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Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

La transmission successorale dans les familles recomposées nécessite une organisation et des outils spécifiques. Quels sont-ils ? Quel schéma patrimonial adopter ?

La famille recomposée recouvre plusieurs situations familiales bien différentes : des couples âgés veufs ou divorcés ayant des enfants de précédentes unions et des patrimoines importants, des couples jeunes ayant vécu une première séparation, des couples avec ou sans enfants communs.

La transmission patrimoniale au sein des familles recomposées nécessite de trouver des compromis entre plusieurs objectifs qui sont spécifiques à chaque famille, et qui, dans certains cas, peuvent paraître contradictoires.

Il convient d’assurer la protection du conjoint survivant sans léser les enfants issus d’une ou plusieurs union(s) précédente(s), ou en avantageant un enfant non commun, tout en anticipant la transmission aux enfants communs.

Cette anticipation est essentielle car elle permettra de limiter les risques de conflits entre les différents héritiers lors de l’ouverture de la succession.

Il existe pour cela plusieurs outils juridiques complémentaires.

SOMMAIRE

  • Famille recomposée : l’impact du statut matrimonial
  • La protection du conjoint survivant dans les familles recomposées
  • Famille recomposée : anticipation de la transmission aux enfants non communs

 

Famille recomposée : l’impact du statut matrimonial

 

Dans le cadre des familles recomposées, le choix du statut matrimonial aura des conséquences importantes.

Effectivement, le mariage est le meilleur outil juridique pour protéger son conjoint en cas de décès. L’époux survivant bénéficie d’un statut particulier très protecteur, notamment via la donation au dernier vivant et la quotité disponible spéciale entre époux.

En pratique, l’époux survivant est le seul à pouvoir bénéficier de l’usufruit de toute la succession, sans encourir de réduction pour atteinte à la réserve héréditaire.

Dans le choix des régimes matrimoniaux, les régimes communautaires sont les plus favorables au conjoint. Le régime de base, la communauté légale permet de protéger le conjoint dont les revenus seraient plus faibles, par la mise en communauté de tous les revenus du couple.

Le régime de séparation de biens est moins protecteur pour le conjoint et plus favorable aux enfants.

Contrairement au conjoint, le concubin et le partenaire de PACS (Pacte Civile de Solidarité) ne sont pas des héritiers légaux. Dans cette hypothèse, le patrimoine successoral pourrait être réparti exclusivement entre les enfants. Lorsque le concubin ou le partenaire de PACS est bénéficiaire de libéralités, celles-ci sont susceptibles de réduction si elles dépassent la quotité disponible ordinaire.

Fiscalement, le conjoint survivant est exonéré de droits de succession. Il en est de même pour le partenaire de PACS désigné légataire par testament.

Le concubin désigné par testament subit une fiscalité très lourde : abattement de 1594 € puis taxation au taux de 60%.

Dans certains cas, l’objectif de protection des enfants issus d’une précédente union sera prioritaire par rapport à la protection du compagnon et le mariage ne sera alors pas adapté.

 

La protection du conjoint survivant dans les familles recomposées

 

Précisons à nouveau que le statut de conjoint survivant ne vise que l’hypothèse des couples mariés.

Les droits successoraux légaux du conjoint peuvent être insuffisants pour assurer son train de vie et sa protection. D’autres outils peuvent alors permettre d’accroître la protection du conjoint.

 

Avantage matrimonial et familles recomposées

L’avantage matrimonial permet d’accroître les droits du conjoint survivant. Il suppose d’adapter le régime matrimonial et de définir un régime sur mesure.

L’avantage matrimonial est alors la différence entre ce que reçoit le conjoint compte tenu du régime matrimonial adopté, et ce qu’il aurait dû recevoir s’il avait été marié sous le régime légal.

Les clauses d’avantage matrimonial ne peuvent se prévoir que dans les régimes communautaires (attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant, partage inégal, préciput …) ou dans le cas de sociétés d’acquêts dans le régime de séparation de biens.

Des époux séparés de biens peuvent en effet décider au moment de la conclusion de leur contrat de mariage, ou par le biais d’un acte de changement de régime matrimonial, d’ajouter une société d’acquêts comportant notamment la résidence principale et/ou secondaire. Une clause de préciput permettra alors au conjoint de prélever sans indemnité le bien en pleine propriété ou en usufruit (en fonction des conditions prévues dans l’acte) au décès de son époux. Ce prélèvement s’opère avant tout partage de la succession.

Rappelons que le changement de régime matrimonial entraîne une notification à tous les enfants majeurs du couple qui ont un droit d’opposition dans un délai de trois mois.

La protection opérée par un avantage matrimonial est pérenne, dans la mesure où un changement de protection nécessite l’accord des deux époux.

Le risque que présente les avantages matrimoniaux est de protéger le conjoint survivant au détriment des enfants de la précédente union. Effectivement, les enfants de la précédente union n’ont pas vocation à hériter au décès du conjoint. Les biens transmis par la clause d’avantage matrimonial ne reviendront pas aux enfants non communs du parent défunt.

