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Le présent d’usage : donation ou simple générosité ?

Le présent d’usage : donation ou simple générosité ?

Temps de lecture estimé : 14 min

Cadeau réalisé lors d’une circonstance spécifique, le présent d’usage s’apparente à la donation sans en être une. La distinction avec le don manuel est quelquefois ténue mais les conséquences civiles et fiscales peuvent être lourdes.

Les fêtes de Noël, les étrennes du jour de l’an, sont des circonstances propices à la générosité et à ce que l’on nomme en droit patrimonial le présent d’usage. Principalement décrit par la jurisprudence et la doctrine administrative, le présent d’usage se définit par comparaison avec la donation.

Pouvoir le distinguer de l’acte de donation est essentiel : le présent d’usage, à la différence du don manuel, n’entre pas civilement dans la succession et n’est pas imposable aux droits de mutation. La distinction entre présent d’usage ou don manuel revêt donc un enjeu important.

qu’est-ce que le présent d’usage ?

Objet juridique non véritablement identifié par le Code civil, il faut se tourner vers la jurisprudence et la doctrine administrative pour appréhender la notion de présent d’usage.

absence d’une définition précise du code civil

Le Code civil ne définit pas le présent d’usage. Il en fait simplement référence dans son article 852, se contentant, sans exhaustivité, d’en préciser quelques règles :

«… les présents d’usage ne doivent pas être rapportés, sauf volonté contraire du disposant.

Le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant ».

Serait-il une aumône, un bienfait, un cadeau, un don, une offrande, un souvenir de famille… ?

Quant au terme « usage », il se définit en droit comme une pratique, un comportement habituel de la vie sociale ou familiale sans qu’il soit établi par une loi ou qu’il ait une portée juridique (J.L. Aubert, introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, A. Colin, 2002, n° 117 ss).

Mais toujours pas de définition précise du présent d’usage…

Il faut recourir à la jurisprudence civile et à la doctrine pour mieux délimiter ce qu’est le présent d’usage.

le présent d’usage : une notion précisée par la jurisprudence civile et la doctrine administrative

La Cour de cassation le définit comme « les cadeaux faits à l’occasion de certains événements, conformément à l’usage, et n’excédant pas une certaine valeur. » (Cass. 1e civ., arrêt du 6 décembre 1988, n° 87-15083)

Pour la doctrine administrative : « La qualification de présent d’usage pour un cadeau… résulte… au plan civil comme au plan fiscal, d’un examen de circonstances concrètes de chaque affaire, incompatible avec l’application de critères normatifs préétablis. »

D’autre part, « l’administration fiscale ne fixe aucune règle de proportionnalité du présent par rapport à la fortune ou aux revenus du donateur et apprécie au cas par cas la nature du don, en fonction de l’ensemble des circonstances de fait ayant entouré la libéralité, et sous le contrôle souverain des juges de fond. » (RES n° 2013/05 (ENR) du 3 avril 2013 BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10 n° 260).

La jurisprudence civile et l’administration fiscale s’en tiennent ainsi aux « circonstances concrètes » dans leurs tentatives de qualification.

Dès lors, définir le présent d’usage et en circonscrire le régime requiert de mettre en regard ses points communs et ses différences avec la donation et plus particulièrement le don manuel.

présent d’usage et don manuel : les points communs

Présent d’usage et donation se ressemblent fortement en ce qu’ils sont tous deux réalisés par un disposant ayant une intention libérale en faveur d’une personne.

Le présent d’usage peut être particulièrement comparé au don manuel puisqu’il porte sur le même type d’objet et se réalise de la même manière.

un disposant et une intention libérale

On parle de disposant pour le présent d’usage, de donateur pour une donation ou un don manuel. Dans les deux cas, le lien de parenté entre ce dernier et le bénéficiaire de la libéralité est indifférent. Il est possible de faire un cadeau ou de réaliser un don manuel à qui l’on veut, membre de la famille ou tierce personne.

Le lien de parenté éventuel entre disposant et bénéficiaire revêt de l’importance uniquement dans le cas de la donation, pour des raisons civiles et fiscales.

Le don manuel par exemple, s’il est réalisé sur une part successorale, sera imputé sur la réserve héréditaire de l’héritier bénéficiaire.

Fiscalement, le don manuel peut bénéficier d’abattement et exonération selon le lien de parenté (CGI, art. 757, 790 B).

Le présent d’usage comme le don manuel sont des libéralités au sens de l’article 893 du Code civil. « …une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne. »

Le présent d’usage est d’ailleurs présenté à la section du Code civil relative au rapport des libéralités.

La libéralité procède d’une intention libérale du disposant et implique un appauvrissement du disposant et corrélativement un enrichissement du gratifié.

Nous allons voir que cette notion d’appauvrissement qui semble commune au présent d’usage et à la donation est aussi ce qui les différencie. Si l’appauvrissement du disposant est significatif, nous sommes alors en présence d’une donation au sens de l’article 894 du Code civil et non plus d’un présent d’usage.

présent d’usage et don manuel se réalisent de la même manière

Le présent d’usage se rapproche plus particulièrement du don manuel en ce qu’ils portent tous les deux sur le même type d’objet : tous les biens ou droits meubles, corporels ou incorporels.

Un bien immobilier ne peut être transmis sous forme d’un présent d’usage ou d’un don manuel. Son transfert de propriété nécessite un formalisme obligatoire et l’intervention d’un notaire.

Des biens meubles régis par des règles spécifiques

La bague de fiançailles

En principe, la bague de fiançailles est considérée comme une donation en faveur du mariage. Elle doit donc être restituée si le mariage n’a pas lieu suivant en cela le principe de l’article 1088 du Code civil : « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas. »

Par exception, si la bague est de faible valeur, elle constitue un présent d’usage et peut être conservée.

Elle devra néanmoins être restituée à la famille propriétaire s’il s’agit d’un bijou de famille. On considère dans ce cas qu’elle a fait l’objet d’un simple prêt à usage (Cass. 1e civ. 20 juin 1961 et 23 mars 1983).

En cas de rupture fautive du donateur, ou en cas de décès du donateur, la bague peut être conservée par le donataire (CA Paris, 3 décembre 1976 et CA Amiens, 2 mars 1979).

Les souvenirs et bijoux de famille

Ils ne sont pas définis par le Code civil mais une fois de plus par la jurisprudence.

Ce sont des biens meubles tels que albums de photos, archives familiales, armes de guerre, biens ou données numériques, bijoux, correspondances, diplômes, manuscrits, médailles, meubles meublants, œuvres d’art, portraits de famille ou d’ancêtres, titres de noblesse …

Ces biens doivent témoigner de l’histoire familiale, être par exemple « en rapport direct » avec la mémoire d’une personne remarquable de la famille (Cass. 2ème civ., 29 mars 1995, n° 93-18.769). Leur valeur affective, symbolique et collective prime leur valeur pécuniaire.

Les souvenirs de famille ont la particularité de rester en indivision (sauf accord entre les membres de la famille), sans relever pour autant du droit commun de l’indivision (C.civ. art. 815 et ss).

Cette « copropriété indivise familiale » échappe à la dévolution légale et au partage (Cass.1e civ. 21 février 1978, n° 76-10.561, Cass. 1e civ. 29 novembre 1994, n° 92-21.993).

Les souvenirs de famille sont remis à titre de dépôt au membre de la famille jugé le plus apte à les conserver. Ce dernier ne peut donc en disposer puisqu’à son tour, il devra le transmettre à la personne la plus qualifiée pour le conserver.

Cette transmission n’est donc pas une libéralité (Cass. 1e civ. 30 octobre 2007 n° 05-14.258) mais peut s’apparenter à un prêt à usage (C.civ. art 1875 ss) puisque l’attributaire du ou des biens va pouvoir en user sans en être le propriétaire à charge de le restituer à la fin du prêt ( Cass. Civ. 1e, 23 mars 1983). Il peut s’agir également d’un mélange de don manuel et de prêt à usage (cas par exemple des époux de La Rochefoucauld faisant un don manuel à leur fils à charge de prêt à son épouse (Cass. Civ. 1e, 20 juin 1961, Bull.civ. I n° 326)).

