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Réforme du divorce en 2021 : les clés pour une séparation sereine et maîtrisée

Réforme du divorce en 2021 : les clés pour une séparation sereine et maîtrisée

Temps de lecture estimé : 12 min

Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

La réforme du divorce, initiée en 2017 pour les procédures amiables, se poursuit en 2021 concernant les divorces contentieux. Point et conseils pour anticiper ces situations de rupture volontaire.

 

Pragmatisme et simplification, le législateur est au diapason des couples en instance de séparation. La loi a en effet pleinement consacré le droit à la séparation en contractualisant le divorce. Cette déjudiciarisation du divorce permet de désencombrer les tribunaux et accélérer la mise en œuvre de la séparation, à une époque où les couples se font et se défont beaucoup plus rapidement qu’il y a 40 ans. Véritable baromètre de notre société, le dispositif législatif est désormais empreint de souplesse.

Le législateur, le juge et les professionnels du droit se doivent d’intervenir en interaction bienveillante pour acter la séparation et participer à un règlement rapide, dédramatisé et efficace de la rupture.

Le centre de gravité du divorce s’est déplacé du juge, garant d’un équilibre entre les parties et de l’intérêt de la famille, vers le couple.

La séparation ne doit pas pour autant être appréhendée par ses acteurs comme une simple formalité, sans expertise ni conseils.

Si les procédures permettant d’acter la séparation du couple sont dans leurs subtilités l’affaire des professionnels, il n’est toutefois pas inutile de faire un point sur les différentes voies de divorce possibles et leurs modalités depuis le 1er janvier 2021, avant d’aborder les fondamentaux permettant de sécuriser le processus de rupture et d’y insuffler de la sérénité.

quelle réforme du divorce depuis le 1er janvier 2021 ?

L’article 229 du Code civil vise quatre cas de divorce qui peuvent être scindés en deux catégories : le divorce amiable et les divorces contentieux.

La distinction tient au fait de savoir si les époux sont en total accord sur le principe et les conditions du divorce (divorce « amiable ») ou s’ils ont des points de désaccord (divorce « contentieux »).

Rappel des différentes formes de divorce

Le divorce « amiable » (divorce par consentement mutuel – Articles 229-1 à 232 du code civil) :

Le divorce par consentement mutuel a été intégralement déjudiciarisé, excepté en présence d’enfants mineurs qui demandent à être entendus par le juge ou si l’un des époux est incapable (articles 229-2 et 230 du code civil). Dans ces deux hypothèses, le juge demeure garant de l’intérêt des parties vulnérables et doit en conséquence intervenir et homologuer la convention de divorce.

Ce type de divorce implique un accord des deux époux sur le principe du divorce et toutes les conséquences patrimoniales et extrapatrimoniales (partage des biens, prestation compensatoire…).

La procédure non contentieuse est considérablement simplifiée depuis peu, permettant le prononcé du divorce en quelques semaines (loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 modifiant la loi du 11 février 1975) :

  • Choix par chacun des époux d’un avocat personnel,
  • Rédaction d’une convention de divorce détaillant les points patrimoniaux et extrapatrimoniaux liés à la séparation et contenant quelques mentions obligatoires (article 229-3 du code civil),
  • Etablissement d’un état liquidatif, le cas échéant,
  • Envoi par courrier recommandé de la convention aux deux époux,
  • Signature de l’état liquidatif,
  • Signature de la convention par chaque époux sous forme d’un acte sous signature privée contresignée par les avocats, après délai de réflexion de 15 jours,
  • Dépôt de la convention au rang des minutes du notaire dans les 7 jours de la signature de la convention, aux termes duquel le divorce est prononcé.

Les divorces « contentieux » :

Les divorces dits « contentieux » sont au nombre de trois : le divorce pour acceptation du principe de la rupture du mariage (autrement dénommé « divorce accepté »), le divorce pour faute et le divorce pour altération définitive du lien conjugal.

Le divorce pour acceptation du principe de la rupture du mariage (« divorce accepté » – Articles 233 et 234 du Code civil)

Les époux sont ici d’accord sur le fait de divorcer, mais sont en désaccord sur tout ou partie des conséquences patrimoniales ou extrapatrimoniales de la séparation (garde des enfants, partage des biens …).

Le divorce pour faute (Articles 242 à 246 du Code civil) :

En dépit du récent effort législatif de dédramatisation du divorce, impliquant la dissociation des causes de la désunion de leurs conséquences patrimoniales, le divorce pour faute perdure. Dans ce type de divorce, l’un des époux manifeste son intention de divorce en raison d’une violation grave ou renouvelée des devoirs liés au mariage, rendant intolérable le maintien de la vie commune.