Pour éviter ce risque, et bien que les avantages matrimoniaux ne soient pas qualifiés de donation (art. 1527 C. civ.), ils restent soumis à la réduction en valeur (art. 924 C. civ.) en présence d’enfants non communs. Ces derniers peuvent exercer l’action en retranchement.

Action en retranchement :

L’action en retranchement des enfants non communs permet de limiter l’avantage matrimonial à la quotité disponible spécial entre époux (art. 1527 C. civ.). Comme l’action en réduction, elle n’est pas automatique mais doit être demandée. Seuls les enfants non communs peuvent exiger le retranchement de l’avantage matrimonial excessif. Les enfants issus des deux époux peuvent néanmoins par la suite demander à bénéficier de l’action en retranchement exercée par les enfants non communs.

L’avantage matrimonial s’impute à la date du contrat de mariage ou du changement de régime matrimonial contenant cet avantage. Dans le cadre du changement de régime matrimonial, l’absence d’opposition des enfants non communs ne les privent pas de l’action en retranchement.

Fiscalement, l’indemnité de retranchement due par le conjoint et perçue par les enfants sera imposée aux droits de succession.

Dans le cas où les enfants non communs sont favorables à l’avantage matrimonial du conjoint survivant, il leur est possible de renoncer par avance, c’est à dire avant le décès de leur parent, à l’action en retranchement.

Renonciation anticipée à l’action en retranchement :

Les enfants non communs peuvent ainsi renoncer par anticipation à exercer l’action en retranchement  (art. 1527 al. 3 C. civ.). Il s’agit d’une forme particulière de l’action en réduction. Par cet acte, un enfant d’une précédente union peut consentir par anticipation à l’exécution d’un avantage matrimonial bénéficiant au conjoint de son parent, même s’il dépassait la quotité disponible spécial entre époux.

Cette renonciation est provisoire, car l’action en réduction est retardée au jour du décès du conjoint survivant. L’action en réduction s’exerce donc contre les héritiers du conjoint.

Néanmoins, cette renonciation anticipée à l’action en retranchement provisoire n’est pas exclusive d’une renonciation anticipée à l’action en réduction (RAAR) définitive (art. 929 C. civ.). Les enfants de la précédente union du conjoint prédécédé pourront alors utiliser la RAAR, s’ils ne souhaitent pas s’opposer à ce que l’avantage matrimonial transmis au conjoint survivant ne revienne aux héritiers de ce dernier.

 

Protéger le conjoint survivant dans les familles recomposées : la donation au dernier vivant ou le testament

En présence d’enfants non communs, à défaut de disposition particulière, la loi prévoit que le conjoint survivant recueille un quart de la succession (art. 757 C. civ.). Ce quart ne correspond pas toujours au quart du patrimoine successoral et les droits effectifs du conjoint peuvent être très restreints dans certains cas. La détermination des droits effectifs du conjoint nécessite de définir une masse de calcul et une masse d’exercice de ses droits (art. 758-5 C. civ.). La masse d’exercice tient compte des libéralités consenties par le défunt. Ainsi si des libéralités ont épuisé la quotité disponible ordinaire en pleine propriété, la vocation légale du conjoint sera réduite à néant.

Le reliquat est partagé entre tous les enfants. Cette disposition légale peut être inadaptée aux objectifs du couple.

En outre, il convient de garder à l’esprit que les libéralités consentis en pleine propriété au conjoint survivant sont désavantageuses pour les enfants issus de l’union précédente par rapport aux enfants communs qui ont vocation à hériter des deux époux.

Une donation au dernier vivant (art. 1094-1 C. civ.) permet d’accroître les droits du conjoint survivant qui peut bénéficier de trois options (la quotité disponible en pleine propriété ; ¼ en pleine propriété et ¾ en usufruit ; 100% en usufruit).

La donation au dernier vivant permet également au conjoint qui n’a pas besoin d’une protection aussi étendue d’utiliser la faculté de cantonnement.

Dans certains cas, il pourrait être intéressant de léguer, c’est-à-dire transmettre par testament, l’usufruit de l’ensemble du patrimoine au conjoint, afin que les enfants non issus de ce conjoint récupèrent bien la pleine propriété des biens au second décès.

A l’extinction de l’usufruit par décès, les enfants nus-propriétaires récupèrent la pleine propriété sans fiscalité complémentaire (art. 1133 CGI). Cette stratégie ne serait pas conseillée, dans une situation familiale où le conjoint a un âge proche de l’aîné des enfants non communs. Le risque est dans ce cas que l’enfant n’ait jamais le temps de récupérer la pleine propriété des biens.

Concernant le conjoint, une libéralité de l’usufruit du tout lui permet d’avoir la jouissance de tout le patrimoine successoral, y compris sur la réserve héréditaire globale et donc même en présence de libéralités ayant épuisées la quotité disponible.

Contrairement à l’avantage matrimonial, une donation entre époux ou un testament est librement révocable unilatéralement.

