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Résidence fiscale des personnes physiques en France : quels critères dans un monde international ?

Résidence fiscale des personnes physiques en France : quels critères dans un monde international ?

Temps de lecture estimé : 8 min

Dans une économie globalisée, où l’on peut vivre dans plusieurs pays, comment s’apprécient les critères de résidence fiscale en France ? Quelles conséquences patrimoniales ?

Avec la mondialisation de l’économie, le développement du transport aérien ou encore la révolution digitale, il n’est pas rare de partager son activité professionnelle et sa vie personnelle entre plusieurs Etats. Cette tendance est d’autant plus marquée auprès de la clientèle fortunée qui dispose souvent de plusieurs lieux de villégiature à travers le globe.

La détermination de la résidence d’une personne physique est la condition préalable pour déterminer sa situation fiscale et ainsi définir les obligations qui lui incombent. Quelle que soit sa nationalité et ses liens avec un autre pays, si une personne physique est fiscalement domiciliée en France, elle relève du droit fiscal français pour son impôt sur le revenu, les prélèvements sociaux mais également les droits de donation ou de succession.

quels sont les critères pour être résident fiscal en france ?

Il convient d’avoir à l’esprit que le domicile fiscal est décorrélé de la nationalité : un étranger peut être domicilié en France et un ressortissant français n’est pas nécessairement établi fiscalement en France.

L’article 4 B du CGI définit les critères permettant la détermination du domicile fiscal du contribuable.

Ces critères sont alternatifs et non pas cumulatifs, il convient qu’un seul soit rempli pour que la personne physique soit résidente fiscale française.

critères personnels : le foyer et le lieu de séjour principal

Le droit français retient deux critères personnels pour déterminer la résidence fiscale sur son sol : le foyer familial en première référence, à défaut le lieu de séjour principale.

Est ainsi résident(e) fiscal(e) en France :

  • toute personne qui a son foyer en France.Le foyer est caractérisé par le centre des intérêts familiaux du contribuable (pour le célibataire il s’agit du centre de vie personnelle) et le lieu où il habite normalement.La famille reste un marqueur relevant de la qualification du foyer.

    A ainsi été considéré comme ayant son foyer en France un contribuable dont l’épouse et les enfants vivent en Gironde, même s’il détient un appartement à l’étranger dans lequel il exerce son activité professionnelle et ce, durant de longs séjours (Conseil d’Etat 17/12/2010).

    A l’inverse, n’a pas de foyer en France une personne propriétaire d’un bien en France mais dont les factures d’électricité et de téléphone font apparaître des montants modestes montrant que l’intéressé n’a pas de vie de famille en France (Cour d’Appel Administrative Lyon 30/03/2017).

  • l’individu qui a en France son lieu de séjour principal, peu importe qu’il demeure dans une habitation lui appartenant, louée, mise à sa disposition ou à l’hôtel.

    Le caractère principal du séjour est établi pour un séjour en France de plus de 6 mois au cours d’une année ou si la durée en France est nettement supérieure à celle des séjours effectués à l’étranger.

En priorité, l’administration fiscale détermine s’il existe un foyer en France. Si c’est le cas, le lieu de séjour est sans effet. Ce n’est que s’il est impossible de qualifier un foyer que le lieu de séjour principal est examiné.

critère professionnel : le lieu d’exercice de son activité professionnelle à titre non accessoire

Est fiscalement domicilié en France, le salarié qui y exerce effectivement et régulièrement son activité professionnelle.

Pour les non-salariés, il convient de rechercher le point d’attache fixe en France.

A été qualifié comme ayant son activité professionnelle en France, un ressortissant autrichien qui disposait en France des moyens matériels nécessaires à son activité, comme un appartement où il avait installé son bureau (Cour d’Appel Administrative Paris 11/04/2018 : N°17PA01706 2 Chambre).

Dans l’hypothèse où la personne exerce dans plusieurs pays, l’individu sera sujet fiscal en France s’il y exerce son activité principale.

L’activité principale se définit comme celle à laquelle il consacre le plus de temps effectif, même si cette activité ne dégage pas l’essentiel de ses revenus et même si le contribuable n’en perçoit aucune rémunération.

Par une volonté accrue des autorités de renforcer le contrôle de la résidence fiscale des dirigeants d’entreprise, la Loi de Finances 2020 a étendu la domiciliation fiscale aux dirigeants dont l’entreprise a son siège social en France et réalise plus de 250 M€ de chiffre d’affaires (CA).