 

Le présent d’usage et le don manuel s’effectuent de manière similaire, par tradition réelle, c’est-à-dire par la remise matérielle de la chose entre les mains du bénéficiaire.
Tout comme le don manuel, le présent d’usage ne requiert aucun contrat ni acte spécifique. Tous deux viennent ainsi en contradiction avec l’article 931 du Code civil : « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaire dans la forme ordinaire des contrats… ».

Le présent d’usage comme le don manuel correspondent à une pratique qui ne trouve pas son fondement dans la loi. Une fois de plus, c’est la jurisprudence qui admet leur validité juridique.
Le don manuel fait néanmoins l’objet d’un formalisme administratif visant à le déclarer fiscalement et lui donner date certaine (Cerfa 2735).

Le don manuel a en effet pour particularité d’être régi par les règles civiles des donations et des successions et d’être imposable aux droits de mutation, contrairement au présent d’usage.

qu’est-ce qui différencie le présent d’usage de la donation ?

Présent d’usage et donation ont des caractéristiques propres qui permettent de les distinguer, mais la frontière reste soumise à l’appréciation de fait de l’administration et de la jurisprudence.

Présent d’usage et donation ont un traitement civil et fiscal radicalement opposé : non rapportable à la succession et non imposable fiscalement, on comprend que le présent d’usage puisse être recherché dans certaines stratégies patrimoniales.

le présent d’usage : une circonstance spécifique et une proportionnalité raisonnable par rapport au patrimoine

Deux critères principaux permettent de distinguer présent d’usage et donation :

  • Le présent d’usage est réalisé à l’occasion d’un évènement particulier
  • Sa valeur par rapport au patrimoine du disposant

Circonstances et évènements nécessaires au présent d’usage

La particularité du présent d’usage est de n’être effectué qu’à l’occasion d’événement particulier pour lequel l’usage suppose un cadeau : anniversaire, baptêmes, départ en retraite, fêtes, mariage, naissance, obtention d’un diplôme…

Le don manuel peut être réalisé à tout moment, une circonstance spécifique n’est pas nécessaire.

La jurisprudence adopte ainsi la qualification de don manuel et non de présent d’usage dans les cas suivants :

  • Une femme donne à son fils et à sa belle-fille seize chèques dans les seize mois précédant son décès : il ne s’agit pas de présents d’usage mais de dons manuels taxables par voie de rappel fiscal à sa succession, car le présent d’usage a nécessairement un caractère occasionnel (TGI Strasbourg 22 octobre 2009 n° 08-3878).
  • De la même manière, un père qui donne deux chèques de 20.000 € et 10.000 € à son fils sans que soit précisée la circonstance de leur remise et de leur usage, réalise un don manuel (rapportable à la succession) et non un présent d’usage (Cass. 1e civ.25 septembre 2013 n° 12-176556)
  • Un lien affectif existant entre le donateur et le donataire n’est pas non plus suffisant pour caractériser un présent d’usage (Cass. 1e civ., 10 octobre 2012, n° 11-19394, CA Lyon, 23 octobre 2012 n° 11-03538).

Le présent d’usage réalisé entre époux ne suit pas la règle des exceptions à l’irrévocabilité des donations entre époux.

Pour rappel, les donations entre époux de biens présents pendant le mariage, consenties après le 1er janvier 2005, sont révocables dans des conditions spécifiques prévues par les articles 953 à 958 du code civil : inexécution des conditions de la donation, ingratitude.

Le présent d’usage entre époux échappe à ces exceptions et reste irrévocable.

Exemples

Sacha Guitry avait offert un bracelet de diamants à l’une de ses épouses à l’occasion de leur anniversaire de mariage. Ils se séparent et le divorce est prononcé aux torts exclusifs de madame. Le donateur revendique alors le bracelet, suite à la dissolution du mariage, et sur le fondement de l’ingratitude de son ex-épouse. La révocation est refusée. Il est estimé qu’il n’y a pas là donation, mais, étant donné la fortune du donateur, un présent d’usage (Cass.1e civ. 30 décembre 1952).

A l’occasion de l’anniversaire de naissance de son épouse, un mari offre à cette dernière une voiture de grosse cylindrée. Il souhaite par la suite révoquer ce qu’il estime être un don manuel et se voir restituer le bien. Compte tenu des revenus du mari, la Cour de cassation estime qu’il s’agit d’un présent d’usage et qu’il a donc un caractère irrévocable (Cass. 1e civ. 15 octobre 1963).

Quelle proportion de patrimoine pour le présent d’usage ?

Il n’existe aucune règle précise de proportionnalité du présent d’usage par rapport aux revenus et au patrimoine du bienfaiteur.

Le Code civil précise que « Le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant » (C.civ. art. 852, al. 2).

Les juges font très rarement référence aux seuls revenus du donateur mais ont confirmé la qualification de présent d’usage lorsque les sommes données n’excèdent pas 2 à 3 % du patrimoine du donateur ( CA Orléans, 11 octobre 2007, n° 06-3246, CA Bordeaux, 1er mars 2011, n° 09-03.692, CA Paris, 14 sept. 2007, n° 05-13.630, CA Douai, 3 mars 2011, n° 09-08.468).

Une réponse ministérielle récente du 31 décembre 2019 rappelle que la qualification de présent d’usage ne suit aucune règle chiffrée de proportion avec le patrimoine ou les revenus du gratifiants. Elle s’apprécie « au cas par cas » selon les situations de fait et relève du « pouvoir souverain du juge du fonds » (R.M. Le Meur, JOAN 31 décembre 2019, p. 11532, n° 22066).

Exemples

L’administration fiscale estime que les sommes que versent des parents sur un plan d’épargne-logement ouvert au nom de leurs enfants constituent des présents d’usage (BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10 n°250).

Une réponse ministérielle le confirme également : « … pour les sommes versées par des parents sur un plan d’épargne-logement ouvert au nom de leur enfant, il est admis que ce placement financier puisse être qualifié de présent d’usage… » en précisant cependant que « cette qualification reste une question de fait qui, en cas de litige, relève de la compétence du juge judiciaire. » (RM Chartier, AN 12 janvier 2006 n° 63526).

Se pose alors la question des montants versés et de leur fréquence. Pour mémoire, le montant maximal de versement sur un plan d’épargne logement est de 61.200 Euros et ses modalités de versement peuvent ne pas être qu’occasionnelles et circonstancielles !

En 1975, un père donne à sa fille Alix, à l’occasion du mariage de cette dernière, huit aquarelles de Pierre-Joseph Redouté d’une valeur d’environ 70.000 francs. Il décède la même année. En 1985, Alix vend sept aquarelles pour un montant de 5.620.000 Francs. En 1993, une des cohéritières demande à ce que ces présents d’usage soient rapportés à la succession en estimant qu’il s’agit d’un don manuel. La Cour de cassation juge qu’il faut se placer à la date à laquelle le don a été consenti, en tenant compte du patrimoine du donateur à la même époque. Compte tenu de la valeur des aquarelles à cette date et de la fortune du donateur à la même date, la Cour de cassation juge qu’il s’agit bien d’un présent d’usage et en conclut qu’il n’est pas rapportable à la succession et qu’il ne peut donc être soumis aux droits de succession (Cass.1e civ. 10 mai 1995, n° 93-15.187).
Une mère de famille offre pour Noël 100.000 francs à chacun de ses enfants et à leur famille composée elle-même de plusieurs enfants. La justice considère, au vu du patrimoine de la donatrice (8.200.000 francs), qu’il s’agit de présents d’usage (CA Paris, 11 avril 2002 n° 01-3791).

La valeur du présent d’usage, sa soi-disant « modicité », sont donc toute relatives. Les décisions d’espèce, rendues en considération des circonstances particulières entourant le cadeau, en témoignent.