Le divorce pour altération définitive du lien conjugal (Articles 237 et 238 du Code civil) :

Ouvrant la voie à une vraie liberté de divorcer, ce type de divorce permet de mettre fin au lien conjugal lorsque la cessation de la communauté de vie entre les époux est avérée.

divorces contentieux : modification de la procédure depuis le 1er janvier 2021

Une nouvelle réforme du divorce est entrée en vigueur au 1er janvier 2021. Les requêtes en divorces contentieux déposées depuis cette date ne nécessitent plus de phase de conciliation et débutent directement par une audience dite « d’orientation et prise de mesures provisoires ».

Suppression de la phase de conciliation des divorces contentieux

Les divorces contentieux impliquent toujours l’intervention du juge mais la phase de conciliation a été supprimée.

Cette étape avait pour but de tenter d’éviter la séparation et a minima de fixer les mesures provisoires jusqu’au jugement de divorce.

La suppression de l’étape de conciliation réduira la durée de la procédure contentieuse de divorce, relativement longue (plus de deux ans en moyenne en 2018).

L’autre avancée concerne également la date de la première audience, connue dès l’assignation. Pour les requêtes engagées depuis le 1er janvier, la procédure débute donc directement par la phase d’assignation, délivrée à la demande d’un époux ou bien des deux époux par requête conjointe.

Cette requête doit contenir notamment une proposition de règlement des intérêts patrimoniaux et extrapatrimoniaux ainsi qu’un état actualisé du patrimoine des époux. L’objectif est ici d’offrir au juge une vision immédiate et claire de la situation et des points à trancher.

Création de l’audience d’orientation et prise de mesures provisoires

Il se tient une seule audience dite d’orientation, au terme de laquelle le juge examine les accords et les désaccords entre les parties et décide d’une mise en état judiciaire ou conventionnelle.

Cette étape permet aux parties d’échanger leurs conclusions et d’y répondre. Elle peut prendre la forme judiciaire et est alors assurée par le juge. Elle peut être également conventionnelle. Les époux signent alors une convention de procédure participative aux fins de mise en état et échangent de manière autonome pendant une période donnée, assistés par leur avocat.

Au cours de cette audience, le juge prononce également les mesures provisoires, permettant d’organiser la vie des époux et de la famille jusqu’au jugement de divorce (article 254 du Code civil). Ces mesures peuvent concerner les modalités de résidence des époux, d’occupation du logement familial, la fixation d’une pension alimentaire, de prise en charge provisoire de certaines dettes entre époux …

Le divorce peut également être prononcé sans audience à la demande des deux époux. A défaut, une audience de plaidoiries sera tenue.

Source : Ministère de la Justice – Réforme du divorce : Une procédure plus simple et plus rapide – Janvier 2021

divorce pour altération définitive du lien du mariage : délai de séparation réduit à 1 an

La loi du 23 mars 2019, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, implique une résidence séparée des époux pendant 1 an et non plus 2 ans.

Ces changements témoignent de la recherche d’une plus grande souplesse des procédures et de réduction de leur délai.

Peu importe le type de divorce, il convient de bien anticiper la séparation eu égard à ses importantes conséquences patrimoniales.

focus sur les points à anticiper

Le divorce par consentement mutuel, sans intervention du juge, est certainement la voie à conseiller.
Il est néanmoins indispensable de s’entourer des conseils qualifiés et de s’assurer d’une bonne coordination entre eux. Certains points à enjeux demandent une attention spécifique, tels la date de dissolution du mariage à retenir, la valorisation des actifs, le périmètre du partage ainsi que le mode de règlement de la prestation compensatoire.

un divorce sans juge mais pas sans professionnels

Si la tendance est de favoriser les divorces dits contractuels, il reste indispensable de s’entourer de professionnels du droit qui sauront se coordonner.

Le divorce sans juge ?

L’orientation actuelle est à la contractualisation du divorce. Opter pour le divorce par consentement mutuel permet de gagner en célérité et de limiter les coûts.

Faut-il pour autant laisser le divorce entre les mains d’époux non professionnels du droit, dont les intérêts deviennent divergents par l’effet même du divorce ?

Même non judiciaire et en présence de patrimoines très lisibles et facilement partageables, le divorce peut prendre quelques mois.