Au-delà de l’impact en matière d’imposition sur le revenu, cet élargissement de l’article 4 du CGI peut avoir de lourdes conséquences patrimoniales pour le dirigeant domicilié en France.

Ainsi, un ressortissant belge, habitant en Belgique en famille mais assurant la direction d’une entreprise en France à plus de 250 M€ de CA, est considéré sur la base de ce nouveau critère comme résident fiscal en France. S’il procède à une donation à ses enfants, il est alors imposable aux droits de donation selon le barème français (tranche marginale d’imposition à 45% pour la part taxable transmise supérieure à 1 805 677 €), quand bien même en Belgique les droits de donation peuvent, sous conditions, être réduits à zéro.

De même, un ressortissant portugais habitant au Portugal, mais domicilié en France sur ce nouveau marqueur, relève des droits de succession en France alors qu’ils n’existent pas au Portugal.

troisième critère : le centre des intérêts économiques

Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France, les personnes qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques et ce, même si elles n’y séjournent pas ou n’y ont pas d’activité professionnelle.

Critère très large, le centre des intérêts économiques du contribuable vise le lieu où il a effectué ses principaux investissements, possède le siège de ses affaires, administre ses biens ou en tire la majeure partie de ses revenus.

La détermination du centre des intérêts économiques peut être délicate car elle nécessite une comparaison entre la situation du contribuable en France et dans d’autres pays.

Ainsi, un retraité au Cambodge a son centre des intérêts économiques en France, car il perçoit une retraite de source française qui constitue sa seule source de revenus (Conseil d’Etat 17/06/2015).

De même, un ressortissant français résidant à Monaco a été considéré comme ayant le centre de ses intérêts économiques en France l’année où il a réalisé une importante plus-value de cessions de titres d’une société française, sans commune mesure avec ses revenus de source monégasque (Cour d’Appel Administrative Marseille 25/03/2016).

Avec les nombreux confinements et restrictions de circulation liés à la Crise du Covid 19, la question s’est posée si un contribuable, « bloqué » en France pendant de long mois du fait de ces circonstances exceptionnelles, pouvait y être considéré comme domicilié fiscalement.

Un communiqué de la Direction des Impôts des non-résidents (DINR) a précisé qu’un séjour temporaire en France au titre du confinement ou de restrictions de circulation (travel ban) décidées par la France ou d’autres Etats n’est pas de nature à qualifier une résidence fiscale en France, sous réserves que les autres critères de l’article 4 du CGI ne soient pas remplis.

Ainsi, une personne vivant aux Etats-Unis avec sa famille mais étant confinée en France pour une période indéterminée ne devient pas fiscalement français.

peut-on être résident dans deux pays ? articulation entre le droit interne et le droit conventionnel

Lorsqu’une personne physique remplit les conditions de résidence de deux Etats, il convient de se référer à la Convention fiscale signée entre les Etats contractants, afin de déterminer la juridiction dans laquelle le contribuable doit être considéré comme domicilié.

Il est alors nécessaire de se référer à la convention fiscale concernée sachant qu’il existe plus de 3000 conventions fiscales bilatérales dans le monde. En 2019, la France compte ainsi 121 conventions fiscales avec des pays tiers, ce qui en fait l’un des réseaux le plus large au monde.

Dans un souci d’harmonisation, l’ONU mais aussi l’OCDE ont établi des modèles dont les conventions bilatérales s’inspirent.

La convention de l’ONU concerne principalement les situations de double imposition entre pays développés et pays dits en développement.

La Convention modèle OCDE traite de l’imposition sur le revenu et la fortune. Elle établit des critères qui doivent être examinés de manière successive.

Une personne physique est réputée résidente de l’Etat contractant :

  • où elle dispose d’un foyer permanent d’habitation (toute forme d’habitation aménagée et réservée à l’usage de l’intéressé d’une manière durable)
  • où elle a le centre de ses intérêts vitaux (relations familiales et sociales, le siège des affaires de l’intéressé, la répartition de son patrimoine mobilier ou immobilier, activités culturelles ou politiques…)
  • où elle séjourne de façon habituelle
  • dont elle possède la nationalité

transfert de domicile fiscal : les précautions à prendre

Afin de se prémunir contre une éventuelle tentative de requalification de son domicile fiscal, la personne physique quittant la France se doit de respecter un minimum de recommandations.