L’appréciation de la proportionnalité par rapport au patrimoine est donc une « question de fait » (RES n° 2013/05 (ENR) du 3 avril 2013).

La frontière entre le présent d’usage et le don manuel reste soumise à l’appréciation de l’administration fiscale et de la jurisprudence.

distinction entre présent d’usage et donation : des conséquences civiles et fiscales

Lorsqu’il est qualifié comme tel, le présent d’usage n’est pas considéré comme une donation. Par conséquent, il ne fait pas l’objet d’un rapport civil ou fiscal à la succession. Il n’est pas imposable aux droits de donation.

Civilement, le présent d’usage n’entre pas dans la succession

Le présent d’usage n’est pas rapportable à la succession du donateur sauf « volonté contraire du défunt » qui peut, par testament, stipuler la restitution du présent d’usage à la masse partageable entre cohéritiers ( C.civ., art. 843 ss, art. 852, al. 1).

Exemple

Deux chèques de 750 € donnés deux années de suite par une mère à sa fille à une date proche des fêtes de Noël sont des présents d’usage non rapportables à la succession (Cass. 1e civ. 23 mai 2012 n° 11.15-302).

Le présent d’usage n’est pas non plus considéré comme une libéralité réductible. Il ne peut lui être appliquée l’action en réduction des libéralités excessives (C.civ. art. 918 ss).

Le présent d’usage n’entre pas dans le calcul de la réserve héréditaire.

Le présent d’usage n’est pas imposable

Le mécanisme du rappel fiscal qui consiste à tenir compte des donations antérieurement consenties par le défunt à ses futurs héritiers ou légataires pour le calcul des droits de succession ne s’applique pas aux présents d’usage (CGI, art. 784).

Exemple

La remise de deux chèques de 7.500 € à chacun de ses légataires universels à l’occasion des fêtes par un homme dont le patrimoine est conséquent constitue un présent d’usage et non un don manuel taxable par voie de rappel fiscal à la succession (CA Orléans, 11 octobre 2007 n° 06/3246).

Contrairement au don manuel, le présent d’usage n’est pas assujetti aux droits de donation (CGI, art. 757, 790 B et BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10 n° 250).
Afin de constituer la preuve que la gratification est faite dans l’esprit d’un présent d’usage, il est conseillé de conserver un écrit circonstanciel du disposant précisant les lieux, date, circonstance, événement, motif, objet du présent d’usage, ainsi que la ou les personnes gratifiées.

 

La qualification de présent d’usage peut être également recherchée afin d’optimiser une libéralité en faveur d’un membre de la famille ou d’un tiers, compte tenu de ses avantages civils et fiscaux.

Cette stratégie a néanmoins des limites :

  • Un héritier se considérant lésé par un présent d’usage jugé trop important peut tenter d’obtenir sa requalification en don manuel rapportable à la succession.
  • Fiscalement, l’administration peut requalifier un présent d’usage qui serait considéré comme un don manuel afin de le soumettre aux droits de donation.

    En matière de prescription fiscale, le droit de reprise de l’administration, et notamment la possibilité pour celle-ci de requalifier le présent d’usage en don manuel, s’exerce à partir du jour du fait générateur de l’impôt, donc du jour du décès, jusqu’au 31 décembre de la sixième année qui suit ce fait générateur (LPF, art. 186) si le bénéficiaire est l’un des héritiers du disposant.
    Si le bénéficiaire est un tiers non-héritier, il n’y a pas de prescription. L’administration fiscale reste toujours en droit d’interroger le gratifié sur l’origine des fonds ou biens meubles reçus.

 

Une pratique du présent d’usage dans une pure stratégie d’optimisation patrimoniale peut être lourde de conséquences en cas de requalification en donation.

Le présent d’usage est avant tout un témoignage personnel d’affection familiale ou amicale. Nul ne se soucie de savoir, quand il offre une œuvre d’art, si elle vaudra plusieurs milliers d’euros dans quelques années, si l’argent offert servira à rembourser une dette ou si le colifichet savamment choisi sera revendu quelques jours après…

Le présent d’usage n’a pas pour objectif de privilégier une personne ou de transmettre à moindre coût, mais de manifester, matériellement, des sentiments familiaux ou amicaux.

Il doit être considéré comme tel et non comme un moyen de donner en éludant les règles civiles et fiscales. Le conseiller patrimonial se doit de le rappeler.

Sources :

Articles de loi

Jurisprudence

Bibliographie

  • BPAT F. Lefebvre, avril 2010
  • J.Carbonnier, Le statut des bijoux dans le droit matrimonial, Defrénois, 1950
  • G.Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 2010
  • J.L. Aubert, Introduction au droit et thème fondamentaux du droit civil, A. Colin, 2002
  • P. Malaurie, Les successions, les libéralités, Defrénois, 2005
  • F.Lefebvre, Mémento Successions et libéralités, 2021, n° 26170 à 26195

Auteurs
Anne Brouard et Jean-Guy Pécresse

Intervenants formateurs pour le CESB CGP, diplôme RNCP Niveau 7, spécialisé en gestion de patrimoine.

Covid-19 et aide patrimoniale : le prêt familial ou amical

Covid-19 et aide patrimoniale : le prêt familial ou amical

Temps de lecture estimé : 13 min

Face à la crise économique provoquée par la Covid-19, le prêt familial ou amical, jusqu’ici peu développé, devient un outil patrimonial opportun pour aider un enfant, un parent, un ami. Pas uniquement financier, ce prêt répond à différents objectifs patrimoniaux. Dans tous les cas, il doit respecter un certain formalisme et être constitué avec précaution. Tour d’horizon.

Après presque deux mois de confinement et d’arrêt d’une grande partie de l’économie, nous commençons à mesurer les premières conséquences économiques de la crise. Nous en constatons en parallèle les effets humains, sociaux et sociétaux.

Dans les moments que nous vivons, aider un membre de sa famille, un ami, une personne en difficulté sont des actes qui prennent une signification particulière. Au sein d’une famille ou entre proches, aider et prêter sont d’ailleurs des termes qui se rejoignent.

Et ceci d’autant plus que la notion de prêt est bien plus large que sa conception classique de prêt d’argent. Un prêt peut porter sur toutes choses, biens meubles ou immeubles, constituer une aide matérielle (prêt à usage ou prêt de consommation), pécuniaire (prêt d’argent) mais aussi personnelle (prêt d’assistance).

le prêt portant sur des biens matériels : prêt à usage et prêt de consommation

Quel que soit l’objet sur lequel il porte, le prêt se définit comme un contrat par lequel une personne, le prêteur, met à la disposition d’une autre, l’emprunteur, un bien que ce dernier pourra utiliser à « charge de restitution » (C. civ. art 1874).

L’article 1874 du Code civil distingue :

  • Le prêt à usage : il concerne un bien matériel que l’on peut utiliser sans le détruire. Ce type de prêt est également appelé commodat.
  • Le prêt de consommation : il porte sur des biens qui par nature se détruisent par leur utilisation. On parle de biens consomptibles (denrées alimentaires par exemple).

le prêt à usage ou commodat

Le prêt à usage ou anciennement « commodat » est un contrat par lequel le prêteur remet un bien à l’emprunteur afin qu’il s’en serve, à charge pour ce dernier de le rendre après l’avoir utilisé. 

Article 1875 du Code civil 

Le prêt à usage est un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi.

Ce type de contrat est dit réel car il porte sur un bien matériel et ne se forme qu’à la remise de ce bien et non par le simple consentement oral ou écrit des parties.