L’entente initiale peut se fissurer, d’autant que l’enjeu pour les futurs ex-époux est celui d’une projection dans leur vie d’après, notamment d’un point de vue économique et fiscal (acquisition d’une nouvelle résidence principale, expatriation, nouvelle union, nouveaux enfants…).

Le divorce contractuel implique l’absence d’arbitre et parfois des négociations non rythmées par l’intervention du juge. D’où la nécessité de faire intervenir des conseils avisés.  La situation est également complexe lorsqu’il s’agit du divorce du chef d’entreprise.

Des conseils bien choisis

Le nouveau divorce gracieux impose à chaque époux de choisir son propre avocat pour garantir un consentement libre et éclairé.

L’option pour un avocat qui renseigne de manière claire et complète sur les conséquences civiles et fiscales du divorce, et non uniquement sur l’aspect procédural du divorce, est primordial. Entre fermeté et souplesse, l’avocat choisi devra savoir trouver le « mauvais » arrangement pour éviter le « bon » procès.

L’intervention d’un notaire commun est également importante pour trancher des points de droit patrimonial qui relèvent davantage traditionnellement de sa compétence.

La complémentarité des conseils, si elle a un coût, peut en réalité s’avérer pertinente et source, in fine, d’économies.

Des interactions positives entre les professionnels

En cas de divorce par consentement mutuel, le notaire devra déposer au rang de ses minutes la convention de divorce établie par les avocats.

Ce dépôt confèrera force exécutoire et date certaine à la convention et le divorce sera alors prononcé.

Un contrôle formel s’impose au notaire qui doit s’assurer, à peine de nullité, que les mentions obligatoires de l’article 229- 3 du Code civil figurent bien dans la convention.

Il est donc déterminant de faire suivre au notaire le projet de convention, avant signature par les époux, afin d’éviter de devoir réinitier la procédure en cas d’irrégularités.

La bonne coordination des professionnels sur l’articulation des opérations, permet de privilégier un circuit court, c’est-à-dire la signature concomitante de l’état liquidatif lorsque celui-ci est établi par acte notarié d’une part et de la convention de divorce d’autre part, le même jour et en présence des époux.

Ceci évite également l’imprévisibilité d’une signature de l’état liquidatif indépendamment du prononcé du divorce.

la fixation d’une date pertinente de dissolution de l’union

Cette date est fondamentale, tout particulièrement en cas de régime matrimonial communautaire car elle fixe la consistance des patrimoines propres et commun des époux.

Tous les biens acquis par les époux postérieurement à cette date sont exclus de la masse commune et appartiennent exclusivement à l’époux acquéreur.

L’article 262-1 du Code Civil dispose que le jugement de divorce prend effet dans les rapports entre les époux, en ce qui concerne leurs biens :

  • lorsqu’il est prononcé par consentement mutuel conventionnel : à la date du dépôt notarié de la convention sous seing privé contresignée par les époux, à moins que cette convention n’en stipule autrement
  • lorsqu’il est prononcé pour acceptation du principe de la rupture du mariage, pour altération définitive du lien conjugal ou pour faute: à la date de la demande en divorce (assignation ou demande conjointe) par suite de l’entrée en vigueur le 1er janvier 2021 de la réforme du 23 mars 2019.

Ainsi, l’un des époux qui entendrait acquérir un bien au cours de la procédure de divorce, aurait sans doute intérêt à fixer la date de dissolution de l’union avant l’acquisition. En effet, si le divorce était prononcé et définitif, le bien acquis serait alors sa propriété exclusive. A défaut, le bien acquis appartiendrait à la communauté.

Reste à en convaincre son époux, qui sera peut-être sensible aux arguments avancés s’il se trouve dans une même configuration d’acquisition ou si la consistance de son patrimoine risque d’évoluer à brève échéance.

Ainsi et par exemple, l’époux qui détiendrait des stock-options aurait tout intérêt à fixer une date de dissolution antérieure à la levée des stocks. La Cour de Cassation a en effet jugé (Cass. Civ. I, 9 juillet 2014) que l’exercice de ces droits d’option entre dans la communauté lorsque l’option est levée durant le mariage.

un état liquidatif exhaustif mais un partage circonscrit au strict nécessaire

L’acte liquidatif établi dans le cadre du divorce par consentement mutuel des époux doit être complet.

Il n’est donc pas possible d’exclure les comptes bancaires communs avant la dissolution du régime ou le prix de vente d’un bien immobilier commun.