Compte tenu du premier critère du foyer familial, il semble impératif que l’ensemble des membres du foyer fiscal se délocalisent, ce qui implique le départ du conjoint et des enfants.

Concernant l’immobilier, les critères du lieu de séjour principal mais aussi de centre des intérêts économiques supposent :

  • de ne pas conserver la résidence principale en libre disposition
  • de céder la majeure partie de l’immobilier locatif avant le départ ou de les donner en pleine propriété aux enfants non attachés au foyer fiscal.

Idéalement, il faut rompre tout lien professionnel avec la France. Il est conseillé au chef d’entreprise qui conserve une société en France, d’en déléguer la gestion ou d’être nommé Président du Conseil de Surveillance, activité non salariée rémunérée par des jetons de présence et qui ne nécessite pas une présence quotidienne.

Les actifs financiers peuvent être également considérés comme une source de revenus et un centre d’intérêt économique. La majorité de ces placements doit être transférée hors de France (Luxembourg, Suisse).

En matière de vie sociale, il convient également de résilier tous les abonnements qui soulignent une activité en France (opéras, clubs de sport…) et les prévoir dans le nouvel Etat de résidence.

Depuis 2020, les autorités fiscales disposent d’un nouvel arsenal pour contrôler la résidence fiscale du contribuable (et les fausses domiciliations à l’étranger) en ayant la possibilité de collecter et d’exploiter les contenus accessibles sur les plateformes d’échanges ou les réseaux sociaux. Certains contribuables devront être prudents avant de publier sur Internet les clichés de « vacances prolongées » à Paris ou sur la Côte d’Azur.

Déterminer la résidence fiscale en France est une opération complexe. Les principes directeurs restent très larges et l’apport de la jurisprudence est omniprésent. Il est également nécessaire de recourir aux conventions fiscales internationales, d’application délicate.

Les modes de vie, de plus en plus internationalisés, soulèvent aussi de nouvelles interrogations quant à la détermination de la résidence fiscale.

Quant aux souhaits de transfert de résidence à l’étranger, ils doivent être étudiés avec précision car des indices de domiciliation fiscale en France peuvent demeurer.

Dans tous les cas, il est indispensable de consulter un conseil spécialisé en gestion de patrimoine internationale dont le rôle est ici essentiel.

Auteur
Julien Milinkiewicz  

Formateur intervenant à L’École supérieure de la banque – Ingénieur patrimonial Luxembourg

Vendre un bien immobilier à un enfant : Pourquoi ? Comment ? Quels risques ?

Vendre un bien immobilier à un enfant : Pourquoi ? Comment ? Quels risques ?

Temps de lecture estimé : 14 min

Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

Vendre une maison, un appartement à un de ses enfants n’est pas si simple. Des précautions sont à prendre pour éviter tout risque et remise en cause.

Les transactions immobilières se réalisent le plus souvent entre tiers mais on peut également souhaiter vendre à un enfant. Pour obtenir un capital tout en gardant le bien dans la famille, pour aider un enfant pour qui le bien est particulièrement nécessaire, les raisons sont nombreuses.

En apparence, vendre un bien immobilier à un enfant peut paraître relativement simple. Une fois d’accord sur le prix, il suffirait de suivre les étapes habituelles d’une vente immobilière (signature d’un compromis, réalisation de diagnostics, acte authentique).

En pratique, il n’en est rien. S’il est possible de disposer librement de ces biens et d’acquérir librement également, la vente immobilière à un enfant, en pleine propriété, tout comme en nue-propriété ou en viager, est régie par des règles spécifiques.

Il est important de les connaître pour éviter toute remise en cause et des conséquences dommageables. Explications.

quels sont les risques de vente d’un bien immobilier à un enfant ?

La transmission à titre onéreux d’un bien immobilier à un enfant peut faire l’objet de requalification fiscale et/ou civile, qu’il s’agisse d’une vente en pleine propriété, en nue-propriété ou en viager.

vente à un enfant en pleine propriété : possible mais attention à certains risques

Juridiquement, rien n’interdit de vendre un bien immobilier à un enfant.

Le Code civil établit le principe de la libre-disposition des biens dont on est propriétaire sous condition de respect de la loi (articles 537 et 544 du Code civil) et de la liberté d’acquisition ou de vente (article 1594 du Code civil).