Ses caractéristiques 
  • Son usage : l’utilisation personnelle d’un bien sans transfert de propriété.
  • Ses objets : le prêt à usage peut porter sur tout type de bien qui ne se détruit pas lors de son utilisation : bien immeuble, bien meuble (un objet, du matériel, un droit incorporel tel qu’un brevet, une marque…).
  • Le prêteur : il peut être le propriétaire de la chose mais aussi un simple détenteur pourvu qu’il ait le droit d’usage et qu’à ce titre il ne lui soit pas interdit de contracter. Il reste le propriétaire du bien pendant la durée du prêt. Le bien reste ainsi dans le patrimoine imposable du prêteur au titre de l’IFI.
  • La gratuité : le prêteur ne reçoit aucune contrepartie (C.civ. art. 1876, art. 1107, al. 2). C’est un contrat qualifié de « contrat de bienfaisance désintéressée ».

  • Sa durée : fixée librement par les parties, elle peut être à terme fixe ou être renouvelable par tacite reconduction.
    • Lorsque le contrat est à terme fixe, le prêteur ne peut pas récupérer le bien pendant cette durée sauf en cas de nécessité et si l’emprunteur l’accepte. En cas de désaccord, le prêteur peut demander la restitution du bien par voie judiciaire (C. civ art. 1889).

    • Lorsque le contrat est renouvelable sans durée déterminée, l’une ou l’autre des parties peut cesser le contrat moyennant un préavis dit « raisonnable » (Cass. Civ. I : 3.2.04). Le contrat prend fin par remise du bien.

      En cas de décès de l’emprunteur, le contrat se poursuit auprès de ses héritiers sauf s’il a été conclu en considération de la personne de l’emprunteur, auquel cas il cesse au décès de ce dernier et ne se transmet pas (C. civ art. 1879 al.2).

      En cas de décès du prêteur, le prêt se poursuit et est à la charge de ses héritiers (C. civ art. 1879).

Les obligations de l’emprunteur
  • Il ne doit se servir du bien qu’à l’usage déterminé par sa nature ou par la convention.
  • Il ne peut ni le céder, ni le louer, son droit est strictement personnel.

  • Il a l’obligation de restituer la chose au terme convenu dans le contrat. Si le bien a été détérioré, l’emprunteur en est responsable uniquement s’il en est la cause, s’il n’a pas respecté par exemple les règles d’utilisation du bien. Si la détérioration provient de l’usage normal du bien ou d’un cas fortuit, il n’a pas à en rendre réparation.

  • Les charges de l’emprunteur : ce sont les dépenses afférentes à la jouissance du bien et à la conservation de l’état du bien (charges d’entretien courantes : charges de copropriété, abonnement au gaz, à l’électricité, à l’eau, taxe d’habitation). Les grosses réparations restent à la charge du prêteur (C.civ ; art. 1890) mais il peut en être convenu différemment entre les parties.

Les obligations du prêteur
  • Il doit laisser le bien à l’usage de l’emprunteur pendant la durée du contrat et ne peut le récupérer qu’à son terme en cas de contrat à durée fixe.
  • Il doit assumer les charges de grosses réparations du bien pendant la durée du prêt.

  • Il reste juridiquement propriétaire et à ce titre imposable à l’IFI si l’objet du prêt est un bien immobilier.

Quelles utilisations en gestion de patrimoine ?

Le prêt à usage ou commodat est souvent utilisé pour laisser un bien immobilier à l’usage gratuit d’une personne dans le cadre d’une indivision successorale par exemple. Si plusieurs enfants héritiers sont indivisaires d’un bien immobilier, il peut être convenu que l’un d’eux l’occupe à titre gratuit. Il aura alors la charge de son entretien courant comme nous l’avons vu.

Le commodat peut permettre à un concubin d’occuper gratuitement la résidence principale qui appartient à l’autre.

Ce type de prêt est pratiqué également dans le domaine agricole pour laisser à un exploitant l’usage gratuit de terres.

Le prêt à usage permet de donner un cadre légal à une situation de fait et aide à éviter des conflits.

Il permet d’éviter également de considérer certaines situations d’usage gratuit comme un avantage libéral : ainsi, la mise à disposition gratuite d’un logement au profit d’un enfant ne constitue pas un avantage indirect rapportable à la succession lorsqu’elle résulte d’un prêt à usage (Cass. 1e civ. 11-10-2017 n° 16-21.419).

Il peut être utilisé dans le domaine de l’entreprise par mise à disposition d’un bien immobilier professionnel.

En quoi le prêt à usage est-il différent d’un bail ?

A la différence d’un contrat de bail, aucune contrepartie financière sous forme de loyer n’est exigée dans le commodat. En sens inverse, dès lors qu’il existe une prestation réciproque de la part de l’emprunteur (paiement d’un loyer ou de la taxe foncière par exemple), le contrat cesse d’être un prêt pour devenir un bail.

le prêt de consommation

Le prêt de consommation porte sur des biens meubles consomptibles et fongibles. L’emprunteur peut consommer la chose prêtée en s’engageant à restituer le même type de bien et pour la même quantité (C.civ. art 1892).

Le prêt de consommation est à distinguer du « prêt à la consommation », terme plus usité mais qui désigne une catégorie de prêt d’argent octroyé par un établissement financier pour des besoins de consommation courante.

Le prêt de consommation peut concerner :

  • Des biens meubles consomptibles et fongibles autres qu’une somme d’argent : des denrées alimentaires, des matières premières…
  • Une somme d’argent : on parle alors de prêt d’argent.

Le prêt de consommation autre que le prêt d’argent

Par nature, l’objet du prêt doit remplir deux conditions :

  • être consomptible : il ne peut être fait usage de la chose sans la détruire (denrées par exemple).
  • être fongible : l’objet peut être remplacé par son équivalent, une chose identique, il est interchangeable ( aliments, matières premières, produits industriels, titres …)

Ce type de prêt ne peut donc pas porter sur des biens immobiliers, qui ne sont jamais fongibles.

Les biens meubles « individualisés », tel un véhicule, ne peuvent pas non plus faire l’objet d’un prêt de consommation.

Ses différences avec le prêt à usage

Contrairement au prêt à usage qui n’autorise l’emprunteur qu’à la jouissance de la chose et n’en fait qu’un simple utilisateur, le prêt de consommation opère un transfert de propriété. L’emprunteur devient de droit propriétaire de la chose empruntée.

Le prêteur ne dispose que d’un droit de créance qui peut s’éteindre par la prescription de droit commun, contrairement au prêt à usage où le droit de propriété du prêteur ne s’éteint pas par la prescription.

A la différence du prêt à usage, par essence gratuit, le prêt de consommation peut être réalisé à titre de service gracieux mais aussi à titre onéreux.

Toutes les charges liées au bien incombent à l’emprunteur puisqu’il y a transfert de propriété du bien contre créance de restitution en faveur du prêteur.

A noter 

Le prêt de consommation peut porter sur des titres ou actions de sociétés et permettre le transfert temporaire du contrôle de la société à un autre actionnaire.

En savoir plus : Dalloz : « Le contrat de location dans tous ses états » page 216 « Le prêt de consommation »

Ses autres caractéristiques
  • Contrat réel : de même que le prêt à usage, le prêt de consommation est un contrat réel qui ne se forme qu’à la remise de la chose à l’emprunteur et non dès le consentement des parties.
  • Durée : si la durée n’a pas été fixée par les parties, la demande de remboursement peut se faire à tout moment. Si la durée est à terme de fixe, le prêteur ne peut pas demander le remboursement anticipé (C.civ. art. 1899).
  • Le décès du prêteur ou de l’emprunteur ne modifie pas la date de restitution et le contrat se poursuit au nom de leurs héritiers.
Les obligations du prêteur

Le prêteur a pour seule obligation la remise du bien prêté à l’emprunteur.

Les obligations de l’emprunteur
  • Restitution : le remboursement doit se faire par le même type de bien et en même quantité ( C.civ. art.1897).
    Si le bien prêté a subi une variation de cours à la hausse, la restitution peut devenir onéreuse, au contraire, s’il a perdu de la valeur, la charge diminue jusqu’à disparaître s’il perdait toute valeur.
  • Intérêt : Si le prêt est à titre onéreux, l’emprunteur devra payer la rémunération prévue au contrat. En général, il s’agit d’une somme d’argent mais rien n’interdit de donner à la rémunération une autre forme : restitution des choses prêtées de meilleure qualité, prestation de service…

Le prêt d’argent

Le prêt d’argent n’est qu’une version du prêt de consommation mais son régime présente des spécificités :

  • Un prêt en principe gratuit : dans sa définition, le prêt d’argent ne donne pas lieu au service d’un intérêt.