A défaut, une réouverture du dossier après divorce serait possible et les peines du recel pourraient trouver à s’appliquer en cas de distraction frauduleuse de l’un des époux.

Pas de liquidation en revanche requise si le bien immobilier détenu en indivision par des époux séparés de biens était vendu avant la date de dissolution retenue entre les époux.

Un époux marié sous un régime séparatiste aura donc tout intérêt à vendre les biens indivis avant la date de dissolution retenue.

En revanche, pour l’époux commun en bien : impossible de faire échapper le bien commun ou son prix à la liquidation.

Une solution néanmoins : donner aux enfants avant la date de dissolution permettrait de réduire l’assiette des biens soumis à liquidation tout en anticipant une transmission à sa descendance.

Là encore, les conseils devront anticiper ces questions.

Si le régime matrimonial doit être liquidé de manière exhaustive, il est parfaitement possible de ne partager que partiellement les biens communs devenus indivis. En effet, un maintien en indivision est envisageable le temps de la vente de ces biens avec renvoi au dispositif légal ou à une convention d’indivision préparée par un notaire ou avocat.

Lors de la vente du bien, la répartition du prix entre les deux ex-époux ne sera pas soumise au droit de partage si le partage est uniquement verbal (Réponse Valter (JOAN du 22 janvier 2013, n° 9548), BOFIP (BOI-ENR-PTG 10-10, n° 65)).

Droit de partage réduit en 2021 puis 2022

Le droit de partage est assis sur l’actif net partager. Plus l’assiette est restreinte, plus l’impôt généré l’est également. Le taux fixé initialement à 2,5 % a été fixé par la loi de finance pour 2020, à 1,8 % depuis le 1er janvier 2021. Il passera à 1,1 % au 1er janvier 2022.

une réflexion « tactique » en matière de prestation compensatoire

L’article 270 alinéa 2 du Code civil enseigne que « la prestation compensatoire est destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives ».

Les parties doivent s’accorder, à défaut de relais judiciaire, sur l’existence même de la prestation compensatoire et fixer son quantum.

La fiscalité étant protéiforme en fonction de la nature des biens donnés et le délai de remise, une analyse approfondie sera requise pour optimiser l’opération pour son débiteur.

Privilégier la remise de biens propres permettra d’éviter un droit de partage, lequel ne s’applique qu’à la délivrance de biens indivis ou communs.

Une remise d’une somme d’argent propre permettra de contourner le sujet des plus-values applicable à la remise de biens immobiliers ou de titres sociaux propres.

Si la prestation compensatoire est versée sur moins de 12 mois ou si un bien est attribué en nature : une réduction d’impôt égale à 25 % des sommes versées dans la limite de 30 500 € (soit au total 7625 €) est applicable.

Au-delà de 12 mois, une déduction du montant de la prestation compensatoire des revenus est possible.

Une réflexion autour de la mise en place d’une prestation compensatoire mixte peut également être menée : en capital versé immédiatement pour partie et pour autre partie sur une durée supérieure à 12 mois.

une valorisation adaptée à la date de jouissance divise

Les valeurs portées dans l’état liquidatif doivent être des valeurs de marché, c’est-à-dire fixées par le jeu de l’offre et de la demande.

En cas de sous-valorisation, une action en complément de part pourrait être initiée par l’ex-époux lésé de plus d’un quart. De surcroît, l’administration fiscale serait susceptible de redresser en cas d’insuffisance de valorisation durant le délai de reprise.

En vue de sécuriser l’opération, il est recommandé de recourir à des avis de valeur rendus par des professionnels de l’immobilier ou du chiffre pour expertiser les biens immobiliers et titres sociaux.

Un partage inégal et causé entre les époux sera sans nul doute préférable à un partage égalitaire de façade, établi sur la base de valeurs contestables.

L’attribution des biens opérés dans le cadre du partage n’est pas génératrice de l’impôt de plus-value en cas de vente ultérieure, car qualifiée d’opération intercalaire : l’époux attributaire sera considéré comme propriétaire du bien à sa valeur d’entrée dans le patrimoine commun ou indivis.

L’impréparation et le manque d’accompagnement pré et post divorce peuvent s’avérer désastreux et envenimer une situation humainement difficile. La séparation peut en effet prendre des aspects fortement conflictuels pendant la période de divorce. Les professionnels du conseil (avocats, notaires, conseils en gestion de patrimoine…) ont plus que jamais leur rôle à jouer pour apporter clairvoyance aux époux dans ces situations.