Techniquement, la vente d’un bien immobilier à un enfant suit les mêmes étapes qu’une transaction immobilière habituelle : signature d’une promesse ou d’un compromis de vente formalisant l’accord des parties sur la vente et les conditions, réalisation des diagnostics obligatoires, respect des conditions suspensives d’octroi de prêt si un financement est nécessaire, signature de l’acte authentique devant notaire formalisant définitivement la vente.

Comme toute transaction immobilière, cette opération de mutation peut faire l’objet d’un contrôle d’un point de vue fiscal mais aussi d’une requalification civile par des éventuels héritiers s’estimant léser.

S’agissant d’une vente à un enfant, héritier qui plus est réservataire, ces risques fiscaux et civils sont d’autant plus présents et nécessitent donc la plus grande prudence.

Risque de requalification fiscale : insuffisance de prix et/ou donation indirecte ou déguisée

L’administration fiscale est particulièrement regardante du fait de la relation familiale étroite entre vendeur et acquéreur.

Dans une vente immobilière en faveur d’un enfant, le vendeur va en effet avoir naturellement tendance :

  • à minorer le prix par rapport à la valeur de marché afin d’aider l’enfant, ou par principe, tout simplement pour ne pas vendre au même prix qu’à un tiers.Dans certains cas, la vente est même envisagée pour éviter le coût d’une donation, le prix peut alors être fortement sous-estimé.
  • à ne pas exiger partiellement voire totalement le paiement du prix. Ceci peut être le cas d’une vente avec crédit-vendeur, le parent vendeur et l’enfant acquéreur concluant ensemble un contrat de prêt familial. Le risque est alors celui du non-remboursement du prêt et de ses intérêts.

Dans ces cas, l’administration fiscale peut considérer qu’il y a :

  • insuffisance de prix : le prix de la vente ne correspond pas à ceux du marché. L’administration compare alors le prix convenu entre parent et enfant à celui de transactions récentes sur des biens similaires. Elle est alors en droit de contester le prix convenu à l’acte (Com, 20 février 2019, n°17-24.593).

A noter

Pour déterminer la valeur de marché du bien, l’administration fiscale n’est plus tenue d’une comparaison avec des biens « intrinsèquement similaires ». Elle peut utiliser des valorisations de biens comparables (Cass. Com. 27 juin 2018 n° 16-20468).

Si l’insuffisance de prix est constatée, l’administration peut entamer une procédure de rectification de prix (article L17 du LPF (Livre des Procédures Fiscales) et article L55 du LPF). Si cette contestation aboutit, le prix de marché estimé par l’administration servira alors de base aux calculs des impositions qui seront réclamées. Ceci aura donc un impact fiscal sur la plus-value imposable et également sur les droits d’enregistrement qui seront accrus.

Pour s’y opposer, vendeurs et acquéreurs doivent alors entrer dans un contentieux fiscal.

  • donation indirecte ou donation déguisée : l’administration fiscale requalifie la nature de l’acte de vente elle-même et estime dans le cas où le prix est fortement minoré qu’il s’agit en fait d’une donation entre parent et enfant.L’administration peut alors considérer qu’il s’agit d’une donation indirecte dans le cas où l’enfant a reçu un avantage sans contrepartie. Ceci peut être le cas d’un prix minoré mais également d’un prêt familial sans intérêt.

    Si l’opération est requalifiée en donation indirecte, les droits de donation sont alors dus.

    Elle peut aussi qualifier l’opération de donation déguisée s’il est constaté une volonté mensongère et délibérée de dissimuler un acte de donation sous les aspects de celui d’une vente. Ceci a pu être le cas dans le cas d’une vente de titres de sociétés à un enfant pour un prix symbolique peu de temps avant le décès du parent vendeur (Cour d’appel de Paris, 18 mars 2019, n° 17/02187).

    L’administration doit alors poursuivre l’opération pour abus de droit (Cass. Com, 4 mars 2020, n° 17-31642) et prouver qu’il s’agit d’un acte fictif ou ayant l’objectif exclusif, ou depuis le 1ère janvier 2021 principal, d’éluder l’impôt (articles L64 et L64 A du Livre des Procédures Fiscales).

    En cas de requalification en donation déguisée, l’opération est alors imposée aux droits de donation. Des majorations sont également être exigées de 40 % pour manquement délibéré à 80 % si la fraude est prouvée.

