit l’usufruitier à perdre notamment les droits d’usage, d’habitation et de jouissance si la conversion porte sur l’usufruit d’un bien immeuble.

Nous constatons que l’usufruitier, au contraire du plein propriétaire, ne peut disposer du bien librement et doit rendre des comptes au nu-propriétaire à tous les moments de la vie de son droit d’usufruit.
La succession peut donc déboucher sur un démembrement du droit de propriété qui empêche l’usufruitier comme le ou les nus-propriétaires de disposer des pouvoirs exclusifs propres au droit de propriété sur les biens démembrés entre eux.

Enfin, dans les situations de démembrement de propriété à l’international, les droits du conjoint survivant et donc sa protection peuvent être différents qu’en France. 

 

L’indivision

Si le conjoint opte pour le quart en pleine propriété, il peut se retrouver en situation d’indivision sur certains biens qui sont alors détenus par lui-même et aussi par les héritiers, au prorata de leurs droits.Les règles de gestion de l’indivision ont été modifiées par la loi du 23 juin 2006.
Si l’unanimité reste requise pour les actes de disposition (C.civ.art. 815-3, al.4) le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent accomplir les actes d’administration.
En revanche, tout indivisaire peut, à sa discrétion, demander le partage amiable des droits indivis (C.civ.art. 815),voire provoquer le partage par voie judiciaire (C.civ. Art. 1686), ce qui révèle la grande précarité de cette situation juridique.

En présence d’enfants et dès lors que la succession tombe sous le coup de la loi, le conjoint survivant n’a aucune chance de se voir attribuer la pleine propriété sur la totalité des biens et doit accepter le principe et le risque que les droits attachés à la propriété soient partagés, qu’il soit attributaire de la quotité disponible du quart en pleine propriété ou de l’usufruit, avec toutes les conséquences pécuniaires et fiscales que ce partage implique, et que la plupart du temps, il subit inexorablement.

nécessité de recourir à un conseil

L’espérance de vie moyenne (homme-femme) est passée de 1900 à 2019, de 48 ans à 82 ans et nous avons gagné 50 ans d’espérance de vie depuis l’époque napoléonienne.
Si la transmission du patrimoine à la famille (au détriment du conjoint survivant) était l’objectif successoral primordial au début du 19ème siècle, c’est souvent désormais le patrimoine qui doit être mis au service de la protection du survivant des époux.
Nous venons de constater pourquoi et comment certains des droits du conjoint survivant peuvent être amoindris, pire, comment il peut en être dépossédé.

Il est alors souvent pratiqué une donation entre époux ou donation au dernier vivant, pour accroître les droits du conjoint. Mais cette donation n’assure pas dans tous les cas une protection suffisante.

la donation au dernier vivant, souvent insuffisante

Deux idées reçues, et couramment répandues, voudraient que, grâce à l’exonération des droits de succession au profit du conjoint (CGI, art. 796-0 bis); loi TEPA 21 août 2007) et grâce à une donation au dernier vivant réciproque, le conjoint survivant bénéficierait d’un véritable protection civile et fiscale.

Mais attention :

  • Un avantage fiscal ne doit jamais être vu comme une incitation à ne plus se pencher sur l’aspect économique des règles matrimoniales et patrimoniales qui s’appliquent pendant et après le mariage. A quoi sert-il d’être exonéré d’impôt sur des droits réduits ou partagés ?
  • Une donation au dernier vivant (C.civ. art. 1094-1), pour autant qu’elle puisse conférer plus de droits au conjoint survivant, ne permet pas de « tout donner » au conjoint dès lors que des descendants sont en concurrence grâce à leur intangible réserve héréditaire.

Savoir utiliser la liberté contractuelle dont disposent les conjoints

Article 1387 du code civil

« La loi ne régit l’association conjugale, quant aux biens, qu’à défaut de conventions spéciales, que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos… ».

A l’heure où l’allongement de la durée de vie a pour effet un nombre croissant de personnes dépendantes (1,4 millions en 2020, 2 millions à l’horizon 2040), l’indépendance économique du conjoint survivant et son autonomie de vie sont des sujets cruciaux.

Il devient alors indispensable pour les époux d’anticiper leur succession et d’améliorer non seulement les droits légaux du conjoint mais également la classique donation au dernier vivant en recourant aux dispositions contractuelles dont ils peuvent disposer.

Cette liberté contractuelle signifie que le couple peut choisir avant ou pendant le mariage :

  • le régime matrimonial « sur mesure » qui correspond à ses objectifs de vie commune
  • les clauses à effet posthume tels que les avantages matrimoniaux qui assureront la protection économique la mieux adaptée au survivant d’entre eux

En savoir plus : avocats.fr « Avantage matrimonial »

Même si personne n’est censé ignorer la loi, que peut faire d’une telle liberté contractuelle la personne qui n’en a pas connaissance ?
C’est ici que la consultation d’un conseil en gestion de patrimoine est indispensable pour s’informer et adapter son patrimoine à la réalisation de ses objectifs de vie.

Auteur

Jean-Guy Pécresse

Intervenant formateur pour le CESB CGP – Conseiller en gestion de patrimoine

Le quasi-usufruit : un démembrement de propriété atypique

Le quasi-usufruit : un démembrement de propriété atypique

Temps de lecture estimé : 13 min

Usufruit, nue-propriété, ces termes deviennent communs aujourd’hui car souvent rencontrés dans des opérations patrimoniales courantes. Le démembrement d’un bien, c’est-à-dire sa détention en usufruit d’une part et en nue-propriété d’autre part, est une pratique maintenant répandue, qu’elle soit subie lors d’une transmission successorale par exemple ou qu’elle soit anticipée lors d’une donation.