Auteurs
Cécile Peyroux et Christel Tessier

Notaires

Cécile Peyroux est intervenant formateur à L’ESBanque pour le CESB EGP

Sources :

La protection du logement familial : oui, mais pas dans tous les cas

La protection du logement familial : oui, mais pas dans tous les cas

Temps de lecture estimé : 6 min
L’article 215 alinéa 3 du Code civil protège le logement familial du couple marié. Cette protection du logement familial s’applique-t-elle quel que soit le mode de détention du bien, y compris en SCI ? Et si ce logement est un bien propre ou personnel à l’un des époux, cette protection s’applique-t-elle uniquement pendant le mariage ? Le conjoint peut-il conserver l’usage de la résidence principale et s’opposer à son attribution à un héritier ? Cette protection subsiste-t-elle après la dissolution du régime matrimonial en cas de décès ? En cas de divorce ?

Un récent arrêt de la Cour de cassation, en date du 22 mai 2019 (n°18-16666) nous apporte un éclairage particulier sur ce sujet.

l’article 215 alinéa 3 du code civil – rappels

L’article 215 du Code civil stipule, dans son alinéa 3, que « Les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. (…) »

Ces dispositions sont d’ordre public ; elles s’imposent donc aux époux quel que soit le régime matrimonial choisi (légal, conventionnel, communautaire, séparatiste).

Cette protection du logement familial est acquise d’office lorsque le logement familial est commun. En effet, dans ce cas, c’est la cogestion qui s’impose (Article 1424 du Code civil). L’un des époux ne peut donc pas disposer seul de ce logement sans l’accord de l’autre.

La question est plus prégnante en présence d’un logement propre ou personnel à l’un des époux.

Assurément, dans ce cas, le principe de la cogestion n’existe pas (Article 1428 du Code civil). Les dispositions de l’article 215 alinéa 3 du Code civil trouvent opportunément leur application pour assurer la protection du conjoint survivant.

bien immobilier sur lequel porte cette protection

Il ne s’agit que de la résidence principale de la famille. Les résidences secondaires, comme l’immobilier locatif, ne bénéficient pas de cette protection.

Les meubles meublants du logement familial bénéficient également de cette protection.

droits sur le logement familial bénéficiant de cette protection

La protection joue lorsque le bien immobilier est occupé sur la base d’un droit de propriété, d’un droit d’usufruit, d’un droit d’usage ou d’un bail.

Lorsque le logement familial est détenu par une Société Civile Immobilière (SCI) dans laquelle l’un au moins des époux est associé, la protection accordée par l’article 215 du Code civil ne prend pas naissance.

Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 14 mars 2018 (n° 17-16482) est venu nous le rappeler. Dans cette affaire, une assemblée générale avait donné son accord, au mari gérant, pour vendre le bien immobilier sans le consentement  de son épouse. La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’épouse évincée. Elle précise que cette protection ne joue que si les époux associés justifient d’un bail, d’un droit d’habitation ou d’une convention de mise à disposition du bien à leur profit.

sanction

Le non-respect de l’article 215 alinéa 3 du Code civil peut être sanctionné par la nullité de l’acte (vente, donation…).

La poursuite de la lecture de l’alinéa 3 de l’article 215 du Code civil apporte les précisions nécessaires quant au délai pour agir : « (…) Celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation : l’action en nullité lui est ouverte dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »

opérations concernées par la protection

La vente, la donation, l’échange, l’apport en société, la mise en location du logement familial, ainsi que la prise d’une garantie hypothécaire sur ce dernier, sont visés par cette protection.

La situation sur laquelle la Cour de cassation a eu à se prononcer le 22 mai 2019 est la suivante :

Monsieur, marié sous le régime légal, a donné la nue-propriété de divers biens immobiliers propres à ses enfants nés d’un précédent mariage. Dans ces divers biens immobiliers, l’un constituait la résidence principale des époux. Monsieur s’était réservé l’usufruit de cette résidence principale sa vie durant, sans réversion au profit de son épouse.

Monsieur décède. Son épouse survivante demande l’annulation de la donation au motif qu’elle n’a pas donné son consentement.

durée de la protection de l’article 215 alinéa 3 du code civil

La protection accordée n’est effective que durant le mariage. Aussi, tombe-t-elle lorsque le régime matrimonial est liquidé pour cause de divorce, de décès ou de séparation de corps.

Au cas présent, dans la mesure où la donation de la nue-propriété « n’avait pas porté atteinte à l’usage et à la jouissance du logement familial » pendant le mariage, cette protection ne pouvait être mise en avant par l’épouse survivante.