Article 1895 du Code civil

« L’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme énoncée au contrat. »

C’est un contrat de bienfaisance (service d’ami) qui transmet à l’emprunteur la propriété de la somme prêtée, à charge pour lui de restituer une somme identique.

Tout comme pour le prêt de consommation, la stipulation d’un intérêt n’est qu’une possibilité offerte au créancier et n’est pas une obligation (C. civ., art. 1905).

  • Mais le plus souvent onéreux : il peut être prévu au contrat que chacune des parties reçoive un avantage en contrepartie du service procuré (C.civ. art.1107, al. 1). Le contrat est alors à titre onéreux.

Le plus souvent, la rémunération du contrat de prêt se fait sous forme d’une somme d’argent et d’un intérêt. Il pourrait aussi s’agir de tout autre avantage ou d’un service.

Si aucun taux d’intérêt n’est prévu par les parties, le paiement se fait sur la base du taux d’intérêt légal en vigueur.

Le taux d’intérêt est en général prévu et choisi conventionnellement par les parties. Dans ce cas, il ne peut excéder le taux de l’usure fixé par la Banque de France tous les trimestres.

Pour information

  • Taux d’intérêt légal au 1er semestre 2020 : 3,15 %
    (pour les personnes physiques dans un cadre non professionnel).

Taux de l’usure :

  • Prêt inférieur à 3000 € : taux de l’usure : 21,31%
  • Prêt supérieur à 3.000 € et inférieur à 6.000 € : 11,20 %
  • Prêt supérieur à 6.000 € : taux de l’usure : 5,68 %

Sources Banque de France 1er avril 2020

Si l’emprunteur ne paie pas les intérêts, le prêteur peut exiger le remboursement immédiat du capital car la cause du contrat (l’intéressement en l’occurrence) qui a justifié le motif de l’engagement du prêteur a disparu.

Le contenu de cette déclaration 

  • Les noms et adresses du prêteur et de l’emprunteur
  • La date
  • Le montant prêté et la quittance de la somme remise : en chiffres et en lettres (C. civ. art. 1376).
  • Les conditions du prêt : le montant des remboursements et leur périodicité (les prêts in fine sont admis)
  • La durée
  • Le taux et la périodicité des intérêts (si intérêts il y a)
  • Les modalités de remboursement du principal.
  • La destination du prêt
  • Les éventuelles garanties de remboursement du prêt
  • Autres formalités fiscales :

    Si le prêt porte intérêt, le prêteur devra déclarer les intérêts perçus dans sa déclaration de revenus et l’emprunteur devra déclarer le montant des intérêts qu’il a versé au prêteur.

Prêt d’argent ou donation ?

Parce qu’il est le plus souvent réalisé en famille ou à titre amical, le prêt d’argent peut être utilisé en lieu et place d’une donation.

L’opération comporte dans ce cas le risque d’être requalifiée d’un point de vue fiscal, mais aussi civil, en donation déguisée.

Fiscalement, il est tentant, pour aider financièrement un proche et lui transférer une somme d’argent, d’utiliser la forme d’un prêt plutôt que d’une donation.

La donation, ou don manuel de somme d’argent, est en effet imposable aux droits de mutation à titre gratuit (au-delà des abattements en vigueur).

Comparativement, le prêt d’argent n’est soumis à aucune imposition et ne coûte rien ou presque rien à son bénéficiaire s’il est consenti sans intérêt ou avec un taux d’intérêt faible.

Exemples
  • Une mère donne 200.000 € à sa fille.

    Après l’abattement de droit commun de 100.000 €, la donataire devra régler des droits de donation sur les 100.000 € restants soit 18.194 €.

    Elle choisit de prêter la même somme à sa fille et de lui consentir un prêt sur 10 ans moyennant un taux d’intérêt de 0,5 % (le taux du livret A) par an payable annuellement, le coût du prêt représentera 10.000 €.

  • Un concubin donne 200.000 € à sa compagne.

    Les droits de donation représentent 60 % de la somme donnée soit 120.000 €.

    Il choisit de même que dans le précédent exemple de lui consentir un prêt sur 10 ans au taux d’intérêt de 0,5 % annuel, le coût sera réduit à 10.000 €.

Attention néanmoins : l’opération peut être requalifiée fiscalement en donation déguisée s’il est prouvé qu’elle est en réalité motivée par une intention libérale (c’est-à-dire de donner) et qu’il ne s’agit pas d’un véritable prêt. Les droits de mutation sont alors dus.

Civilement, il est tenu compte du prêt d’argent consenti en faveur d’un héritier lors de la succession du prêteur. S’il n’est plus « rapportable » en tant que tel depuis la loi du 23 juin 2006, le prêt entre dans le lot successoral que reçoit l’héritier-emprunteur, ce qui diminue d’autant la part qu’il aurait pu recevoir sur les autres actifs de succession (C. civ., art. 864).

Mais les héritiers non bénéficiaires du prêt devront tout d’abord en prouver l’existence.

Pour ces raisons, quel que soit le montant prêté, il est conseillé :

  • de rédiger un contrat de prêt ou une reconnaissance de dette. Le contrat doit être enregistré fiscalement pour lui donner date certaine lorsqu’il s’agit d’un acte sous-seing privé ou être formalisé sous forme d’acte authentique devant notaire pour en conserver la preuve.
  • de mentionner clairement l’obligation de rembourser.
  • de respecter scrupuleusement les échéances de dettes car à défaut il s’agira d’une remise de dette qui constitue, dès l’origine, une libéralité.

En savoir plus : Notaires du Grand Paris : « Prêt familial : quelles précautions ? »

D’une manière générale, le prêt ne doit pas être guidé par les mêmes motifs que le don. Il ne s’agit pas d’anticiper sa succession, de faire plaisir ou d’éluder un impôt quelconque, il s’agit d’aider une personne à atteindre un objectif patrimonial ou à retourner à une meilleure fortune en lui donnant les moyens d’y parvenir.

Prêt d’argent et pension alimentaire ?

Le prêt d’argent est également à distinguer de la pension alimentaire. Cette dernière permet d’aider financièrement un descendant ou un ascendant. Elle résulte de l’obligation alimentaire légale en faveur des descendants et des ascendants (C.civ. art 203 et 205) et ne constitue pas à ce titre un prêt.

La pension alimentaire n’est pas taxable aux droits de mutation à titre gratuit et n’est pas remboursable. Elle est également déductible, dans certaines limites, de l’impôt sur le revenu de celui qui la verse. Son montant doit néanmoins rester proportionnel aux besoins du proche aidé et aux revenus et patrimoines de l’aidant.

le prêt portant sur un service : le prêt d’assistance

Le prêt peut avoir un autre objet que des biens, qu’ils soient immeubles ou meubles.

C’est le cas du prêt d’assistance qui consiste à aider concrètement quelqu’un par un service rendu à titre gratuit.

