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Arrêt de Ruyter, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, dernières jurisprudences, Brexit : où en est-on sur l’application des prélèvements sociaux en France des revenus du patrimoine des non-résidents et des personnes affiliées à un régime de sécurité sociale étranger ?

Au début des années 1990, la France a créé la Contribution Sociale Généralisée (CSG) et la Contribution pour le Remboursement de la Dette Sociale (CRDS). Définis comme des impôts sur le revenu mais exclusivement affectés au financement de la Sécurité Sociale, ce caractère hybride a posé de nombreuses questions aux non-résidents français ou aux résidents mais cotisants à un système sociale étranger.

Depuis 2015 et la jurisprudence dite de Ruyter, puis la loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2019, les personnes relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre pays que la France situé dans l’UE (Union Européenne), l’EEE (Espace Économique Européen) ou la Suisse ne sont pas soumis à la CSG ni à la CRDS sur leurs revenus du patrimoine en France. Mais ils restent imposés au prélèvement de 7,5 %.

Les non-résidents bénéficient quant à eux de la même règle mais uniquement sur les revenus et plus-values de leur patrimoine immobilier situé en France.

Qu’en est-il par ailleurs des personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d’un pays non membre de l’UE ? Quid des ressortissants britanniques depuis le Brexit ?

L’application des contributions et prélèvements sociaux en France sur les revenus du patrimoine des non-résidents ou personnes affiliées à un régime de sécurité sociale étranger a connu de multiples épisodes. Le point sur cette question relativement complexe.

Le présent article traitera uniquement des prélèvements sociaux applicables aux revenus du patrimoine. Nous n’aborderons pas les prélèvements sociaux sur les revenus d’activité et de remplacement.

prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine et de placements : le principe

La contribution sociale sur les revenus du patrimoine (revenus immobiliers, revenus de capitaux mobiliers, rentes viagères à titre onéreux) est exigible des personnes physiques domiciliées fiscalement en France, à l’exception de celles qui ne sont pas à la charge d’un régime obligatoire de sécurité sociale français et qui relèvent d’un régime d’assurance maladie couvert par le Règlement CE du 29/04/2004.

Rappel :

Depuis 2018, les prélèvements sociaux sont calculés au taux de 9,2% pour la CSG, 0,5% pour la CRDS et 7,5% pour le prélèvement de solidarité, soit un taux global actuel de 17,2%.

Le principe est identique pour tous les produits de placement (revenus mobiliers ou immobiliers, mais aussi plus-values mobilières ou immobilières).

Ne sont donc actuellement redevables ni de la CSG, ni de la CRDS les non-résidents ou les personnes physiques domiciliés en France qui relèvent de la législation d’assurance-maladie d’un autre Etat de l’UE, de l’EEE ou de la Suisse et qui ne sont pas à la charge d’un régime obligatoire français.

La résidence fiscale s’apprécie au fait générateur de l’impôt et non au 31 décembre de l’année.

Exemple :

Les prélèvements sociaux ne sont pas applicables à un contribuable qui cède en avril 2014 des titres issus d’un plan de stocks options alors qu’il est domicilié en Suisse lors de la cession et ne dépend que du régime de sécurité sociale suisse, quand bien même il est devenu résident de France le 1 août 2014 (TA Versailles 5/02/2019 N°1701138).

Notons que les Français domiciliés à Monaco, bien que relevant de l’impôt sur le revenu français sur le fondement de la Convention Franco-Monégasque, ne sont pas soumis aux prélèvements sociaux.

les prélèvements sociaux des non-résidents ou des personnes affiliées à un régime étranger de sécurité sociale : une saga française

L’application des prélèvements sociaux aux revenus du patrimoine des non-résidents ou des personnes non-affiliées au régime de sécurité sociale français a connu de multiples rebondissements.

de la jurisprudence de ruyter …

Un non-résident français ou un résident français mais affilié à un régime étranger de sécurité sociale et percevant des revenus tirés de son patrimoine ou des produits de placements a longtemps dû s’acquitter des prélèvements sociaux en France.

Au-delà de la situation illégitime de participer au financement de prestations auxquelles le contribuable ne profitait pas, l’investisseur était très souvent soumis à un risque de double imposition aux prélèvements sociaux.