    Pour autant, les droits d’enregistrement payés lors de la vente restent également dus (régime fiscal de l’acte apparent).

Risque civil de constatation d’une libéralité et action en réduction des autres héritiers

Les autres enfants héritiers réservataires peuvent considérer que l’enfant acquéreur a été favorisé et demander que cet avantage soit pris en compte dans le partage de succession.

Il va leur falloir alors prouver que cet acte de vente est en fait une donation indirecte ou une donation déguisée.

Si tel est le cas, la donation est alors rajoutée à la masse successorale pour le calcul des parts réservataires et de la quotité disponible. L’article 843 du Code civil établit ainsi que « Tout héritier (…) doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement (…). »

La donation s’impute alors sur la part successorale de l’héritier concerné. Si elle excède cette part, elle peut alors être soumise à l’action en réduction. L’article 920 du Code civil prévoit ainsi que « Toutes les libéralités, directes ou indirectes (…) sont réductibles (…). ».

L’enfant bénéficiaire de la vente requalifiée en donation peut voir sa part fortement ou totalement réduite dans la succession de son parent, voire devoir indemniser en valeur ses frères et sœurs si l’avantage reçu excède sa part successorale.

SI l’enfant bénéficiaire dissimulait cette donation, il se rend coupable de recel successoral (article 778 du Code civil).

En cas de donation déguisée, la valeur ramenée à la succession porte sur l’avantage consenti par l’acte, c’est-à-dire la différence entre le prix payé et le prix réellement dû (Cass. Chambre civile 1. 11 juillet 2019, n°18-19415).

vente à un enfant avec réserve d’usufruit ou en viager : présomption de donation de l’article 918 du Code Civil et présomption fiscale de propriété de l’article 751 du cgi

Lorsque la vente à un enfant est réalisée en nue-propriété ou en viager afin de conserver l’usage du bien ou les revenus qu’il procure, l’opération fait alors l’objet de deux présomptions distinctes.

Les risques de la présomption de l’article 918 du Code civil

L’article 918 du Code civil prévoit que certaines ventes de bien à un « successible en ligne directe » soient « imputées sur la quotité disponible » et que « l’éventuel excédent soit sujet à réduction ».

Cela revient à dire que ces ventes sont considérées comme des donations ramenées à la succession lors du décès du parent vendeur et subissent l’action en réduction si cette donation excède la quotité disponible.

De quelles ventes s’agit-il ?

La présomption de l’article 918 du Code civil concerne :

  • les ventes avec réserve d’usufruit
  • les ventes en viager
  • les ventes à fonds perdus moyennant un avantage pendant la vie du vendeur, tel le bail à nourriture.

Quels sont les héritiers concernés ?

L’article 918 du Code civil vise les successibles en ligne directe qui sont héritiers présomptifs au jour de l’acte.

La vente à un enfant est donc directement concernée. Mais la vente à un petit-fils par exemple alors que son parent est toujours en vie ne l’est pas (Cass. 1er Civ. 17 mars 1982 n°81-12.119).

Seuls les autres héritiers en ligne directe peuvent demander l’exercice de cette présomption mais à condition de n’avoir pas consenti à la vente.

Ceci signifie donc que :

  • la vente en nue-propriété d’un bien immobilier à un enfant unique n’est pas concernée. Un autre héritier, en ligne collatérale par exemple (oncle ou tante, neveu ou nièce…) ne peut agir à l’encontre de cet enfant sur la base de cette présomption.
  • si les autres héritiers en ligne directe ont accepté formellement la vente, la présomption de l’article 918 ne peut plus s’appliquer comme nous le verrons un peu plus loin.

Quelle est la portée de cette présomption ?

Cette présomption de donation est irréfragable. Elle ne peut donc être contestée par aucun moyen.

L’opération de vente sera ainsi considérée comme une donation, même si elle est réalisée au prix du marché et même si l’intégralité du prix a été payé (Cass. 1ère  civ. 29 janvier 2014, N° 12-14509 et 13-16511).

La présomption de l’article 918 du Code civil à l’épreuve de la Constitution :

Le principe de l’article 918 du Code civil contraint nécessairement le droit de libre disposition des biens, le droit de propriété de l’acquéreur ainsi que la liberté contractuelle tels qu’établis par les articles 2, 4 et 17 de la Déclaration de 1789.