Une autre technique de démembrement de propriété, le quasi-usufruit, reste mal connue et surtout moins utilisée dans les stratégies d’organisation patrimoniale. Le quasi-usufruit confère des droits apparemment très étendus à son détenteur.

Quasi-usufruit ou quasi-propriété ? Point sur cette technique de démembrement spécifique.

qu’est-ce que le quasi-usufruit ?

la notion de propriété

« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. » (C.civ. Art. 544)

Le droit de propriété, droit réel le plus complet, est l’addition de :

  • L’usus : le droit d’user d’un bien
  • Le fructus : le droit d’en percevoir les fruits
  • L’abusus : le droit d’en disposer

L’ensemble de ces droits sont des droits réels.

Droit réel : un droit réel est un droit qui porte directement sur la chose à la différence d’un droit personnel attaché à la personne qui oblige une autre personne à exécuter une prestation (droit de créance).

le démembrement de la propriété : usufruit et nue-propriété

L’usufruit est une partie du droit de propriété, il est l’addition des deux droits d’usage et de jouissance : « L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. » (C.civ. art.578).

Ce droit autorise donc l’usufruitier à :

  • User de la chose (droit d’usage) : utiliser un outil, des meubles, habiter un logement…
  • Jouir de la chose (droit de jouissance) : percevoir les loyers, toucher les dividendes d’actions, les intérêts d’obligations

En contrepartie, l’usufruitier a l’obligation de conserver la substance de la chose.

Il ne peut donc ni la vendre, ni la détruire, ni la donner, ni en modifier la destination (transformer un local commercial en local d’habitation), il a l’obligation de conformer ses droits à l’usage qu’en faisait l’ancien propriétaire.

Usufruit = Usus (droit d’user) + Fructus (droit de percevoir les fruits)

Le troisième droit, celui de disposer, appelé nue-propriété, est un droit distinct et indépendant de l’usufruit.

Paradoxalement, ce droit n’autorise pas le nu-propriétaire à disposer de la pleine propriété du bien. Il disposera du bien à l’extinction de l’usufruit, c’est-à-dire soit au terme de la durée pour laquelle l’usufruit était prévu s’il s’agit d’un usufruit temporaire, soit au décès de l’usufruitier s’il s’agit d’un usufruit viager.

Nue-propriété = Abusus (droit de disposer à l’extinction de l’usufruit).

Possibilité de disposer de chacun des droits d’usufruit et de nue-propriété

L’usufruit et la nue-propriété sont des droits réels.

Si, ni l’usufruitier, ni le propriétaire n’a vocation à disposer de la pleine propriété, sauf accord commun, pour autant l’usufruitier comme le nu-propriétaire peuvent aliéner leur droit propre (C.civ. art. 595).

La durée de l’usufruit en cas de cession du droit est limitée à la durée de vie du cédant et non du cessionnaire.

En savoir plus : notaires.frComprendre l’usufruit

le quasi-usufruit

Un usufruit sur des biens meubles consomptibles 

A l’usufruit classique, succède dans le Code civil à l’article 587 la définition du quasi-usufruit : « Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution. » (C.civ. art. 587)

Le quasi-usufruit, tel qu’il est défini par la loi, a donc pour particularité de s’appliquer spécifiquement sur des biens que l’on ne peut pas utiliser sans les consommer. Ces biens sont dit consomptibles.

La consomptibilité est la qualité des choses dont on ne peut faire usage sans les détruire (denrées alimentaires) ou sans les aliéner (espèces monétaires).

N.B : Nous verrons plus loin que la pratique du droit a étendu l’application de l’usufruit à certains biens meubles non consomptibles dans le cadre d’un quasi-usufruit conventionnel.

Il faut noter également que la pratique du quasi-usufruit n’est pas la même à l’international et que d’autres pays l’appliquent différemment. 

Valeur du quasi-usufruit

La valeur fiscale du quasi-usufruit, utilisée pour les calculs de droits de mutation à titre gratuit, est la même que celle de l’usufruit : barème selon l’âge de l’usufruitier dans le cas d’un usufruit viager (CGI art. 669) ou 23 % de la valeur en pleine propriété par période de 10 ans dans le cas d’un usufruit temporaire (CGI art. 669.II).

La valeur économique de l’usufruit est égale à la différence entre la valeur en pleine propriété du bien et la valeur actualisée de la créance de restitution sur l’espérance de vie de l’usufruitier. La difficulté de cette évaluation réside dans la fixation du taux d’actualisation.

Dès lors que le bien se détruit ou est aliéné lors de son utilisation, le quasi-usufruitier ne peut en conserver la substance. En utilisant le bien, il se comporte comme un plein propriétaire.

Peut-il pour autant disposer du bien de la même manière qu’un propriétaire ?

La réponse est négative. La conservation de la substance est nécessaire dans le démembrement classique comme nous l’avons vu pour préserver le droit de propriété future (abusus) du nu-propriétaire.

Il en est de même pour le quasi-usufruit : pour reconnaître et maintenir le droit du nu-propriétaire, il est nécessaire de constater en sa faveur une créance sur le quasi-usufruitier.

La créance de restitution 

Le quasi-usufruitier a donc une obligation de restitution : comme le dicte l’article 587 du Code civil, l’usufruitier a l’obligation de restituer ce qu’il a consommé ou aliéné à la fin de l’usufruit, cette restitution pouvant prendre la forme d’une restitution en nature ou en valeur au profit du nu-propriétaire qui bénéficiera donc d’un droit de créance sur la succession de l’usufruitier appelé créance de restitution.

En cas de restitution en valeur, le code civil indique qu’il s’agit de la valeur estimée du bien, c’est-à-dire la valeur qu’aura le bien, à la date de la restitution.

Cette méthode de valorisation appelle un commentaire particulier en ce qui concerne la monnaie ou une somme d’argent comparativement aux autres biens consomptibles.