Cet arrêt de la Cour de cassation du 22 mai 2019 est dans la lignée de celui rendu par la même juridiction le 22 octobre 1974 (n° 73-12402). Dans cette affaire, la Cour de cassation avait validé le fait que l’époux puisse léguer à son frère l’appartement qui composait, de son vivant, le logement familial avec son épouse.

epilogue

Le conjoint survivant éploré, de par le fait que la protection de l’article 215 du Code civil lui aurait échappé, doit-il déménager au plus vite au décès de son conjoint ayant donné la nue-propriété (sans réversion d’usufruit) ou légué la pleine propriété du logement familial ?

La réponse doit être donnée au regard de l’article 763 du Code civil.

En effet, le droit temporaire au logement édicté par l’article 763 du Code civil dispose que « si, à l’époque du décès, le conjoint successible occupe effectivement, à titre d’habitation principale, un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession, il a de plein droit, pendant une année, la jouissance gratuite de ce logement, ainsi que du mobilier, compris dans la succession, qui le garnit. (…) Les droits prévus au présent article sont réputés effets directs du mariage et non droits successoraux. Le présent article est d’ordre public ».

Aussi, deux cas de figure peuvent être envisagés :

  • Le conjoint prédécédé a donné la nue-propriété du logement familial tout en se réservant l’usufruit sa vie durant (sans réversion au conjoint survivant).

A son décès, ce bien n’est pas « un logement (…) dépendant totalement de la succession ». En effet, la nue-propriété ayant déjà été donnée, l’usufruit va s’éteindre au décès ; le logement familial ne dépend donc pas de la succession. Dans ce cas, le droit temporaire au logement, comme le droit viager, ne peut s’appliquer.

  • Le conjoint a légué la pleine propriété du logement familial.

A son décès, ce bien « dépendant totalement de la succession » subira le droit temporaire au logement du conjoint survivant ainsi que le droit viager (sauf à ce que le conjoint survivant ait été privé de ce dernier droit par testament authentique).

récapitulatif

Situation préexistanteProtection de l'art. 215 al. 2 du C. civ.Droits temporaire et viager au logement
Art. 763 et 764 du C. civ.
Donation de la NP (1) de la résidence principale par l’un des époux (2)Au moment du décès : conjoint non protégéAu moment du décès : conjoint non protégé
Legs de la PP (3) de la résidence principaleAu moment du décès : conjoint non protégéDu vivant des époux : conjoint protegé
Vente par une SCI de la résidence principale des époux en l'absence d'un bail (4)Au moment du décès : conjoint non protégéSans objet
Vente par une SCI de la résidence principale des époux en présence d'un bail (5)Du vivant des époux : conjoint protegéSans objet
(1) NP : nue-propriété
(2) avec réserve d’usufruit au seul profit du donateur.
(3) PP : pleine propriété
(4) ou d’un droit d’habitation ou d’une convention d’occupation entre la SCI et les époux
(5) ou d’un droit d’habitation ou d’une convention d’occupation entre la SCI et les époux


Si l’article 215 alinéa 2 du code civil a une vocation forte à protéger le logement familial du couple marié, il serait ainsi faux de croire que cette protection est effective dans toutes les situations. Elle n’a pas lieu de s’appliquer en cas de détention du bien en SCI (sauf disposition spécifique : bail, convention…) et elle n’est surtout plus opérationnelle lorsque le mariage est dissous et que le bien est attribué par donation ou testament à un autre héritier.

Auteur
Emmanuel Bouvenot  

Ingénieur Patrimonial – BPE La banque privée de La Banque Postale

Covid-19 et aide patrimoniale : le prêt familial ou amical

Covid-19 et aide patrimoniale : le prêt familial ou amical

Temps de lecture estimé : 13 min

Face à la crise économique provoquée par la Covid-19, le prêt familial ou amical, jusqu’ici peu développé, devient un outil patrimonial opportun pour aider un enfant, un parent, un ami. Pas uniquement financier, ce prêt répond à différents objectifs patrimoniaux. Dans tous les cas, il doit respecter un certain formalisme et être constitué avec précaution. Tour d’horizon.

Après presque deux mois de confinement et d’arrêt d’une grande partie de l’économie, nous commençons à mesurer les premières conséquences économiques de la crise. Nous en constatons en parallèle les effets humains, sociaux et sociétaux.