Ses particularités

  • Avant d’être un contrat, le prêt d’assistance est avant tout la rencontre des « volontés » de deux ou plusieurs personnes qui s’entendent pour que l’une d’entre elles fournisse un service gratuit : prêter assistance à une personne en danger ou en aider une autre pour des travaux en sont deux exemples.
    Ainsi, le consentement est souvent informel et purement consensuel.
  • Juridiquement, lorsque ce contrat existe, c’est une convention de bienfaisance désintéressée, ou encore « d’assistance bénévole ».
    Ce contrat est soumis au droit commun (C.civ. art. 1105). C’est donc la jurisprudence qui en précise les contours.
    A la différence du contrat de « louage d’ouvrage » (C.civ art. 1710) régissant les conventions de prestation de service, le prêt d’assistance est réalisé sans contrepartie financière, à titre gracieux.
  • Une particularité du prêt d’assistance : l’assisté en faveur de qui le prêt est opéré subit l’obligation juridique la plus forte. Il doit en effet assumer une obligation d’indemnisation en cas de conséquences préjudiciables pour l’assistant (Civ. 1ere, 27 janvier 1993 n° 91-12131).
    Il est ainsi conseillé de rédiger un contrat pour ce type de prêt, même s’il ne porte pas sur un bien matériel valorisable et s’il est réalisé par nature à titre gratuit.

Le prêt entre particuliers, le plus souvent entre membres de la famille ou entre proches, revêt donc de multiples formes et permet de poursuivre des objectifs patrimoniaux variés : prêt gratuit de l’usage d’un bien, aides et services personnels tels que le permet le prêt d’assistance.

Il est réducteur d’en limiter l’usage au prêt d’argent comme cela est souvent le cas ou à une alternative à la donation pour des raisons fiscales. Dans le contexte de crise économique que nous vivons, le prêt familial est un outil patrimonial opportun que le conseil en gestion de patrimoine doit savoir proposer.

Bibliographie :

  • A. BENABENT, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, Ed. Montchrestien, 2004
  • R. GUILLIEN, J. VINCENT, lexique des termes juridiques, Ed. Dalloz, 2001

Auteurs
Anne Brouard et Jean-Guy Pécresse

Intervenants formateurs pour le CESB CGP, diplôme RNCP Niveau 7, spécialisé en gestion de patrimoine.

Le quasi-usufruit : un démembrement de propriété atypique

Le quasi-usufruit : un démembrement de propriété atypique

Temps de lecture estimé : 13 min

Usufruit, nue-propriété, ces termes deviennent communs aujourd’hui car souvent rencontrés dans des opérations patrimoniales courantes. Le démembrement d’un bien, c’est-à-dire sa détention en usufruit d’une part et en nue-propriété d’autre part, est une pratique maintenant répandue, qu’elle soit subie lors d’une transmission successorale par exemple ou qu’elle soit anticipée lors d’une donation.

Une autre technique de démembrement de propriété, le quasi-usufruit, reste mal connue et surtout moins utilisée dans les stratégies d’organisation patrimoniale. Le quasi-usufruit confère des droits apparemment très étendus à son détenteur.

Quasi-usufruit ou quasi-propriété ? Point sur cette technique de démembrement spécifique.

qu’est-ce que le quasi-usufruit ?

la notion de propriété

« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. » (C.civ. Art. 544)

Le droit de propriété, droit réel le plus complet, est l’addition de :

  • L’usus : le droit d’user d’un bien
  • Le fructus : le droit d’en percevoir les fruits
  • L’abusus : le droit d’en disposer

L’ensemble de ces droits sont des droits réels.

Droit réel : un droit réel est un droit qui porte directement sur la chose à la différence d’un droit personnel attaché à la personne qui oblige une autre personne à exécuter une prestation (droit de créance).

le démembrement de la propriété : usufruit et nue-propriété

L’usufruit est une partie du droit de propriété, il est l’addition des deux droits d’usage et de jouissance : « L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. » (C.civ. art.578).

Ce droit autorise donc l’usufruitier à :

  • User de la chose (droit d’usage) : utiliser un outil, des meubles, habiter un logement…
  • Jouir de la chose (droit de jouissance) : percevoir les loyers, toucher les dividendes d’actions, les intérêts d’obligations

En contrepartie, l’usufruitier a l’obligation de conserver la substance de la chose.

Il ne peut donc ni la vendre, ni la détruire, ni la donner, ni en modifier la destination (transformer un local commercial en local d’habitation), il a l’obligation de conformer ses droits à l’usage qu’en faisait l’ancien propriétaire.

Usufruit = Usus (droit d’user) + Fructus (droit de percevoir les fruits)

Le troisième droit, celui de disposer, appelé nue-propriété, est un droit distinct et indépendant de l’usufruit.

Paradoxalement, ce droit n’autorise pas le nu-propriétaire à disposer de la pleine propriété du bien. Il disposera du bien à l’extinction de l’usufruit, c’est-à-dire soit au terme de la durée pour laquelle l’usufruit était prévu s’il s’agit d’un usufruit temporaire, soit au décès de l’usufruitier s’il s’agit d’un usufruit viager.

Nue-propriété = Abusus (droit de disposer à l’extinction de l’usufruit).

Possibilité de disposer de chacun des droits d’usufruit et de nue-propriété

L’usufruit et la nue-propriété sont des droits réels.

Si, ni l’usufruitier, ni le propriétaire n’a vocation à disposer de la pleine propriété, sauf accord commun, pour autant l’usufruitier comme le nu-propriétaire peuvent aliéner leur droit propre (C.civ. art. 595).

La durée de l’usufruit en cas de cession du droit est limitée à la durée de vie du cédant et non du cessionnaire.

En savoir plus : notaires.frComprendre l’usufruit

le quasi-usufruit

Un usufruit sur des biens meubles consomptibles 

A l’usufruit classique, succède dans le Code civil à l’article 587 la définition du quasi-usufruit : « Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution. » (C.civ. art. 587)

Le quasi-usufruit, tel qu’il est défini par la loi, a donc pour particularité de s’appliquer spécifiquement sur des biens que l’on ne peut pas utiliser sans les consommer. Ces biens sont dit consomptibles.

La consomptibilité est la qualité des choses dont on ne peut faire usage sans les détruire (denrées alimentaires) ou sans les aliéner (espèces monétaires).

N.B : Nous verrons plus loin que la pratique du droit a étendu l’application de l’usufruit à certains biens meubles non consomptibles dans le cadre d’un quasi-usufruit conventionnel.

Il faut noter également que la pratique du quasi-usufruit n’est pas la même à l’international et que d’autres pays l’appliquent différemment. 

Valeur du quasi-usufruit

La valeur fiscale du quasi-usufruit, utilisée pour les calculs de droits de mutation à titre gratuit, est la même que celle de l’usufruit : barème selon l’âge de l’usufruitier dans le cas d’un usufruit viager (CGI art. 669) ou 23 % de la valeur en pleine propriété par période de 10 ans dans le cas d’un usufruit temporaire (CGI art. 669.II).

La valeur économique de l’usufruit est égale à la différence entre la valeur en pleine propriété du bien et la valeur actualisée de la créance de restitution sur l’espérance de vie de l’usufruitier. La difficulté de cette évaluation réside dans la fixation du taux d’actualisation.

Dès lors que le bien se détruit ou est aliéné lors de son utilisation, le quasi-usufruitier ne peut en conserver la substance. En utilisant le bien, il se comporte comme un plein propriétaire.

Peut-il pour autant disposer du bien de la même manière qu’un propriétaire ?

La réponse est négative. La conservation de la substance est nécessaire dans le démembrement classique comme nous l’avons vu pour préserver le droit de propriété future (abusus) du nu-propriétaire.

Il en est de même pour le quasi-usufruit : pour reconnaître et maintenir le droit du nu-propriétaire, il est nécessaire de constater en sa faveur une créance sur le quasi-usufruitier.

La créance de restitution 

Le quasi-usufruitier a donc une obligation de restitution : comme le dicte l’article 587 du Code civil, l’usufruitier a l’obligation de restituer ce qu’il a consommé ou aliéné à la fin de l’usufruit, cette restitution pouvant prendre la forme d’une restitution en nature ou en valeur au profit du nu-propriétaire qui bénéficiera donc d’un droit de créance sur la succession de l’usufruitier appelé créance de restitution.

En cas de restitution en valeur, le code civil indique qu’il s’agit de la valeur estimée du bien, c’est-à-dire la valeur qu’aura le bien, à la date de la restitution.