Si le quasi-usufruit porte sur une somme d’argent, il est possible de restituer cette somme par la même monnaie et le même montant. La restitution a alors lieu en nature. De facto, la somme existante à la naissance du quasi-usufruit est la même que celle lors de la restitution de la créance au nu-propriétaire. C’est le principe du nominalisme monétaire.

Ceci n’empêche pas bien sûr que la monnaie ait pu prendre ou perdre de la valeur dans le temps.

Exemples

  • Usufruit portant sur une somme d’argent : un quasi-usufruit viager portant sur un capital de 200.000€ prend effet en janvier 2001, au décès de l’usufruitier en mars 2020, la restitution en nature (même quantité de choses) sera de 200.000€. C’est le principe du nominalisme monétaire : le débiteur d’une somme d’argent doit toujours la même somme sans revalorisation (C.civ. art. 1895).

NB : A la naissance du droit de quasi-usufruit et par une convention, il peut être prévu une clause d’indexation comme nous le verrons ultérieurement.

  • Usufruit portant sur une denrée : un usufruit portant sur une tonne de safran. La restitution peut se faire :

    • en nature, le nu-propriétaire reçoit une tonne de safran.
    • ou en valeur, le nu-propriétaire reçoit une somme d’argent correspondant au cours du safran au jour de la restitution.

Les droits du quasi-usufruitier sont donc limités par la créance de restitution. Néanmoins, cette créance ne devra être remboursée au nu-propriétaire qu’au terme de l’usufruit (terme de la durée fixée en cas d’usufruit temporaire, ou au décès de l’usufruitier).

Dans le cas le plus fréquent du quasi-usufruit viager, si le patrimoine du quasi-usufruitier à son décès est insuffisant pour rembourser la créance de restitution, le nu-propriétaire est alors floué.

La loi ne prévoit pas de garantir le paiement de la créance. Dès lors, si rien n’est prévu lors de la mise en place du quasi-usufruit, la protection du nu-propriétaire reste relative et dépendante de la bonne gestion du patrimoine du quasi-usufruitier.

La protection du droit du nu-propriétaire

Les moyens prévus par la loi pour protéger les droits du nu-propriétaire dans le cadre de l’usufruit classique peuvent être alors utilisés dans le cas du quasi-usufruit :

  • Obligation de dresser inventaire (C.civ. art. 600)
  • Obligation de fournir caution (C.civ. art. 601)
  • Obligation de faire emploi des sommes (C.civ. art 602, 603) : si une caution n’a pu être fournie, le nu-propriétaire pourra exiger qu’il soit fait emploi des sommes sur un bien dont l’usufruitier n’aura que les revenus, le faisant entrer dans un usufruit classique et le privant ainsi de son quasi-usufruit.

Ces obligations protectrices pour le nu-propriétaire ont néanmoins leur limite : elles ne sont pas d’ordre public et le quasi-usufruitier peut en être dispensé dans l’acte constitutif de quasi-usufruit.

Exceptions

  • Lorsque le quasi-usufruit nait des droits successoraux du conjoint survivant, les enfants nus-propriétaires peuvent exiger l’inventaire, l’emploi des sommes ou encore le dépôt des titres au porteur ou leur conversion au nominatif (C. civ art. 1094-3). Cette faculté qu’ont les enfants est d’ordre public et les enfants ne peuvent pas en être privés.
  • La faculté de demander la conversion de l’usufruit en rente viagère (C.civ. art.759) dans le cadre d’un quasi-usufruit légal, ou provenant d’une succession, ou d’une donation de bien à venir. Cette conversion peut être demandée par le quasi-usufruitier ou par le nu-propriétaire qui le souhaiterait. Il est impossible d’y renoncer à l’avance ou d’en priver les héritiers (sauf pour les meubles meublants de la résidence principale, l’usufruitier doit en être d’accord).

Le nu-propriétaire peut aussi agir en justice pour demander la déchéance de l’usufruit (C.civ art. 618) ou l’obligation de fournir caution ou d’employer les capitaux. Mais il s’engage dans ce cas dans une procédure longue et conflictuelle.

En savoir plus : paris.notaires.fr Récupérer les biens détenus par l’usufruitier

La déduction successorale de la créance de restitution 

La créance de restitution naît au jour du décès du quasi-usufruitier et est à ce titre un passif de la masse successorale. Est-elle pour autant fiscalement déductible pour le calcul des droits de succession ?

La doctrine fiscale considère tout d’abord que la créance de restitution est dans tous les cas déductible si elle provient d’un quasi-usufruit légal.

S’il s’agit d’un quasi-usufruit conventionnel (voir infra), il faut alors se référer à l’article 773-2° du Code général des impôts. Cet article limite la déductibilité de la créance de restitution dans le cas où le nu-propriétaire est un héritier de l’usufruitier (ou personne interposée) : dans cette situation, la créance de restitution n’est pas déductible fiscalement sauf si elle a été consentie par un acte authentique ou un acte sous-seing privé ayant date certaine avant l’ouverture de la succession.

D’où l’importance d’établir une convention de quasi-usufruit (voir infra) permettant de donner une date certaine à la créance de restitution, autorisant ainsi sa déduction.

En synthèse

Le quasi-usufruitier dispose de droits plus étendus que l’usufruitier classique

  • Pendant la durée de l’usufruit, ses droits réunissent l’usus (le droit d’utiliser), le fructus (le droit de percevoir les fruits) mais aussi le droit de consommer le bien, cette consommation provenant de la nature consomptible du bien sujet à quasi-usufruit. S’il ne détient pas formellement le droit de propriété (l’abusus), ses droits ressemblent fort à ceux du propriétaire pendant la durée de l’usufruit. Certains auteurs le qualifie même de « quasi-propriété » (P.Sirinelli, Les petites affiches, juillet 93, n° 87).
  • La créance de restitution qu’il doit au nu-propriétaire ne sera à payer qu’au terme de l’usufruit et elle n’est pas nécessairement garantie si rien n’est prévu par les parties.