Suite à une QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) en 2013, le Conseil Constitutionnel a considéré que l’article 918 n’est pas contraire à la Constitution. La contrainte exercée sur le droit de propriété répond en effet à un objectif d’intérêt général de protéger le droit des héritiers réservataires et le champ d’application est très encadré (les types de vente concernées sont clairement définis ainsi que la qualité des héritiers).

Quelles sont les conséquences ?

La présomption de l’article 918 du Code civil produit ses effets au moment du décès du parent vendeur.

La vente est considérée comme une donation réalisée hors part successorale (donation préciputaire). Sa valeur au jour du décès selon l’état du bien au jour de la donation est donc ramenée à la masse successorale. Elle peut subir l’action en réduction si son montant excède celui de la quotité disponible (article 913 du Code civil).

Les autres héritiers en ligne directe, c’est-à-dire les frères et sœurs de l’enfant en faveur de qui la vente immobilière a été réalisée, peuvent donc intenter l’action en réduction et obtenir le paiement de l’excédent de l’avantage obtenu par rapport à la quotité disponible.

Ils ne peuvent pas demander l’annulation de la vente immobilière s’ils souhaitaient devenir propriétaire du bien, l’action en réduction ne se réalisant qu’en valeur afin d’éviter toute indivision.

Mais cette situation peut aboutir à la vente du bien si l’enfant acquéreur n’a pas les moyens de payer le montant dû de la réduction.

Par ailleurs, l’enfant acquéreur du bien qui subit l’action en réduction ne peut pas récupérer le paiement total ou partiel déjà réalisé auprès de son parent pour l’acquisition du bien.

Les risques de présomption de propriété de l’usufruitier : article 751 du CGI

La vente en nue-propriété permet à l’usufruitier de conserver l’usage et les revenus du bien.

Cette opération permet également au nu-propriétaire de devenir plein propriétaire au décès de l’usufruitier, sans droits de succession (article 1133 du CGI).

Dans le cadre d’une vente en nue-propriété à un enfant, cet avantage est néanmoins soumis à la présomption de l’article 751 du CGI.

Celle-ci prévoit que si la nue-propriété est détenue par un héritier présomptif ou des descendants de ces derniers, ou bien des donataires ou légataires de l’usufruitier ou par des personnes interposées, le bien est ramené pour sa valeur en pleine propriété dans la masse successorale du parent défunt.

La vente par un parent de la nue-propriété d’un bien immobilier à un enfant est donc concernée. Le démembrement de propriété n’a alors plus d’effet successoral puisque la valeur en pleine propriété du bien est imposable aux droits de succession.

Pire que cela, l’achat de la nue-propriété n’a alors plus d’impact sur la succession puisque l’enfant nu-propriétaire paiera des droits de mutation à titre gratuit sur la pleine propriété du bien alors qu’il en détient déjà la nue-propriété. Il pourra néanmoins imputer sur ces droits de succession les droits de mutation à titre onéreux payés lors de l’acquisition de la nue-propriété (article 751 du CGI, alinéa 4).

L’article 751 du CGI prévoit néanmoins plusieurs situations où il n’y a pas lieu de procéder à cette réintégration fiscale dans la succession de l’usufruitier :

  • s’il y a eu une donation dite régulière (passée devant notaire) plus de trois mois avant le décès
  • si le démembrement de propriété a été effectué à titre gratuit plus de trois mois avant le décès par acte authentique et que la valeur de la nue-propriété a été déterminée selon le barème de l’article 669 du CGI.

Il n’est pas fait mention de la situation où la nue-propriété a été vendue à l’héritier.

Néanmoins, la présomption de l’article 751 du CGI est une présomption simple et peut donc être écartée par démonstration de la preuve contraire.

C’est ce que prévoit l’alinéa 3 du même article. La preuve contraire peut ainsi être apportée lorsque :

  • le nu-propriétaire a bénéficié d’une donation d’argent, quel que soit le donateur, afin qu’il puisse acquérir la nue-propriété du bien plus de trois mois avant le décès
  • l’acte d’acquisition mentionne ce remploi et que l’origine des fonds puisse ainsi être justifiée.

La présomption de l’article 751 du CGI n’a alors pas lieu de s’appliquer.

La situation où l’enfant acquiert la nue-propriété plus de trois mois avant le décès de son parent vendeur en finançant lui-même l’acquisition n’est pas clairement évoquée dans l’article 751 du CGI.

