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Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

Le dernier Congrès des Notaires a ouvert une voie vers une rédaction électronique du testament et vers une digitalisation. Le point sur ces évolutions.

 

A l’heure où les supports électroniques se généralisent, où la crise sanitaire a accéléré le recours au distanciel et au digital, pourquoi ne pas réaliser des actes patrimoniaux par voie numérique ou électronique ? Ce sujet a été particulièrement travaillé lors du 117ème Congrès des notaires de septembre dernier.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Peut-on exprimer ses dernières volontés via un support numérique, un mail ou un SMS ? Peut-on signer un testament électroniquement ? Peut-on rédiger son testament à distance avec son notaire ? Le testament peut-il être digitalisé ?

Autant de questions qui nous amènent à faire le point sur les procédures testamentaires actuelles et sur leurs possibles évolutions.

testament : un support électronique est-il possible ?

Pour être valable, un testament doit suivre une procédure réglementée.

Légalement il peut prendre 3 formes et, à ce jour, une seule d’entre elles, le testament authentique passé devant notaire, peut être réalisée sur support électronique.

Les autres types de testament, olographe et mystique, nécessitent un support matériel, une écriture et une signature manuelles.

Les 3 formes légales de testament

Testament authentique :

Il est reçu devant notaire, plus exactement par deux notaires ou un notaire assisté de deux témoins (article 971 du Code civil). Ce formalisme en fait un acte authentique.
Le testateur dicte ses dernières volontés et le notaire les consigne par un écrit. Nous allons voir que cet écrit peut être réalisé sur un support électronique.
Le notaire relit le testament au disposant avant signature. Le testateur, le notaire et les deux témoins doivent signer l’acte.
Le testament authentique a pour avantage de bénéficier du conseil du notaire, d’avoir date certaine, force probante et force exécutoire, ainsi que d’être conservé au rang des minutes du notaire.

Il évite également la formalité de l’envoi en possession qui peut être encore nécessaire pour les testaments olographes ou mystiques dans certaines conditions, en cas d’opposition d’un tiers aux droits d’un légataire universel.

Testament olographe :

A la différence du testament authentique qui est un acte notarié, le testament olographe est un acte sous-seing privé. Il doit néanmoins satisfaire des conditions spécifiques : être manuscrit dans sa totalité et écrit de la main du testateur, daté et signé par le testateur (article 970 du Code civil). Il ne peut donc être dicté par le testateur à une personne qui l’écrirait.
Seule la production du testament original permettra l’exécution des dernières volontés du testateur. La question de sa conservation est donc cruciale. Le testament olographe peut être déposé chez un notaire pour plus de sécurité.
Ce type de testament a l’avantage d’être plus souple à réaliser, la présence d’un autre notaire ou de deux témoins n’étant pas nécessaire. Il comporte néanmoins davantage de risque de perte, de destruction (s’il n’est pas déposé auprès d’un notaire) ou de falsification et de contestation que le testament authentique.

Testament mystique :

Comme le testament olographe, le testament mystique est un acte sous-seing privé mais il est remis cacheté par le testateur à un notaire en présence de deux témoins (article 976 et suivants du Code civil). Le notaire dresse un acte dit de « suscription » attestant de cette remise, qu’il signe ainsi que le testateur et les témoins. Cet acte de suscription a la force probante d’un acte authentique.
Il n’est pas nécessairement écrit à la main et par le testateur. Il doit néanmoins le signer manuellement (article 976 al.2 du Code civil).
Cette forme de testament est aujourd’hui peu employée. Elle est utilisée par les personnes ne sachant pas écrire et/ou ne souhaitant pas dicter leurs dernières volontés devant notaire et témoins, comme cela est exigé dans le testament authentique.

testament authentique : le support électronique existe

Le testament authentique, autrement dit par acte public, est établi par un notaire devant deux témoins ou un autre notaire.

En contrepartie de cette procédure, relativement lourde, ce type de testament a l’avantage de revêtir la forme de l’acte authentique, ce qui lui donne date certaine, force probante et force exécutoire.

Qu’est-ce qu’un acte authentique ?