Le quasi-usufruitier n’est pas pour autant un droit de propriété 

Pour autant qu’il puisse s’apparenter dans ses attributs au droit de propriété pendant la durée du démembrement, le quasi-usufruit n’en est pas moins très différent :

Pleine propriétéQuasi-usufruit
Nature du bienTout type de bien, immobilier et mobilierBien meubles consomptibles uniquement pour le quasi-usufruit légal (C.civ. art. 587)

Extension possible à certains biens non consomptibles (valeurs mobilières par exemple) pour le quasi-usufruit conventionnel (voir infra).
DuréePerpétuelle (dans la limite de la durée d’existence du bien)
Ne s’éteint pas par le non-usage
Transmissible
Temporaire :
Durée fixe de l’usufruit temporaire ou
Durée viagère jusqu’au décès de l’usufruitier
(C.civ. art. 617)
Obligation de restitutionAucuneCréance de restitution en faveur du nu-propriétaire, en nature, ou en valeur à la date de la restitution (C.civ. art. 587)

deux types de quasi-usufruit : légal ou conventionnel

« L‘usufruit est établi par la loi, ou par la volonté de l’homme » (C.civ. art.579).

Il en est de même pour le quasi-usufruit qui peut procéder :

  • d’un démembrement de propriété  déterminé par des circonstances extérieures et par l’application de la loi (la succession en est le parfait exemple) : il est alors qualifié de quasi-usufruit légal ou de droit.
  • d’une volonté des parties de créer et d’appliquer un quasi-usufruit : on parle alors de quasi-usufruit conventionnel.

le quasi-usufruit légal

Le quasi-usufruit s’impose le plus souvent aux parties par un événement ou une cause extérieure indépendants de la volonté de l’usufruitier et du nu-propriétaire et provient alors de l’application de la loi.

  • Dévolution légale en présence d’un conjoint survivant usufruitier et d’un enfant commun :
     En vertu de l’article 757 du Code civil, le survivant des époux peut disposer du droit en usufruit sur la masse successorale du conjoint défunt (en présence d’enfants communs).

    Si l’actif successoral contient des biens consomptibles, il exercera alors un quasi-usufruit sur ces biens.

    Ainsi en est-il bien sûr des créances exigibles des banques composant la succession du défunt : comptes de dépôt à vue, livrets d’épargne, épargne logement, dont le survivant des époux pourra disposer librement avec l’obligation de restituer aux nus-propriétaires des sommes équivalentes à son décès.

  • La jouissance légale des parents sur les biens de leurs enfants mineurs (C.civ. art 386-1 SS)
    Les parents ont un droit de quasi-usufruit sur les actifs consomptibles de leurs enfants.

Exceptions : les biens que l’enfant peut acquérir par son travail, les biens qui ont été donnés à l’enfant mineur sous condition que les parents n’en disposent pas et les biens que l’enfant reçoit pour indemnisation d’un préjudice extrapatrimonial (C.civ. art. 386-4). Ces biens ne sont pas soumis à la jouissance légale des parents et ne peuvent donc pas faire l’objet d’un quasi-usufruit lorsqu’ils sont consomptibles.

Ce droit de jouissance cesse lorsque l’enfant atteint l’âge de 16 ans, lorsque l’autorité parentale prend fin ou pour les même causes qu’une extinction d’usufruit (C.civ. art. 386-2).

Ainsi, les parents, titulaires d’un quasi-usufruit temporaire sur les actifs consomptibles de leurs enfants seront redevables, à une date certaine, d’une dette de restitution.

le quasi-usufruit conventionnel

Le quasi-usufruit peut aussi naître de la volonté des parties. Il s’agit alors d’un quasi-usufruit conventionnel.

L’usufruitier et le nu-propriétaire peuvent ainsi prévoir par convention :

  • Un quasi-usufruit sur des biens consomptibles alors même que la loi ne le prévoirait pas.

  • Mais également un quasi-usufruit sur un bien meuble non consomptible.

    La pratique du droit a en effet étendu le quasi-usufruit conventionnel à certains biens non consomptibles (Ch. Req 30 mars 1926 D.H 1927).

    On peut penser par exemple à un véhicule qui serait existant dans la masse successorale. Il s’agit d’un bien meuble mais qui ne disparaît pas (heureusement) à l’usage, donc d’un bien meuble non consomptible.

    Le quasi-usufruit sur ce type de bien permet à l’usufruitier d’en disposer de manière plus libre que dans le cadre de l’usufruit classique (puisqu’il ne dépend pas de l’accord du nu-propriétaire pour les décisions sur ce bien), à charge d’en restituer la valeur sous forme de créance de restitution à son décès.

    La question d’un quasi-usufruit sur des valeurs mobilières s’est également posée (M Grimaldi et JF Roux – La donation de valeurs mobilières avec réserve de quasi-usufruit – Défrénois 1994) et elle est acceptée par certains praticiens.

Le quasi-usufruit conventionnel peut alors provenir :

  • D’une libéralité entre époux

    Que ce soit par un legs ou par une donation au dernier vivant (C.civ. art. 1094-1), les époux peuvent se transmettre l’usufruit universel.

    Ces libéralités entre époux présentent des avantages prépondérants au regard de la dévolution légale.

    La donation ou le legs peut prévoir l’étendue, les modalités d’exercice du quasi-usufruit ainsi que la dispense de certaines garanties (fournir caution, faire emploi) accordée au conjoint survivant.

    Ces dispositions entre époux sont d’autant plus importantes dans les familles dites recomposées. La présence d’un enfant d’un premier lit limite en effet les droits légaux du conjoint survivant au quart de la masse successorale en pleine propriété (C.civ art. 757).