Néanmoins, par extension, il est logique de considérer que si l’acquisition de la nue-propriété par un enfant est financée par ses fonds propres ou par un crédit bancaire dont il assume réellement le remboursement, qu’il peut justifier de l’origine personnelle de ces fonds, et que cette acquisition a lieu plus de trois mois avant le décès, la preuve contraire serait également apportée.

Cette présomption de l’article 751 du CGI pesant également sur la vente en nue-propriété à un enfant peut donc être écartée, mais il s’agira de respecter ces conditions et de pouvoir en apporter la preuve.

Le risque demeure si le décès du parent usufruitier intervient dans les trois mois de la vente.

Mais la preuve contraire peut également être apportée sur ce point. Si la donation est considérée comme sincère et si le décès survenu dans les trois mois est soudain et inattendu, la jurisprudence (Cass. Com 17-1-2012 n° 10-27.185 ; CA Paris 6-6-2017 n° 14-25473) ainsi que l’administration fiscale dans ses commentaires (BOI-ENR-DMTG-10-10-40-10 n° 290) admettent que la présomption de l’article 751 ne s’appliquent pas.

Vente d’un bien immobilier à un enfantRisques fiscauxRisques civils
Vente en pleine propriété

  • Rectification pour insuffisance de prix

  • Requalification en donation indirecte ou déguisée

Autres héritiers réservataires : Demande de requalification en donation
Vente en nue-propriété avec réserve d’usufruitArticle 751 du CGI : présomption simple de donation en pleine propriété du bienAutres héritiers en ligne directe :
Article 918 du Code civil : présomption irréfragable de donation préciputaire sauf pour les héritiers ayant accepté formellement la vente
Vente en viager ou à fonds perdusAutres héritiers en ligne directe :
Article 918 du Code civil : présomption irréfragable de donation préciputaire sauf pour les héritiers ayant accepté formellement la vente

Source : Anne Brouard – JUST DEEP CONTENT

vente d’un bien immobilier à un enfant : quelles précautions prendre ?

La vente d’un bien à un enfant doit être réalisée avec prudence pour éviter les risques civils et fiscaux inhérents à ce type d’opération. Les solutions diffèrent selon si la vente est réalisée en pleine propriété, en nue-propriété ou en viager.

vente en pleine propriété : respecter le prix du marché et le paiement du prix

Si la vente se réalise en pleine propriété, il est nécessaire d’être vigilant :

  • au prix de vente qui doit être similaire à celui du marché : une évaluation du bien doit d’abord être réalisée par un notaire ou un expert immobilier. La seule évaluation par une agence immobilière pour définir un prix de mise en vente dans un mandat serait insuffisante. Il est utile également de pouvoir obtenir les prix de vente de transactions réalisées récemment sur des biens semblables et une même localisation.
  • au paiement du prix qui doit être réel. Si un crédit est accordé à l’enfant par le parent vendeur, son terme doit être défini, ainsi que ses échéances et le paiement d’intérêt dans un contrat de prêt qui sera enregistré auprès des impôts.Le paiement du prix permet de prouver qu’il ne s’agit pas d’une donation. Un arrêt récent de la Cour de cassation considère que l’opération ne peut être requalifiée en donation dans le cas d’un paiement partiel et effectif du prix et d’une reconnaissance de dette (Cass. Chambre commerciale, 14 avril 2021, 18-15.623).
  • à la conservation de la preuve de l’origine des deniers et du paiement de ce prix (relevés bancaires, mention dans l’acte d’acquisition).

vente avec réserve d’usufruit ou en rente viagère : des précautions spécifiques

La vente à un enfant en nue-propriété ou en viager sont particulièrement délicates et requièrent des précautions spécifiques.

Pour éviter la présomption de l’article 918 du Code civil : participation de tous les enfants à l’acte ou conservation du seul droit d’usage et d’habitation

Pour éviter la présomption de l’article 918 du Code civil, la solution la plus sûre est d’obtenir lors de la vente en nue-propriété ou en viager l’accord des autres héritiers en ligne directe.

Ces héritiers devront participer à l’acte authentique et le signer. Ils reconnaissent ainsi qu’il s’agit bien d’un véritable acte de vente, qu’il ne s’agit pas d’une libéralité ou qu’il n’en cache pas.