A la différence d’un acte sous-seing privé, l’acte authentique est reçu par un officier public dont font partie les notaires. L’officier public, délégataire de la puissance publique, donne à l’acte son caractère authentique, c’est à dire :

  • date certaine : il fait foi de la date et de l’existence de l’acte
  • force probante : il garantit son contenu. Pour prouver le contraire de ce qui est dit dans l’acte, une procédure spécifique pour inscription de faux est nécessaire.
  • force exécutoire : il équivaut à une décision de justice et les parties concernées doivent exécuter l’acte.

Certains actes patrimoniaux doivent nécessairement être réalisés sous la forme authentique, tels les contrats de mariage s’il ne s’agit pas du régime légal, les donations, les ventes immobilières, les partages de succession, pactes successoraux.

Concernant les testaments, seul le testament authentique requiert, comme son nom l’indique le formalisme de l’acte authentique.

Depuis une dizaine d’années, les notaires peuvent réaliser un acte authentique, dont un testament, sur un support électronique.

L’acte authentique sur support électronique (AASE) a été introduit par la loi du 13/03/2000 modifiant l’article 1316 du Code civil et précisant que “l’écrit électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier.”

La force probante est donc la même.

En pratique, l’AASE est utilisé depuis 2008 et se déroule selon les étapes suivantes :

  1. le notaire rédige l’acte sur un logiciel informatique et y ajoute les pièces complémentaires nécessaires, sous forme de scans.
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  3. lors du rendez-vous de régularisation et de signature de l’acte, celui-ci apparaît sur écran permettant au client de le lire également en temps réel.
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  5. Après modifications éventuelles, lorsque le client est d’accord sur la rédaction de l’ace, le notaire valide électroniquement le contenu de l’acte et ses pièces jointes. Il utilise pour cela une clé informatique dite « Real » (clé cryptée attestant de l’identité et de la signature du notaire).
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  7. Une fois la validation réalisée par le notaire, le ou les clients peuvent alors signer l’acte de manière électronique, directement sur une tablette au moyen d’un stylet.
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  9. Puis le notaire va lui-même signé l‘acte via sa clé « Real ».
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  11. L’acte a alors la forme authentique et électronique. Il est envoyé automatiquement et immédiatement au Minutier central électronique des notaires (MICEN). Seul le notaire signataire y a accès. Il est conservé pour une durée de 75 ans dans ce coffre-fort électronique puis transférer aux archives départementales.
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  13. Le client peut en recevoir une copie par mail.

Plus de 90 % des actes authentiques sont aujourd’hui réalisés électroniquement.

Source : Conseil Supérieur du Notariat – 03/11/2021

 

Le testament authentique peut donc être élaboré sur un support électronique et par une signature, elle aussi électronique.

Il nécessite néanmoins de se rendre chez un notaire, le distanciel n’étant pas possible à ce jour pour la rédaction ou l’enregistrement d’un testament, comme nous allons le voir.

Il nécessite également une procédure contraignante : il doit d’être reçu devant deux notaires ou un notaire et deux témoins.

Les personnes souhaitant réaliser un testament authentique doivent le plus souvent s’enquérir de trouver ces deux personnes témoins qui l’accompagneront à la signature de l’acte, même si celle-ci est réalisée de manière électronique.

Ces témoins ne peuvent être des clercs de notaire, ni des légataires ni leurs parents ou alliés jusqu’au 4ème degré inclus (article 975 du Code civil).

Le dernier Congrès des notaires propose d’alléger cette procédure du testament authentique en supprimant l’obligation de présence de 2 témoins ou d’un autre notaire.

Ceci permettrait de recourir plus facilement à cet acte testamentaire, davantage sécurisé que les autres types de testament. L’absence d’autres personnes que le notaire assurerait également une plus grande confidentialité des dernières volontés du testateur.

Quid de la notion de e-testament proposée sur internet ?

Certains sites proposent un service de « e-testament » : il s’agit en fait d’une aide à la rédaction d’un testament dont la proposition finalisée est envoyée par voie électronique au client demandeur. Celui-ci devra formaliser ensuite son testament selon l’une des 3 formes légales.

testament olographe : nécessité d’un support matériel et d’une écriture manuelle

Le testament olographe est établi par le testateur seul, sans l’intervention d’un notaire, si ce n’est pour son dépôt qui reste non obligatoire.

Légalement, il est nécessaire de pouvoir prouver que c’est bien le testateur qui l’a écrit.

Pourquoi la nécessité d’un écrit de la main du testateur ?