  • D’un avantage matrimonial

    La clause de préciput (C.civ. art. 1515), autorise le survivant des époux à prélever sur la communauté, et avant tout partage, «soit une certaine somme, soit certains biens en nature, soit une certaine quantité d’une espèce déterminée de biens. », en pleine propriété comme en usufruit.

    Si ce prélèvement en usufruit est effectué par le conjoint sur des actifs monétaires, il pourra donc disposer du quasi-usufruit sur ces actifs, créant de facto une dette de restitution de l’époux et une créance de restitution au profit des héritiers qui pourront la porter au passif de la succession du survivant des parents.

    Il n’eut pas été possible de créer cette dette de restitution si le survivant des époux avait opté pour un prélèvement en plein propriété.

En savoir plus : avocats.fr > Avantage matrimonial

  • De la cession d’un bien immobilier démembré lorsqu’il est prévu à l’acte un quasi-usufruit sur le prix de vente.

  • Du démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie 
    Lors de la souscription d’un contrat d’assurance vie, il peut être stipulé dans la clause bénéficiaire que les capitaux reviennent pour l’usufruit au conjoint survivant et en nue-propriété aux enfants.

    Ici encore, la créance du nu-propriétaire contre l’usufruitier sera déductible de l’actif successoral constituant ainsi un passif de succession qui n’aurait pas existé si la clause bénéficiaire du contrat avait prévu le bénéfice en pleine propriété (Memento Patrimoine, éd. Francis Lefebvre, 2019, n° 28449).

    Il faudra néanmoins prendre soin de constater la créance de restitution dans un acte sous-seing privé, ou un acte authentique ayant date certaine, avant la succession comme nous l’avons vu précédemment.

    Il est nécessaire, et conseillé pour cela, d’établir une convention de quasi-usufruit et de dûment l’enregistrer

la convention de quasi-usufruit

Il est ainsi vivement recommandé d’établir une convention de quasi-usufruit permettant :

  • De déterminer les biens soumis à quasi-usufruit
  • De définir la valeur de la créance de restitution et son éventuelle indexation
  • De définir clairement le paiement des impositions sur les revenus et les plus-values de cession : revenus et plus-values sont imposables au nom du quasi-usufruitier (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60 N° 100) sauf convention contraire.
  • De déterminer les obligations éventuelles du quasi-usufruitier (inventaire, emploi, caution mais aussi éventuellement rapport régulier de gestion et de valorisation …).

Dans tous les cas, et en amont de toute réflexion et de la mise en place du quasi-usufruit conventionnel, il sera nécessaire d’éprouver les objectifs patrimoniaux recherchés au regard des risques d’abus de droit (LPF art. L64) et depuis le 1er janvier 2020 de la procédure dite de mini-abus de droit (LPF art. L.64 A).

Il faut en effet garder en mémoire que la convention de quasi-usufruit permet à l’usufruitier de conserver la libre disposition du bien sa vie durant. Si l’existence et l’exigence de créance de restitution n’étaient pas reconnues, l’intention libérale préexistante au démembrement de propriété pourrait être remise en cause.

 

 

Le quasi-usufruit est un démembrement atypique. Du quasi-usufruit légal au quasi-usufruit conventionnel, il permet d’optimiser la détention et la transmission des biens meubles et donc plus particulièrement des patrimoines monétaire et financier.

Pratiquée à bon escient et bien encadrée, cette technique est un outil patrimonial efficace dans les stratégies patrimoniales. Elle ne peut cependant pas se pratiquer sans l’analyse et l’accompagnement professionnels du conseiller patrimonial.

Bibliographie :

  • J.Aulagnier, usufruit et nue-propriété dans la gestion de patrimoine, Ed. Maxima, 1998

  • F. Eliard, le quasi-usufruit, son utilisation à des fins patrimoniales et fiscales, Litec, 1997

  • B. Lotti, Le droit de disposer du bien d’autrui pour son propre compte, thèse, UNIVERSITÉ PARIS-SUD (PARIS XI), FACULTÉ JEAN MONNET à SCEAUX, 1999

Auteurs
Anne Brouard et Jean-Guy Pécresse

Intervenants formateurs pour le CESB CGP, diplôme RNCP Niveau 7, spécialisé en gestion de patrimoine.

La donation-partage transgénérationnelle réincorporative : points d’attention et sécurisation

La donation-partage transgénérationnelle réincorporative : points d’attention et sécurisation

Temps de lecture estimé : 12 min

Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

La donation-partage transgénérationnelle, sous sa forme réincorporative, est un puissant outil de transmission qu’il faut savoir pratiquer prudemment. Explications !

 

L’augmentation de l’espérance de vie a pour conséquence la concentration prolongée du patrimoine familial entre les mains de générations qui n’auraient pas nécessairement besoin de la globalité pour financer leur train de vie.

Par ailleurs, les Français héritent de plus en plus tard, à une période où ils ont déjà constitué leur propre patrimoine. Quant aux générations montantes, qui auraient besoin d’un apport pour acquérir de l’immobilier, d’habitation, de jouissance ou de rapport ou encore fonder une entreprise, elles n’héritent pas avant d’avoir atteint l’âge de la retraite. L’héritage s’avère alors source de complications (biens à mettre en vente ou à gérer, fiscalité attachée à supporter, indivision familiale à gérer …).

Un mécanisme civil existe pourtant pour permettre la transmission du patrimoine familial des grands-parents vers les petits-enfants, tout en protégeant la génération intermédiaire : la donation-partage transgénérationnelle.

L’une des déclinaisons de cet outil, la donation-partage transgénérationnelle réincorporative, présente un intérêt encore plus significatif, en particulier en raison de son régime fiscal.