Ils ne pourront plus demander l’application de l’article 918 du Code civil pour réintégrer la valeur en pleine propriété du bien dans la succession, cette demande ne pouvant être faite que par les héritiers en ligne directe qui n’ont pas consenti à la vente (article 918 du Code civil).

Une autre solution également est de vendre le bien à un enfant en conservant uniquement le droit d’usage et d’habitation mais pas le droit d’usufruit.

L’article 918 du Code civil ne mentionne en effet que les ventes avec réserve d’usufruit. La jurisprudence considère que le droit d’usage et d’habitation n’est pas concerné (Cass. 1ère Civ. 5 février 2002, 99-19.875).

Le droit d’usage et d’habitation limite néanmoins les droits du parent vendeur qui ne pourra pas louer le bien et en percevoir des revenus.

Pour éviter la présomption de l’article 751 du CGI : la preuve de paiement du prix

Pour éviter la présomption fiscale de l’article 751 du CGI, il est nécessaire de pouvoir apporter la preuve contraire par :

  • le paiement réel du prix d’acquisition de la nue-propriété par l’enfant. En cas de crédit, tout comme pour la vente en pleine propriété, ce prêt doit être réel, avoir un terme, des échéances réellement payées, un taux d’intérêt et être enregistré.
  • la preuve de l’origine des deniers. Les fonds utilisés doivent bien appartenir à l’enfant acquéreur ou provenir d’un véritable crédit contracté à titre personnel ou encore d’une donation d’argent ayant date certaine.

L’opération devra bien sûr avoir été réalisée au moins trois mois avant le décès de l’usufruitier. L’opération est donc en risque fiscal d’un point de vue successoral tant que ce délai n’est pas purgé, sauf à pouvoir prouver que la donation était sincère et le décès soudain et fortuit.

vendre à une sci (société civile immobilière) ou autre société dans laquelle l’enfant est associé ?

On l’aura sans doute remarqué, les articles 918 du Code civil et 751 du CGI n’envisagent pas expressément le cas d’une vente à un enfant via une société.

Si l’enfant acquéreur crée une société, une SCI (Société Civile Immobilière) par exemple, pour réaliser l’achat en nue-propriété :

  • l’article 918 du Code civil ne serait pas applicable selon les dernières jurisprudences (1ère Civ. 30 septembre 2009, Bull. civ. I, N° 199) puisqu’il mentionne la vente à un successible en ligne directe. La société acquéreur n’est pas, en tant que personne morale, un héritier en ligne directe.Il convient néanmoins d’être prudent et de suivre les éventuelles évolutions jurisprudentielles.
  • l’article 751 du CGI ne mentionne pas non plus expressément le cas où la nue-propriété est détenue par une société. Il concerne les nu-propriétaires héritiers présomptifs de l’usufruitier, leurs descendants, les donataires ou légataires de l’usufruitier ou les personnes interposées. Ces dernières sont définies par l’article 911 alinéa 2 du Code civil. Il s’agit des père et mère, des enfants et descendants ou du conjoint. Les personnes morales ne sont pas considérées comme personne interposée au titre de cet article.

Dans tous les cas, l’opération peut être visée par une procédure d’abus de droit s’il peut être prouvée que la société est fictive ou qu’elle a été créée dans l’objectif exclusif (article L64 du LPF) ou principal (article L64 A du LPF) d’éluder l’impôt.

La vente d’un bien immobilier à un enfant est donc loin d’être une opération classique. Même si elle passe par les mêmes étapes qu’une transaction immobilière habituelle, des précautions spécifiques doivent être prises.

Le risque est celui d’une requalification fiscale mais aussi civile par les autres héritiers en ligne directe au moment du décès du parent vendeur. Les ventes en nue-propriété ou en rente viagère sont particulièrement délicates et doivent faire l’objet d’une attention particulière.

Le conseiller en gestion de patrimoine commettrait une grave erreur s’il considérait cette opération comme ordinaire, voire plus simple qu’une transaction entre tiers. Il ne doit pas non plus estimer que la bonne entente familiale suffira. Son rôle est ici central pour accompagner correctement son client.

Auteur
 Anne Brouard 

Intervenante-formatrice pour le CESB Expert en Gestion de Patrimoine, diplôme RNCP Niveau 7, Ingénieur patrimonial et fondateur de JUST DEEP CONTENT, agence de contenu spécialisée en gestion de patrimoine