  • l’écriture de la main du disposant, ainsi que sa signature permettent de prouver l’identité du testateur. Bien que des contestations ou falsifications restent possibles, elles sont jugées moins risquées à ce jour qu’une écriture par voie électronique, mail ou sms.
  • l’écriture manuscrite donne également davantage le temps de la réflexion.

Le Code civil n’impose aucune contrainte en termes de langues (mais le testateur doit être en mesure de comprendre cette langue) ni de caractères employés, ni d’outil utilisé pour l’écriture, ni de support servant à cet écrit.

Ainsi un testament olographe écrit de la main du testateur sur un meuble par exemple a été reconnu comme valide.

Alors pourquoi ne pas reconnaitre la conformité d’un testament olographe écrit de la main du testateur sur un support électronique puisqu’il existe aujourd’hui des supports numériques permettant d’écrire manuellement ?

La réponse réside bien sûr dans la sécurité du support recevant l’écrit. Une lettre, un testament papier, même un testament écrit sous un meuble, sont considérés à ce jour comme moins sujets à falsifications qu’un support électronique ayant enregistré une écriture manuelle et qui pourrait être manipulé par la suite.

Les progrès de la sécurité et de la certification électroniques permettront peut-être dans le futur de revoir cette appréciation.

Ces mêmes progrès, s’ils permettaient de certifier de manière certaine et sans risque de falsification ultérieure l’identité d’une personne sur une vidéo, ouvriraient peut-être la voie à un testament via un support audio-visuel. Mais nous n’en sommes absolument pas là. L’instantanéité de ce type de support reste par ailleurs peu appropriée à la réflexion nécessaire à l’élaboration de dispositions testamentaires.

testament mystique : nécessité d’un support papier et d’une signature manuelle

Le Code civil exige que le testament mystique soit remis cacheté par le testateur au notaire en présence de deux témoins.

Son support est nécessairement papier, le terme « papier » étant lui-même précisé à l’article 976 alinéa 2 du Code civil.

Il laisse la liberté de le rédiger mécaniquement ou par une autre personne que le testateur, du moment que ce dernier le signe manuellement.

Mais en aucun cas, il ne laisse de possibilité à une rédaction sur un support électronique ou numérique.

A ce jour donc, seul le testament authentique peut être rédigé sur support électronique. Les testaments sous forme d’acte sous-seing privé (testament olographe et mystique) ne peuvent pas être rédigés sur un support électronique.

Le dernier Congrès des notaires apporte néanmoins des ouvertures dans ce sens.

une évolution vers un testament privé électronique et vers un testament distanciel

Deux propositions importantes du 117ème Congrés des notaires tendent vers un élargissement du testament numérique :  la possibilité de le rédiger seul et directement sur support électronique dans des situations exceptionnelles et la généralisation du distanciel à tous les actes authentiques.

vers un testament privé électronique en cas de circonstances exceptionnelles

A ce jour, il n’est pas possible comme nous l’avons vu de rédiger seul son testament sous forme olographe ou mystique sur un support électronique (mail, SMS, fichier informatique…).

Or la question se pose dans des circonstances graves où il peut être nécessaire de consigner et communiquer rapidement ses dernières volontés : catastrophe naturelle mais aussi attentat. La situation des victimes des attentats du 13 novembre 2015 qui ont envoyé leur testament à leur famille par SMS a rouvert le sujet.

Le dernier Congrès des Notaires propose pour cela d’assouplir les exigences de forme du testament dans ces situations exceptionnelles.

En cela un article 1001 du Code civil pourrait être ainsi rédigé :

« Le testament pourra être fait par tout moyen d’expression, y compris numérique, en cas de circonstances exceptionnelles empêchant de tester en les formes ordinaires de l’article 969 du Code civil ».

un testament distanciel : vers un acte authentique par comparution à distance (AAECD) ?

L’acte authentique sur support électronique (AASE) permet la numérisation du testament authentique mais la présence physique du disposant à l’étude notariale reste nécessaire.

La possibilité de distanciel a été introduite en 2005 mais uniquement entre notaires représentant respectivement leur client lors d’une vente immobilière par exemple (décret n°2005-973 du 10 août 2005). Le testament n’est donc pas concerné.

Pendant la période de crise sanitaire et de confinement, un acte authentique électronique par comparution à distance (AAECD) a été mis en place mais a pris fin le 10/08/2020. Pendant cette période, les actes authentiques, dont le testament, pouvaient être réalisés à la fois électroniquement et à distance, le client et le notaire échangeant par visio-conférence.