 

Principe de la donation-partage transgénérationnelle réincorporative (DPTR) :

Il s’agit ici pour des enfants (génération 2/G2) qui ont déjà reçu des biens de leurs parents (génération 1/G1) de remettre ces biens au « pot commun » pour les voir immédiatement réattribués à leurs propres enfants (génération 3/G3), suivant un régime fiscal de faveur. En effet :

  • si la donation initiale consentie par G1 à G2 a plus de 15 ans, seul le droit de partage (actuellement égal à 2,5%) sera dû sur la valeur des biens repartagés (la valeur retenue étant alors celle du jour de la réincorporation et non celle de la donation initiale).
  • si la donation initiale a plus de 15 ans, les droits de donation ne seront pas dus.

Cette opération implique évidemment la présence et l’accord de toutes les générations concernées.

Ce mécanisme de saut de génération original s’inscrit dans le cadre protecteur des dispositions civiles bien connues s’appliquant à la donation-partage :

Au décès de la génération G1, la donation n’étant pas soumise au rapport, elle n’aura pas à être réintégrée fictivement au patrimoine successoral pour calculer les droits des héritiers. Le risque de réduction de la libéralité sera en outre réduit pour deux raisons :

  • Les biens recueillis par donation-partage sont évalués au jour où celle-ci a été consentie (article 1078-8, alinéa 3 du Code civil), peu importe donc les fluctuations économiques postérieures. Cette règle trouve à s’appliquer si les deux conditions suivantes sont remplies : les enfants (G2) doivent avoir donné leur accord à l’acte (même s’ils ne reçoivent rien dans la donation-partage) et il ne doit pas être constitué de réserve d’usufruit sur une somme d’argent.
  • La donation-partage s’imputera prioritairement sur la part réservataire de la souche concernée (article 1078-8, alinéa 1 du Code civil ) et subsidiairement sur la quotité disponible, ce qui présente le double avantage d’affranchir la quotité disponible et de retarder le déclenchement de la réduction.

Au décès de chacun des membres de la G2, les biens reçus par ses enfants aux termes de la donation-partage transgénérationnelle seront fictivement traités comme s’ils les tenaient de son auteur et non du donateur (article 1078-9 du Code civil ) en vertu d’une donation-partage ou d’une donation simple, selon que les conditions de la première (acceptation par tous les descendants de la G2 de leur lot, absence de réserve d’usufruit sur une somme d’argent, absence de survenance d’un nouveau petit-enfant…) soient ou non remplies.

La fiscalité (article 776 A du Code général des impôts (CGI) ) de la DPTR peut être résumée comme suit :

 

Ce mécanisme est très vertueux familialement, économiquement et fiscalement. Il présente cependant plusieurs aspérités qu’il convient de garder à l’esprit.

 

SOMMAIRE

  • Réincorporation partielle d’une donation-partage transgénérationnelle : validité civile
  • Réincorporation de titre reçus par augmentation de capital réalisées par incorporation de réserves
  • Donation-partage transgénérationnelle et impact de la réincorporation sur l’impôt de plus-value
  • Le traitement de l’usufruit successif viager dans la donation-partage transgénérationnel réincorporative
  • Donation-partage transgénérationnelle réincorporative et changement de souche
  • Impact de la naissance d’un nouveau petit-enfant dans la donation-partage transgénérationnelle réincorporative
  • Donation-partage transgénérationnelle réincorporative et traitement de la minorité

Réincorporation partielle d’une donation-partage transgénérationnelle : validité civile

 

Si les auteurs s’accordent à considérer qu’aucune disposition du Code civil ne s’oppose à la réincorporation partielle d’une donation-partage antérieure, cette opération soulève des difficultés en termes d’évaluation des biens.

L’incorporation partielle semble tout d’abord difficile à concilier avec la règle de l’unité de l’évaluation découlant de l’article 1078-1 alinéa 2 du Code civil. Selon cette règle d’ordre public, tous les biens compris dans une donation-partage (biens nouvellement donnés ou réincorporés) doivent être évalués à une date unique pour les besoins de la réserve héréditaire. Les donations incorporées à un nouvel acte prennent ainsi date au jour de la réincorporation (et non au jour de la donation initiale).

En outre, la question de la date d’évaluation à retenir pour les biens non incorporés à la donation se pose.

La doctrine est divisée sur la validité et l’efficacité de l’incorporation partielle d’une donation-partage :

  • Selon certains auteurs, la réincorporation ne pourrait qu’être totale, la donation-partage d’origine étant indivisible.
  • Selon d’autres auteurs, une réincorporation partielle ne poserait aucune difficulté au motif que la donation-partage est un « faisceau d’accords bilatéraux » plutôt qu’un partage d’ascendant. Certes une réincorporation partielle (ayant pour effet la résolution de la donation incorporée) pourrait faire perdre les qualités attachées à la première donation-partage… Toutefois, lorsque l’attribution intervient au sein de la même souche, l’économie de l’acte initial ne s’en trouve pas modifiée et ses vertus sont maintenues.
  • Enfin, un courant doctrinal médian et plus prudent considère que la réincorporation partielle est licite à condition de réunir plusieurs conditions :
    • Consentement de tous les donataires-copartagés initiaux (même ceux non réallotis),
    • Report conventionnel de la date d’évaluation des biens à la date de la donation-partage d’origine, conformément au principe de l’unité de l’évaluation,
    • Absence de biens nouvellement donnés.

    Cette position médiane correspond à la pratique dominante.

Réincorporation de titre reçus par augmentation de capital réalisées par incorporation de réserves

 

Nous nous situons dans le contexte suivant :  G2 a reçu par donation des titres de sociétés il y a plus de 15 ans. Postérieurement à la donation, différentes augmentations de capital sont réalisées par incorporation de réserves.

Est-il possible de réincorporer des titres reçus aux termes des augmentations de capital susvisées à proportion des titres reçus il y a plus de 15 ans ?