La CJCE (Cour de Justice de la Communauté Européenne) a été saisie et a pris position par la bien-connue jurisprudence de Ruyter (CJCE 26 février 2015 Aff.623/13) : en l’espèce, un ressortissant hollandais, domicilié en France mais rattaché du fait de son activité professionnelle à la Sécurité sociale des Pays-Bas, était assujetti à la CSG et CRDS sur les revenus de son patrimoine. La CJCE a condamné la France en jugeant qu’on ne pouvait être soumis, sur les mêmes revenus, à la fois à un régime de sécurité sociale d’un Etat membre et à celui de son Etat de résidence.

Dans un arrêt (CE 27/07/2015 N°334551), le Conseil d’État a confirmé cette jurisprudence de Ruyter en ouvrant un droit au remboursement pour les personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d’un pays autre que la France situé dans l’UE ou dans l’EEE ou en Suisse.

Fin de l’acte 1.

… à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 et l’exception du prélèvement social de 7,5 %

A la suite de ces arrêts qui ont pesé lourd sur les finances publiques, et sans tenir compte de sa première défaite, le législateur a tenté par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016 de modifier l’affectation budgétaire des contributions sociales, afin qu’elles ne soient plus affectées au régime de sécurité sociale mais à des prestations uniquement non contributives.

Par ce « tour de passe-passe », Bercy estimait que les prélèvements sociaux n’étaient plus dans le champ du droit européen. Malgré la jurisprudence de Ruyter, les contribuables affiliés à un régime européen de sécurité sociale, résidants ou pas en France, demeuraient donc redevables de prélèvements sociaux sur leurs revenus du patrimoine.

Cette parade s’est avérée vaine et a été rapidement critiquée puisque la Cour administrative d’appel de Nancy a, dès 2018 (CAA Nancy 31/05/2018), déchargé des non-résidents fiscaux de contributions sociales à verser sur leurs revenus du patrimoine français.

Sentant le vent tourner, dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019, le législateur a exonéré de CSG et CRDS les revenus du patrimoine des personnes qui ne sont pas à la charge du régime obligatoire français de sécurité sociale mais qui relèvent du régime obligatoire d’un autre Etat membre de l’UE, de l’EEE ou de la Suisse.

Mais l’imagination de notre législateur est sans limite. Dernier état de ce feuilleton législatif et jurisprudentielle : une fusion et un remplacement de certains prélèvements sociaux a eu lieu au sein d’un nouveau prélèvement de solidarité, au taux fixe de 7,5%, affecté au budget de l’Etat et non au financement de la Sécurité sociale.

Le Conseil d’Etat a validé ce prélèvement de solidarité en le considérant hors du champ d’application du droit européen.

Ainsi aujourd’hui :

  • Les résidents français ne relevant pas du régime obligatoire français de sécurité sociale mais d’un autre Etat de l’UE, de l’EEE, ou de la Suisse ne voient donc plus leurs revenus du patrimoine soumis à la CSG/CRDS, mais uniquement au prélèvement social de 7,5%.
  • Les non-résidents quant à eux ne sont assujettis qu’à raison de leurs revenus immobiliers ou plus-values immobilières, et uniquement au prélèvement social de 7,5% s’ils sont « européens ».

Prélèvements sociaux des personnes non-affiliées à un régime de sécurité sociale français et des non-résidents :

Prélèvements sociaux 

Résidents fiscaux en France 

Résidents fiscaux en France mais relevant d’un régime de sécurité sociale d’un pays de l’UE, EEE ou de la Suisse 

 

Résidents dans un autre pays de l’UE, de l’EEE ou la Suisse 

Résidents d’un pays tiers à l’UE, EEE ou la Suisse 

 

Sur les Revenus de Capitaux Mobiliers et Plus-value sur valeurs mobilières 

 

 

 

 

17,2 % 

 

 

 

7,5 % 

 

 

 

Pas imposable 

 

 

 

Pas imposable 

 

Sur les revenus et plus-values immobilières 

 

 

 

17,2 % 

 

 

7,5 % 

 

 

7,5 % 

 

 

17,2 % 

le cas des personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d’un état non-membre de l’ue

En parallèle, la Cour de Justice a précisé les effets de la décision de Ruyter à l’occasion du recours d’un ressortissant français domicilié en Chine, rattaché à un régime privé de sécurité sociale et soumis aux prélèvements sociaux sur ses revenus du patrimoine français.