Pour l’instant, il n’est pas envisagé de pérenniser et de généraliser cette possibilité (Rép. min. n°31130, JOAN du 03/11/2020). Un certain recul sur les conséquences juridiques de cette méthode est jugé nécessaire, notamment pour les actes successoraux ou matrimoniaux.

Quand l’une des parties à l’acte réside à l’étranger, l’AAECD reste néanmoins possible, à titre exceptionnel, pour une période de 5 ans à compter du 19/05/2020.

Fin 2020, la procuration notariée électronique par comparution à distance a pourtant été mise en place. Depuis le Décret du 20/11/2020, les notaires peuvent établir des procurations authentiques sur un support électronique et la faire signer à distance par leur client.

Cette possibilité existait mais nécessitait que le signataire ayant reçu la procuration fasse légaliser sa signature par un officier d’État civil.

Désormais, sauf à ce que la procuration nécessite une partie d’écriture manuscrite du signataire, cet acte peut se signer électroniquement et à distance, via un processus de signature qualifiée.

Le système de communication et d’échange d’informations, agréé par le Conseil supérieur du notariat (CSN), doit garantir l’identification des parties à l’acte, le contenu et sa confidentialité.

Le notaire de son côté doit s’assurer du consentement libre et éclairé du signataire et de sa bonne compréhension de l’acte.

Mais, s’il s’agit d’une avancée notable, le distanciel ne concerne ici que la procuration mais pas l’acte visé. Cette procuration, une fois réalisée à distance, permet ensuite la signature de l’acte authentique sans la présence du signataire. Si cette solution est intéressante et souvent utilisée pour les ventes immobilières par exemple, elle n’est pas envisageable pour les testaments.

Il n’est pas possible en effet de donner procuration pour certains actes authentiques dont les testaments (mais aussi la RAAR, Renonciation Anticipée à l’Action en Réduction).

Le dernier Congrès des notaires propose d’étendre le principe de la comparution à distance à tous les actes authentiques et de modifier le Décret du 20/11/2020 de la sorte :

« Le notaire instrumentaire peut établir à distance tout acte sur support électronique, lorsqu’une ou toutes les parties ou toute autre personne concourant à l’acte ne sont ni présentes ni représentées physiquement. »

Les propositions du Congrès des notaires vont plus loin et visent à intégrer la notion de distanciel dans le Code civil. L’article 1369 serait alors modifié en ce sens :
« L’acte authentique est celui qui a été reçu avec les solennités requises, par un officier public ayant compétence et qualité pour instrumenter. Il peut être reçu à distance et être dressé sur un support électronique, s’il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. »

un testament numérique via les « smart contracts » et une blockchain ?

Une blockchain est un système permettant d’accélérer, simplifier et sécuriser la réalisation de contrats, dits « smart contracts ». Certains contrats d’assurance revêtent cette forme et utilisent déjà une blockchain.

Pourquoi ne pas faire appel à cet outil pour les actes notariés ? Ceci suppose au préalable de définir et de reconnaître juridiquement la notion de « smart contract ».

Or, le dernier Congrès des notaires fait un premier pas dans ce sens en proposant de modifier l’article 1342 du Code civil, important dans le droit des contrats puisqu’il concerne l’exécution et le paiement de la dette. Un nouvel alinéa 3 serait ainsi rajouté :
« Le paiement est l’exécution volontaire de la prestation due. Il doit être fait sitôt que la dette devient exigible.
Il peut être automatisé par un protocole informatique.
Il libère le débiteur à l’égard du créancier et éteint la dette, sauf lorsque la loi ou le contrat prévoit une subrogation dans les droits du créancier. »

Si cette proposition ne concerne pas directement la réalisation du testament, elle témoigne de la volonté de reconnaître l’utilisation d’une « blockchain » dans le domaine juridique.

Cette évolution vers les « smart contracts » constitue une ouverture et une avancée importantes car au-delà du testament, elle est à même de concerner tous les types d’actes notariés et patrimoniaux.

Auteurs
Anne Brouard 

Ingénieur patrimonial et fondateur de JUST DEEP CONTENT, agence de contenu spécialisé en gestion de patrimoine, Intervenante-formatrice pour le CESB Expert en Gestion de Patrimoine,, diplôme RNCP Niveau 7