Une telle réincorporation a été envisagée par la doctrine sur le fondement :

  • de la théorie selon laquelle “l’accessoire suit le principal “
  • et à la lumière de la position de la Cour de cassation ayant considéré que les sommes mises en réserve appartiennent au nu-propriétaire : ces réserves accroissent en effet l’actif social et sont assimilables à des produits (leur prélèvement altérant la substance des droits sociaux en diminuant l’actif social).

Si la doctrine et la jurisprudence n’ont pas expressément confirmé la possibilité de réaliser une telle opération, il pourrait toutefois être argué du fait que l’action nouvelle est une composante de l’action ancienne qui recelait en germe les réserves incorporées par la suite au capital.

Dès lors que les réserves faisaient déjà partie de l’actif social et que le droit de l’associé n’a pas été modifié, seule sa représentation est différente.

En pratique, il conviendra naturellement d’être en mesure de démontrer la traçabilité desdites actions.

 

Donation-partage transgénérationnelle et impact de la réincorporation sur l’impôt de plus-value

 

La question se pose ici de l’impact de la réincorporation sur l’impôt de plus-value exigible en cas de cession ultérieure des biens ainsi réincorporés.

Plus précisément, il convient de déterminer quelle serait, en cas de vente ultérieure des titres par la G3, la valeur à retenir pour l’entrée des biens dans leur patrimoine : s’agirait-il de la valeur des biens retenue dans la donation initiale ou de la valeur retenue dans la donation-partage transgénérationnelle réincorporative ?

A notre connaissance, ni la jurisprudence, ni l’Administration fiscale ne se sont officiellement prononcées sur les conséquences de l’incorporation d’une donation antérieure en matière de plus-value, qu’il s’agisse d’une plus-value mobilière ou immobilière.

L’article 150-0 D, alinéa 1 du CGI, dispose que la valeur d’acquisition est la « valeur retenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit ».

Si la donation initiale date de plus de quinze ans, la réincorporation est soumise au seul droit de partage et non aux droits de mutation à titre gratuit.  Or, le droit de partage n’est pas un droit de mutation à titre gratuit. Stricto sensu, l’acte pourrait donc être considéré comme déclaratif et non pas translatif de propriété. Si cette analyse était retenue, le prix d’acquisition des titres par la G3 serait la valeur retenue dans la donation initiale de plus de 15 ans.

Il convient cependant de souligner que l’acte considéré n’est pas simplement un partage d’un point de vue civil : Il s’agit bien d’une donation-partage. Nous sommes donc bien face à un acte hybride dont le régime l’est tout autant.

En pratique, face à l’absence de positions administrative et jurisprudentielle, l’incertitude demeure.

 

Le traitement de l’usufruit successif viager dans la donation-partage transgénérationnel réincorporative

 

Envisager une donation-partage transgénérationnelle réincorporative implique de s’interroger sur la protection conférée à chaque génération.

La génération G1 souhaitera parfois conserver l’usufruit viager qu’elle s’était peut-être réservé à l’époque. La G3 a intérêt à voir le coût de transmission patrimoine familial se limiter au maximum. La G2 souhaitera peut-être conserver son droit aux revenus à terme en se réservant l’usufruit successif viager du patrimoine pour en profiter au décès de la G1.

Si cette dernière précaution est possible et utile, elle n’est pas sans entraîner des conséquences de nature fiscale.

Pour parvenir au résultat escompté, deux visions s’affrontent :

  • d’une part, il pourrait être soutenu que l’usufruit successif de G2 existe par suite d’une réversion d’usufruit consentie par la G1 au profit de G2 dans la nouvelle donation. Selon cette conception, il y aurait bien un transfert de propriété (une réversion d’usufruit) de G1 à G2.
  • D’autre part, il pourrait être argué que cet usufruit successif viager n’est pas transmis à G2, car il lui est en réalité déjà acquis : il est contenu en germe dans la nue-propriété reçue initialement. La nouvelle donation-partage marquerait donc une réincorporation par la G2 de la donation initiale à elle faite au profit de la G3, avec rétention d’un usufruit successif viager.

Selon la conception adoptée, la conséquence fiscale en sera différente :

  • Si la G2 retient à son profit un usufruit successif viager qui était contenu en germe dans la donation initiale, les droits de mutation à titre gratuit ont d’ores et déjà été acquittés. Aucune imposition complémentaire ne devrait donc être perçue au moment du transfert de l’usufruit au profit de la G2.
  • Si au contraire l’on considère que c’est la G1 qui prévoit la réversion de cet usufruit au bénéfice de la G2 au moment de la réincorporation, cet usufruit pourrait alors être taxé au moment de son ouverture (décès de la G1).

D’un point de vue pratique, les modalités rédactionnelles de la donation-partage seront naturellement déterminantes pour l’analyse (lot contenant la nue-propriété sous l’usufruit viager de la G1 et sous l’usufruit successif viager de la G2 ou bien deux lots différents : l’un de la nue-propriété attribuée à G3, l’autre de l’usufruit successif viager attribué à G2).

L’administration fiscale tend à privilégier une taxation lors de l’ouverture de l’usufruit successif viager. Cette position est néanmoins très largement critiquée par la doctrine, qui la considère comme « contra legem ».

Faute de bénéficier d’une prise de position doctrinale convaincante et claire de l’administration fiscale, la prudence commandera une vigilance toute particulière dans la rédaction de l’acte de donation, notamment en ce qui concerne la formation des lots incorporés, et d’éviter la constitution d’un usufruit successif viager en utilisant les termes de « réserve » ou « réversion », à plus forte raison lorsqu’il s’agirait d’en faire profiter un étranger (comme par exemple un des conjoints de la G2, qui, en cas de taxation, seraient soumis à une fiscalité à 60% en ce qu’ils ne partagent pas de lien de parenté avec la G1).