Ainsi, excepté le cas particulier de la Suisse, la décision précitée ne s’applique pas aux personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d’un Etat non-membre de l’UE (CJCE 18/01/2018 Aff.45/17 RJF 4/18 N°657).

Le fait qu’une personne affiliée à un régime de sécurité sociale d’un État tiers soit soumise aux prélèvements sociaux, alors que ce n’est pas le cas d’une personne rattachée à un régime européen, constitue certes une restriction à la libre circulation des capitaux. Elle est néanmoins justifiée par la différence objective de situation, seuls les ressortissants de l’EEE pouvant bénéficier de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale (Art.11 Règlement 883/2004 du 29/04/2004).

Le Conseil d’Etat en a tiré les conséquences en rejetant les recours formés par des contribuables affiliés à la sécurité sociale d’un État tiers : ainsi, un ressortissant russe, domicilié en France mais cotisant à un système de protection sociale moscovite, n’a pas été jugé fondé à contester les prélèvements sociaux dont il a fait l’objet sur ses revenus de capitaux mobiliers perçus en France (TA Strasbourg 27/03/2018 N°1600179, 3 Chambre).

prélèvements sociaux des non-résidents : le cas spécifique des revenus et des plus-values immobilières

Force est de constater que ce débat n’est pas neutre eu égard à l’augmentation constante des contributions sociales française depuis leur création et au fait que nombre de clients étrangers dits UHNWI (Ultra High Net Worth Individuals ; dont le patrimoine est supérieur à 30 millions de dollars) détiennent en France, si ce n’est de l’immobilier de rapport, une résidence secondaire haut de gamme faisant régulièrement l’objet de locations pour des montants substantiels.

L’assujettissement aux prélèvements sociaux des revenus et plus-values immobiliers de biens situés en France et détenus par des non-résidents est le suivant :

  • 7,5% pour ceux qui ne sont pas à la charge d’un régime obligatoire français de sécurité sociale mais qui sont sous la protection d’un régime obligatoire d’un État membre de l’UE, de l’EEE ou de la Suisse.Par exemple, un ressortissant et résidant belge détenant une maison sur la Riviera française faisant l’objet quelques semaines par an d’une location.
  • 17,2% pour les autres : tel un ressortissant et résidant brésilien qui réalise une plus-value sur la vente de son appartement parisien.

Il importe peu que le bien soit détenu à travers une SCI française : lors d’une plus-value de cession d’un bien, les associés russes et japonais n’ont pas pu profiter du taux réduit des prélèvements sociaux, l’arrêt de Ruyter ne s’appliquant pas aux personnes inscrites à un régime de sécurité sociale d’un État tiers à l’UE (TA Paris 29/06/2016 N°1506806, 1 section, 1 chambre).

Cette question s’est également posée pour les ressortissants britanniques suite à la sortie du Royaume-Uni de l’UE le 1 février 2020.

L’administration fiscale française a récemment indiqué, dans une FAQ (Foire Aux Questions) sur le Brexit, qu’au vu des accords de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne signés le 12 novembre 2019 et le 30 décembre 2020, le taux favorable de 7,5% est maintenue si les contribuables remplissent les conditions suivantes :

  • être affiliés au régime de sécurité sociale britannique
  • être ressortissants ou résidents légaux de France, du Royaume-Uni ou d’un autre État membre de l’UE
  • ne pas dépendre d’un régime obligatoire français de sécurité sociale.

Après une histoire mouvementée, on ne peut qu’espérer que la politique française d’imposition aux contributions et prélèvements sociaux des revenus du patrimoine des personnes non-affiliées au régime de sécurité sociale français ou non-résidentes se stabilise. Dans tous les cas, ces situations patrimoniales complexes nécessitent de recourir au conseil de professionnel du patrimoine.

Notes et sources :

Auteur
Julien Milinkiewicz

Ingénieur patrimonial Luxembourg – Formateur intervenant à L’École supérieure de la banque