 

Libéralités graduelles et résiduelles dans les familles recomposées

En présence d’enfants issus d’une précédente union, il peut être opportun de prévoir des libéralités graduelles ou résiduelles. Ces libéralités peuvent être une option intéressante face à l’attribution de l’usufruit universel du conjoint survivant qui peut être source de conflit avec les enfants non communs.

L’époux en qualité de premier bénéficiaire dispose de pouvoirs plus étendus qu’un usufruitier sur les biens, mais il est tenu de conserver les biens et de les transmettre à son décès aux enfants désignés seconds bénéficiaires.

Les biens doivent être identifiés et identifiables à l’ouverture de la succession et se retrouver en nature dans la succession du conjoint. Par conséquent, le conjoint ne peut ni vendre ni donner les biens.

Les enfants sont présumés tenir leurs droits directement de leur parent (art. 1051 C. civ.). Fiscalement, la libéralité qui s’ouvre au décès du conjoint donne application de la fiscalité en ligne directe entre les enfants et leur parent (donateur ou testateur). La fiscalité est due sur la valeur en pleine propriété du bien au jour du décès du conjoint. En outre, comme le conjoint survivant est exonéré de droits de succession, l’imputation dont peut se prévaloir le second gratifié est sans objet. Dans cette situation, la transmission par une libéralité graduelle est donc moins intéressante fiscalement qu’une libéralité en démembrement.

Attention :

Une libéralité graduelle ne doit pas porter atteinte à la réserve héréditaire des enfants.

Contrairement à la libéralité graduelle, la libéralité résiduelle impose au premier gratifié de transmettre ce qui subsiste du bien transmis.

 

Famille recomposée : anticipation de la transmission aux enfants non communs

Plusieurs outils permettent de prévoir ou de favoriser la transmission successorale en faveur du ou des enfants non communs.

 

La donation-partage conjonctive

La donation-partage conjonctive au profit d’enfants communs et de lits différents contenant une réversion d’usufruit au profit du conjoint permet d’assurer une transmission équilibrée entre tous les enfants tout en protégeant le conjoint (art. 1076-1 C. civ.). Cet outil est applicable en présence de deux enfants communs minimum. Elle comporte deux donations et un partage unique.

Des époux communs en biens peuvent consentir une donation-partage conjonctive en faveur d’enfants de lits différents. Dans ce cas, les enfants non communs ne peuvent recevoir des biens propres que de leur parent, et le conjoint ne peut pas être co-donateur des biens communs qu’ils recevraient. En outre, si des enfants non communs reçoivent des biens communs, une récompense sera due à la communauté lors de la liquidation du régime matrimonial.

Fiscalement, l’enfant non commun qui reçoit un bien commun est imposé sur la totalité du bien au tarif en ligne directe avec son auteur.

Une éventuelle action en réduction ne peut être introduite qu’après le décès du dernier des époux. Toutefois, pour les enfants non communs, l’action en réduction peut être introduite dès le décès de leur auteur.

Par ailleurs, si l’objectif du couple est d’avantager les enfants communs, les conjoints peuvent également procéder à une donation simple consentie hors part successorale.

 

L’adoption simple de l’enfant du conjoint

Le statut matrimonial choisi ne crée aucun lien juridique entre les enfants non communs et le conjoint de leur parent. Les enfants issus du conjoint n’ont donc pas la qualité d’héritier de l’époux de leur parent.

Afin de les gratifier, il est possible de les désigner par testament ou de les avantager du vivant par donation. Toutefois, la fiscalité applicable dans ces situations est dissuasive (60%).

Par ailleurs, civilement, ces donations s’imputent nécessairement sur la quotité disponible et sont potentiellement réductibles.

L’adoption de l’enfant du conjoint permet d’anticiper la transmission dans des conditions juridiques et fiscales avantageuses.

Si un époux souhaite que tous les enfants soient égalitaires dans sa succession y compris les enfants de son conjoint, il peut décider d’adopter ses derniers sous forme d’adoption simple. L’enfant adopté a les mêmes droits successoraux que les enfants « par le sang ». Il devient donc un héritier réservataire de l’adoptant.

En revanche, l’adopté simple n’a pas la qualité d’héritier réservataire dans la succession des ascendants de l’adoptant. Par ailleurs, il ne perd pas ses droits notamment successoraux dans sa famille d’origine.

Fiscalement, l’adoption simple ne permet pas l’application de la fiscalité en ligne directe sauf exception, ce qui est notamment le cas lorsque l’adopté est l’enfant du conjoint.

L’enfant du conjoint qui a été adopté ne peut plus bénéficier de l’action en retranchement des avantages matrimoniaux excessifs.

 

 

Protéger le conjoint ou favoriser les enfants non-communs et/ou communs ne requièrent pas les mêmes stratégies patrimoniales ni outils juridiques. Dans les deux cas, la transmission dans les familles recomposées doit être anticipée. Ces situations nécessitent un conseil patrimonial spécifique, adapté aux objectifs du couple.

 

Auteur

Charlotte MÂLON  

Notaire collaborateur et formateur intervenant à L’ESBanque pour le CESB CGP