 

 

Donation-partage transgénérationnelle réincorporative et changement de souche

 

La question est parfois posée, pour un membre de la génération G2 qui n’a pas d’enfant, d’une éventuelle réincorporation des biens reçus de la G1 au bénéfice de ses neveux et nièces (G3).

Si cette réincorporation oblique semble être admise sur le plan civil, elle n’est pas expressément visée par la lettre de l’article 776 A du CGI, lequel prévoit uniquement les réattributions au profit d’un descendant du donataire initial. On peut alors s’interroger sur le régime fiscal d’une telle opération lorsque que la donation incorporée a été consentie il y a plus de 15 ans.

La doctrine majoritaire estime qu’en l’absence de mention spécifique dans l’article 776 A du CGI, une telle réincorporation doit être soumise aux droits de mutation à titre gratuit au tarif entre grands-parents et petits-enfants, conformément à l’article 784 B du CGI.

Certains ont pu souligner que le changement d’attributaire a toujours été soumis au droit de partage à l’occasion de la réincorporation d’une donation-partage ordinaire et regretter dès lors l’absence de justification d’une différence de traitement lorsque cette donation est transgénérationnelle.

Mais dans l’hypothèse d’une réincorporation qui viendrait associer un saut de génération à un changement de souche (réincorporation et attribution à un neveu du donataire initial), l’analogie avec la donation-partage semble fragile. En effet, le principe selon lequel l’incorporation d’une donation-partage n’est pas une libéralité mais un partage ne concerne littéralement que les « héritiers présomptifs » du donateur, au titre desquels les petits-enfants du donateur ne sont pas compris (article 1078-3 du Code civil auquel renvoie l’article 776 A du CGI).

Quoiqu’il en soit, en dépit d’une prise de position claire, l’administration fiscale semble considérer que le bénéfice du droit de partage doit être cantonné aux seules donations-partages transgénérationnelles dont les biens réincorporés sont réattribués aux descendants du donataire (BOI-ENR_DMTG-20-10 n°180).

En matière de transmission d’entreprises, rien n’empêche en revanche de coupler le mécanisme de la donation-partage transgénérationnelle réincorporative avec l’application du bénéfice du dispositif « Dutreil » sur la partie de la transmission soumise aux droits de mutation à titre gratuit. L’opération devra néanmoins être traitée avec minutie.

 

Impact de la naissance d’un nouveau petit-enfant dans la donation-partage transgénérationnelle réincorporative

 

D’un point de vue civil, les biens reçus par les petits-enfants sont fictivement traités dans la succession de leur auteur comme s’ils les tenaient de lui-même. Ainsi, dans l’hypothèse où l’un des petits-enfants n’aurait pas été alloti dans la donation-partage transgénérationnelle réincorporative, car il serait né postérieurement, la donation serait traitée comme une donation simple en vue du rapport et de la réduction. Les biens seraient ainsi réévalués et rapportés à la succession du membre de la génération G2 concerné, afin de rétablir l’égalité entre ses descendants.

De son vivant, la génération G2 pourra rééquilibrer la donation. Elle aura en effet tout loisir de réaliser une nouvelle donation-partage au profit de tous ses enfants (y compris celui qui serait né après la libéralité transgénérationnelle) à laquelle seront réincorporés les biens. Une nouvelle donation-partage transgénérationnelle réincorporative pourra en outre être envisagée par le donateur le cas échéant.

En tout état de cause, la possibilité de la survenance d’un petit-enfant postérieurement à la donation-partage transgénérationnelle réincorporative peut être traitée et ne doit donc pas interrompre la réalisation du projet.

 

Donation-partage transgénérationnelle réincorporative et traitement de la minorité

 

En cas d’enfant mineur de la génération G3, on pourrait penser que l’intervention du juge des Tutelles serait nécessaire.

Il est cependant possible de nommer au sein de la donation-partage un (ou plusieurs) tiers administrateur(s) chargés de gérer et de disposer à titre onéreux (vente, apport en société) des biens au cours de la minorité de la G3. Ainsi, s’agissant de titres de sociétés, le tiers administrateur participera et votera aux assemblées générales.

Est-il possible de cumuler la qualité d’administrateur légal et de tiers administrateur des biens donnés ?

L’article 384 du Code civil pose en principe que tout parent exerçant l’autorité parentale est administrateur légal de son enfant. Toutefois, chaque donateur dispose de la possibilité d’insérer dans l’acte de donation une clause désignant un administrateur tiers évinçant l’administrateur légal de la gestion d’une partie du patrimoine de son enfant et de la jouissance de celle-ci. Les pouvoirs de ce tiers administrateur sont définis dans l’acte de donation, à défaut de précision dans l’acte, il dispose des mêmes pouvoirs que l’administrateur légal.

Si, en renvoyant à la notion de « tiers », le législateur ne pose aucune restriction quant au choix du tiers administrateur, certains auteurs considèrent que ce silence témoigne de sa volonté d’offrir aux donateurs une grande liberté dans la désignation de ce tiers.

Dès lors, selon une conception large, un administrateur légal pourrait se voir désigner tiers administrateur conformément à l’article 384 du Code civil.

 

 

La donation-partage transgénérationnelle réincorporative est un outil apte à répondre à certaines problématiques contemporaines de transmission induites par l’allongement de l’espérance de vie : conservation prolongée d’un patrimoine important au sein de la première génération, héritages de plus en plus tardifs…

Il n’en reste pas moins que ce mécanisme est source de complexités et nécessite une attention particulière dans sa mise en œuvre.

 

Auteur

Cécile Peyroux    

Notaire et intervenant formateur à L’ESBanque pour le CESB EGP

Pierre Montes    et Blandine Saulnier  

Notaires stagiaires

 

Sources :