Cette méthode de valorisation appelle un commentaire particulier en ce qui concerne la monnaie ou une somme d’argent comparativement aux autres biens consomptibles.

Si le quasi-usufruit porte sur une somme d’argent, il est possible de restituer cette somme par la même monnaie et le même montant. La restitution a alors lieu en nature. De facto, la somme existante à la naissance du quasi-usufruit est la même que celle lors de la restitution de la créance au nu-propriétaire. C’est le principe du nominalisme monétaire.

Ceci n’empêche pas bien sûr que la monnaie ait pu prendre ou perdre de la valeur dans le temps.

Exemples

  • Usufruit portant sur une somme d’argent : un quasi-usufruit viager portant sur un capital de 200.000€ prend effet en janvier 2001, au décès de l’usufruitier en mars 2020, la restitution en nature (même quantité de choses) sera de 200.000€. C’est le principe du nominalisme monétaire : le débiteur d’une somme d’argent doit toujours la même somme sans revalorisation (C.civ. art. 1895).

NB : A la naissance du droit de quasi-usufruit et par une convention, il peut être prévu une clause d’indexation comme nous le verrons ultérieurement.

  • Usufruit portant sur une denrée : un usufruit portant sur une tonne de safran. La restitution peut se faire :

    • en nature, le nu-propriétaire reçoit une tonne de safran.
    • ou en valeur, le nu-propriétaire reçoit une somme d’argent correspondant au cours du safran au jour de la restitution.

Les droits du quasi-usufruitier sont donc limités par la créance de restitution. Néanmoins, cette créance ne devra être remboursée au nu-propriétaire qu’au terme de l’usufruit (terme de la durée fixée en cas d’usufruit temporaire, ou au décès de l’usufruitier).

Dans le cas le plus fréquent du quasi-usufruit viager, si le patrimoine du quasi-usufruitier à son décès est insuffisant pour rembourser la créance de restitution, le nu-propriétaire est alors floué.

La loi ne prévoit pas de garantir le paiement de la créance. Dès lors, si rien n’est prévu lors de la mise en place du quasi-usufruit, la protection du nu-propriétaire reste relative et dépendante de la bonne gestion du patrimoine du quasi-usufruitier.

La protection du droit du nu-propriétaire

Les moyens prévus par la loi pour protéger les droits du nu-propriétaire dans le cadre de l’usufruit classique peuvent être alors utilisés dans le cas du quasi-usufruit :

  • Obligation de dresser inventaire (C.civ. art. 600)
  • Obligation de fournir caution (C.civ. art. 601)
  • Obligation de faire emploi des sommes (C.civ. art 602, 603) : si une caution n’a pu être fournie, le nu-propriétaire pourra exiger qu’il soit fait emploi des sommes sur un bien dont l’usufruitier n’aura que les revenus, le faisant entrer dans un usufruit classique et le privant ainsi de son quasi-usufruit.

Ces obligations protectrices pour le nu-propriétaire ont néanmoins leur limite : elles ne sont pas d’ordre public et le quasi-usufruitier peut en être dispensé dans l’acte constitutif de quasi-usufruit.

Exceptions

  • Lorsque le quasi-usufruit nait des droits successoraux du conjoint survivant, les enfants nus-propriétaires peuvent exiger l’inventaire, l’emploi des sommes ou encore le dépôt des titres au porteur ou leur conversion au nominatif (C. civ art. 1094-3). Cette faculté qu’ont les enfants est d’ordre public et les enfants ne peuvent pas en être privés.
  • La faculté de demander la conversion de l’usufruit en rente viagère (C.civ. art.759) dans le cadre d’un quasi-usufruit légal, ou provenant d’une succession, ou d’une donation de bien à venir. Cette conversion peut être demandée par le quasi-usufruitier ou par le nu-propriétaire qui le souhaiterait. Il est impossible d’y renoncer à l’avance ou d’en priver les héritiers (sauf pour les meubles meublants de la résidence principale, l’usufruitier doit en être d’accord).

Le nu-propriétaire peut aussi agir en justice pour demander la déchéance de l’usufruit (C.civ art. 618) ou l’obligation de fournir caution ou d’employer les capitaux. Mais il s’engage dans ce cas dans une procédure longue et conflictuelle.

En savoir plus : paris.notaires.fr Récupérer les biens détenus par l’usufruitier

La déduction successorale de la créance de restitution 

La créance de restitution naît au jour du décès du quasi-usufruitier et est à ce titre un passif de la masse successorale. Est-elle pour autant fiscalement déductible pour le calcul des droits de succession ?

La doctrine fiscale considère tout d’abord que la créance de restitution est dans tous les cas déductible si elle provient d’un quasi-usufruit légal.

S’il s’agit d’un quasi-usufruit conventionnel (voir infra), il faut alors se référer à l’article 773-2° du Code général des impôts. Cet article limite la déductibilité de la créance de restitution dans le cas où le nu-propriétaire est un héritier de l’usufruitier (ou personne interposée) : dans cette situation, la créance de restitution n’est pas déductible fiscalement sauf si elle a été consentie par un acte authentique ou un acte sous-seing privé ayant date certaine avant l’ouverture de la succession.

D’où l’importance d’établir une convention de quasi-usufruit (voir infra) permettant de donner une date certaine à la créance de restitution, autorisant ainsi sa déduction.

En synthèse

Le quasi-usufruitier dispose de droits plus étendus que l’usufruitier classique

  • Pendant la durée de l’usufruit, ses droits réunissent l’usus (le droit d’utiliser), le fructus (le droit de percevoir les fruits) mais aussi le droit de consommer le bien, cette consommation provenant de la nature consomptible du bien sujet à quasi-usufruit. S’il ne détient pas formellement le droit de propriété (l’abusus), ses droits ressemblent fort à ceux du propriétaire pendant la durée de l’usufruit. Certains auteurs le qualifie même de « quasi-propriété » (P.Sirinelli, Les petites affiches, juillet 93, n° 87).
  • La créance de restitution qu’il doit au nu-propriétaire ne sera à payer qu’au terme de l’usufruit et elle n’est pas nécessairement garantie si rien n’est prévu par les parties.

Le quasi-usufruitier n’est pas pour autant un droit de propriété 

Pour autant qu’il puisse s’apparenter dans ses attributs au droit de propriété pendant la durée du démembrement, le quasi-usufruit n’en est pas moins très différent :

Pleine propriétéQuasi-usufruit
Nature du bienTout type de bien, immobilier et mobilierBien meubles consomptibles uniquement pour le quasi-usufruit légal (C.civ. art. 587)

Extension possible à certains biens non consomptibles (valeurs mobilières par exemple) pour le quasi-usufruit conventionnel (voir infra).
DuréePerpétuelle (dans la limite de la durée d’existence du bien)
Ne s’éteint pas par le non-usage
Transmissible
Temporaire :
Durée fixe de l’usufruit temporaire ou
Durée viagère jusqu’au décès de l’usufruitier
(C.civ. art. 617)
Obligation de restitutionAucuneCréance de restitution en faveur du nu-propriétaire, en nature, ou en valeur à la date de la restitution (C.civ. art. 587)

deux types de quasi-usufruit : légal ou conventionnel

« L‘usufruit est établi par la loi, ou par la volonté de l’homme » (C.civ. art.579).

Il en est de même pour le quasi-usufruit qui peut procéder :

  • d’un démembrement de propriété  déterminé par des circonstances extérieures et par l’application de la loi (la succession en est le parfait exemple) : il est alors qualifié de quasi-usufruit légal ou de droit.
  • d’une volonté des parties de créer et d’appliquer un quasi-usufruit : on parle alors de quasi-usufruit conventionnel.

le quasi-usufruit légal

Le quasi-usufruit s’impose le plus souvent aux parties par un événement ou une cause extérieure indépendants de la volonté de l’usufruitier et du nu-propriétaire et provient alors de l’application de la loi.