Dans les moments que nous vivons, aider un membre de sa famille, un ami, une personne en difficulté sont des actes qui prennent une signification particulière. Au sein d’une famille ou entre proches, aider et prêter sont d’ailleurs des termes qui se rejoignent.

Et ceci d’autant plus que la notion de prêt est bien plus large que sa conception classique de prêt d’argent. Un prêt peut porter sur toutes choses, biens meubles ou immeubles, constituer une aide matérielle (prêt à usage ou prêt de consommation), pécuniaire (prêt d’argent) mais aussi personnelle (prêt d’assistance).

le prêt portant sur des biens matériels : prêt à usage et prêt de consommation

Quel que soit l’objet sur lequel il porte, le prêt se définit comme un contrat par lequel une personne, le prêteur, met à la disposition d’une autre, l’emprunteur, un bien que ce dernier pourra utiliser à « charge de restitution » (C. civ. art 1874).

L’article 1874 du Code civil distingue :

  • Le prêt à usage : il concerne un bien matériel que l’on peut utiliser sans le détruire. Ce type de prêt est également appelé commodat.
  • Le prêt de consommation : il porte sur des biens qui par nature se détruisent par leur utilisation. On parle de biens consomptibles (denrées alimentaires par exemple).

le prêt à usage ou commodat

Le prêt à usage ou anciennement « commodat » est un contrat par lequel le prêteur remet un bien à l’emprunteur afin qu’il s’en serve, à charge pour ce dernier de le rendre après l’avoir utilisé. 

Article 1875 du Code civil 

Le prêt à usage est un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi.

Ce type de contrat est dit réel car il porte sur un bien matériel et ne se forme qu’à la remise de ce bien et non par le simple consentement oral ou écrit des parties.

Ses caractéristiques 
  • Son usage : l’utilisation personnelle d’un bien sans transfert de propriété.
  • Ses objets : le prêt à usage peut porter sur tout type de bien qui ne se détruit pas lors de son utilisation : bien immeuble, bien meuble (un objet, du matériel, un droit incorporel tel qu’un brevet, une marque…).
  • Le prêteur : il peut être le propriétaire de la chose mais aussi un simple détenteur pourvu qu’il ait le droit d’usage et qu’à ce titre il ne lui soit pas interdit de contracter. Il reste le propriétaire du bien pendant la durée du prêt. Le bien reste ainsi dans le patrimoine imposable du prêteur au titre de l’IFI.
  • La gratuité : le prêteur ne reçoit aucune contrepartie (C.civ. art. 1876, art. 1107, al. 2). C’est un contrat qualifié de « contrat de bienfaisance désintéressée ».

  • Sa durée : fixée librement par les parties, elle peut être à terme fixe ou être renouvelable par tacite reconduction.
    • Lorsque le contrat est à terme fixe, le prêteur ne peut pas récupérer le bien pendant cette durée sauf en cas de nécessité et si l’emprunteur l’accepte. En cas de désaccord, le prêteur peut demander la restitution du bien par voie judiciaire (C. civ art. 1889).

    • Lorsque le contrat est renouvelable sans durée déterminée, l’une ou l’autre des parties peut cesser le contrat moyennant un préavis dit « raisonnable » (Cass. Civ. I : 3.2.04). Le contrat prend fin par remise du bien.

      En cas de décès de l’emprunteur, le contrat se poursuit auprès de ses héritiers sauf s’il a été conclu en considération de la personne de l’emprunteur, auquel cas il cesse au décès de ce dernier et ne se transmet pas (C. civ art. 1879 al.2).

      En cas de décès du prêteur, le prêt se poursuit et est à la charge de ses héritiers (C. civ art. 1879).

Les obligations de l’emprunteur
  • Il ne doit se servir du bien qu’à l’usage déterminé par sa nature ou par la convention.
  • Il ne peut ni le céder, ni le louer, son droit est strictement personnel.

  • Il a l’obligation de restituer la chose au terme convenu dans le contrat. Si le bien a été détérioré, l’emprunteur en est responsable uniquement s’il en est la cause, s’il n’a pas respecté par exemple les règles d’utilisation du bien. Si la détérioration provient de l’usage normal du bien ou d’un cas fortuit, il n’a pas à en rendre réparation.

  • Les charges de l’emprunteur : ce sont les dépenses afférentes à la jouissance du bien et à la conservation de l’état du bien (charges d’entretien courantes : charges de copropriété, abonnement au gaz, à l’électricité, à l’eau, taxe d’habitation). Les grosses réparations restent à la charge du prêteur (C.civ ; art. 1890) mais il peut en être convenu différemment entre les parties.