  • Dévolution légale en présence d’un conjoint survivant usufruitier et d’un enfant commun :
     En vertu de l’article 757 du Code civil, le survivant des époux peut disposer du droit en usufruit sur la masse successorale du conjoint défunt (en présence d’enfants communs).

    Si l’actif successoral contient des biens consomptibles, il exercera alors un quasi-usufruit sur ces biens.

    Ainsi en est-il bien sûr des créances exigibles des banques composant la succession du défunt : comptes de dépôt à vue, livrets d’épargne, épargne logement, dont le survivant des époux pourra disposer librement avec l’obligation de restituer aux nus-propriétaires des sommes équivalentes à son décès.

  • La jouissance légale des parents sur les biens de leurs enfants mineurs (C.civ. art 386-1 SS)
    Les parents ont un droit de quasi-usufruit sur les actifs consomptibles de leurs enfants.

Exceptions : les biens que l’enfant peut acquérir par son travail, les biens qui ont été donnés à l’enfant mineur sous condition que les parents n’en disposent pas et les biens que l’enfant reçoit pour indemnisation d’un préjudice extrapatrimonial (C.civ. art. 386-4). Ces biens ne sont pas soumis à la jouissance légale des parents et ne peuvent donc pas faire l’objet d’un quasi-usufruit lorsqu’ils sont consomptibles.

Ce droit de jouissance cesse lorsque l’enfant atteint l’âge de 16 ans, lorsque l’autorité parentale prend fin ou pour les même causes qu’une extinction d’usufruit (C.civ. art. 386-2).

Ainsi, les parents, titulaires d’un quasi-usufruit temporaire sur les actifs consomptibles de leurs enfants seront redevables, à une date certaine, d’une dette de restitution.

le quasi-usufruit conventionnel

Le quasi-usufruit peut aussi naître de la volonté des parties. Il s’agit alors d’un quasi-usufruit conventionnel.

L’usufruitier et le nu-propriétaire peuvent ainsi prévoir par convention :

  • Un quasi-usufruit sur des biens consomptibles alors même que la loi ne le prévoirait pas.

  • Mais également un quasi-usufruit sur un bien meuble non consomptible.

    La pratique du droit a en effet étendu le quasi-usufruit conventionnel à certains biens non consomptibles (Ch. Req 30 mars 1926 D.H 1927).

    On peut penser par exemple à un véhicule qui serait existant dans la masse successorale. Il s’agit d’un bien meuble mais qui ne disparaît pas (heureusement) à l’usage, donc d’un bien meuble non consomptible.

    Le quasi-usufruit sur ce type de bien permet à l’usufruitier d’en disposer de manière plus libre que dans le cadre de l’usufruit classique (puisqu’il ne dépend pas de l’accord du nu-propriétaire pour les décisions sur ce bien), à charge d’en restituer la valeur sous forme de créance de restitution à son décès.

    La question d’un quasi-usufruit sur des valeurs mobilières s’est également posée (M Grimaldi et JF Roux – La donation de valeurs mobilières avec réserve de quasi-usufruit – Défrénois 1994) et elle est acceptée par certains praticiens.

Le quasi-usufruit conventionnel peut alors provenir :

  • D’une libéralité entre époux

    Que ce soit par un legs ou par une donation au dernier vivant (C.civ. art. 1094-1), les époux peuvent se transmettre l’usufruit universel.

    Ces libéralités entre époux présentent des avantages prépondérants au regard de la dévolution légale.

    La donation ou le legs peut prévoir l’étendue, les modalités d’exercice du quasi-usufruit ainsi que la dispense de certaines garanties (fournir caution, faire emploi) accordée au conjoint survivant.

    Ces dispositions entre époux sont d’autant plus importantes dans les familles dites recomposées. La présence d’un enfant d’un premier lit limite en effet les droits légaux du conjoint survivant au quart de la masse successorale en pleine propriété (C.civ art. 757).

  • D’un avantage matrimonial

    La clause de préciput (C.civ. art. 1515), autorise le survivant des époux à prélever sur la communauté, et avant tout partage, «soit une certaine somme, soit certains biens en nature, soit une certaine quantité d’une espèce déterminée de biens. », en pleine propriété comme en usufruit.

    Si ce prélèvement en usufruit est effectué par le conjoint sur des actifs monétaires, il pourra donc disposer du quasi-usufruit sur ces actifs, créant de facto une dette de restitution de l’époux et une créance de restitution au profit des héritiers qui pourront la porter au passif de la succession du survivant des parents.

    Il n’eut pas été possible de créer cette dette de restitution si le survivant des époux avait opté pour un prélèvement en plein propriété.

En savoir plus : avocats.fr > Avantage matrimonial

  • De la cession d’un bien immobilier démembré lorsqu’il est prévu à l’acte un quasi-usufruit sur le prix de vente.

  • Du démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie 
    Lors de la souscription d’un contrat d’assurance vie, il peut être stipulé dans la clause bénéficiaire que les capitaux reviennent pour l’usufruit au conjoint survivant et en nue-propriété aux enfants.

    Ici encore, la créance du nu-propriétaire contre l’usufruitier sera déductible de l’actif successoral constituant ainsi un passif de succession qui n’aurait pas existé si la clause bénéficiaire du contrat avait prévu le bénéfice en pleine propriété (Memento Patrimoine, éd. Francis Lefebvre, 2019, n° 28449).

    Il faudra néanmoins prendre soin de constater la créance de restitution dans un acte sous-seing privé, ou un acte authentique ayant date certaine, avant la succession comme nous l’avons vu précédemment.

    Il est nécessaire, et conseillé pour cela, d’établir une convention de quasi-usufruit et de dûment l’enregistrer

la convention de quasi-usufruit

Il est ainsi vivement recommandé d’établir une convention de quasi-usufruit permettant :

  • De déterminer les biens soumis à quasi-usufruit
  • De définir la valeur de la créance de restitution et son éventuelle indexation
  • De définir clairement le paiement des impositions sur les revenus et les plus-values de cession : revenus et plus-values sont imposables au nom du quasi-usufruitier (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60 N° 100) sauf convention contraire.
  • De déterminer les obligations éventuelles du quasi-usufruitier (inventaire, emploi, caution mais aussi éventuellement rapport régulier de gestion et de valorisation …).

Dans tous les cas, et en amont de toute réflexion et de la mise en place du quasi-usufruit conventionnel, il sera nécessaire d’éprouver les objectifs patrimoniaux recherchés au regard des risques d’abus de droit (LPF art. L64) et depuis le 1er janvier 2020 de la procédure dite de mini-abus de droit (LPF art. L.64 A).

Il faut en effet garder en mémoire que la convention de quasi-usufruit permet à l’usufruitier de conserver la libre disposition du bien sa vie durant. Si l’existence et l’exigence de créance de restitution n’étaient pas reconnues, l’intention libérale préexistante au démembrement de propriété pourrait être remise en cause.

 

 

Le quasi-usufruit est un démembrement atypique. Du quasi-usufruit légal au quasi-usufruit conventionnel, il permet d’optimiser la détention et la transmission des biens meubles et donc plus particulièrement des patrimoines monétaire et financier.

Pratiquée à bon escient et bien encadrée, cette technique est un outil patrimonial efficace dans les stratégies patrimoniales. Elle ne peut cependant pas se pratiquer sans l’analyse et l’accompagnement professionnels du conseiller patrimonial.

Bibliographie :

  • J.Aulagnier, usufruit et nue-propriété dans la gestion de patrimoine, Ed. Maxima, 1998

  • F. Eliard, le quasi-usufruit, son utilisation à des fins patrimoniales et fiscales, Litec, 1997

  • B. Lotti, Le droit de disposer du bien d’autrui pour son propre compte, thèse, UNIVERSITÉ PARIS-SUD (PARIS XI), FACULTÉ JEAN MONNET à SCEAUX, 1999

Auteurs
Anne Brouard et Jean-Guy Pécresse

Intervenants formateurs pour le CESB CGP, diplôme RNCP Niveau 7, spécialisé en gestion de patrimoine.