Les obligations du prêteur
  • Il doit laisser le bien à l’usage de l’emprunteur pendant la durée du contrat et ne peut le récupérer qu’à son terme en cas de contrat à durée fixe.
  • Il doit assumer les charges de grosses réparations du bien pendant la durée du prêt.

  • Il reste juridiquement propriétaire et à ce titre imposable à l’IFI si l’objet du prêt est un bien immobilier.

Quelles utilisations en gestion de patrimoine ?

Le prêt à usage ou commodat est souvent utilisé pour laisser un bien immobilier à l’usage gratuit d’une personne dans le cadre d’une indivision successorale par exemple. Si plusieurs enfants héritiers sont indivisaires d’un bien immobilier, il peut être convenu que l’un d’eux l’occupe à titre gratuit. Il aura alors la charge de son entretien courant comme nous l’avons vu.

Le commodat peut permettre à un concubin d’occuper gratuitement la résidence principale qui appartient à l’autre.

Ce type de prêt est pratiqué également dans le domaine agricole pour laisser à un exploitant l’usage gratuit de terres.

Le prêt à usage permet de donner un cadre légal à une situation de fait et aide à éviter des conflits.

Il permet d’éviter également de considérer certaines situations d’usage gratuit comme un avantage libéral : ainsi, la mise à disposition gratuite d’un logement au profit d’un enfant ne constitue pas un avantage indirect rapportable à la succession lorsqu’elle résulte d’un prêt à usage (Cass. 1e civ. 11-10-2017 n° 16-21.419).

Il peut être utilisé dans le domaine de l’entreprise par mise à disposition d’un bien immobilier professionnel.

En quoi le prêt à usage est-il différent d’un bail ?

A la différence d’un contrat de bail, aucune contrepartie financière sous forme de loyer n’est exigée dans le commodat. En sens inverse, dès lors qu’il existe une prestation réciproque de la part de l’emprunteur (paiement d’un loyer ou de la taxe foncière par exemple), le contrat cesse d’être un prêt pour devenir un bail.

le prêt de consommation

Le prêt de consommation porte sur des biens meubles consomptibles et fongibles. L’emprunteur peut consommer la chose prêtée en s’engageant à restituer le même type de bien et pour la même quantité (C.civ. art 1892).

Le prêt de consommation est à distinguer du « prêt à la consommation », terme plus usité mais qui désigne une catégorie de prêt d’argent octroyé par un établissement financier pour des besoins de consommation courante.

Le prêt de consommation peut concerner :

  • Des biens meubles consomptibles et fongibles autres qu’une somme d’argent : des denrées alimentaires, des matières premières…
  • Une somme d’argent : on parle alors de prêt d’argent.

Le prêt de consommation autre que le prêt d’argent

Par nature, l’objet du prêt doit remplir deux conditions :

  • être consomptible : il ne peut être fait usage de la chose sans la détruire (denrées par exemple).
  • être fongible : l’objet peut être remplacé par son équivalent, une chose identique, il est interchangeable ( aliments, matières premières, produits industriels, titres …)

Ce type de prêt ne peut donc pas porter sur des biens immobiliers, qui ne sont jamais fongibles.

Les biens meubles « individualisés », tel un véhicule, ne peuvent pas non plus faire l’objet d’un prêt de consommation.

Ses différences avec le prêt à usage

Contrairement au prêt à usage qui n’autorise l’emprunteur qu’à la jouissance de la chose et n’en fait qu’un simple utilisateur, le prêt de consommation opère un transfert de propriété. L’emprunteur devient de droit propriétaire de la chose empruntée.

Le prêteur ne dispose que d’un droit de créance qui peut s’éteindre par la prescription de droit commun, contrairement au prêt à usage où le droit de propriété du prêteur ne s’éteint pas par la prescription.

A la différence du prêt à usage, par essence gratuit, le prêt de consommation peut être réalisé à titre de service gracieux mais aussi à titre onéreux.

Toutes les charges liées au bien incombent à l’emprunteur puisqu’il y a transfert de propriété du bien contre créance de restitution en faveur du prêteur.

A noter 

Le prêt de consommation peut porter sur des titres ou actions de sociétés et permettre le transfert temporaire du contrôle de la société à un autre actionnaire.

En savoir plus : Dalloz : « Le contrat de location dans tous ses états » page 216 « Le prêt de consommation »

Ses autres caractéristiques
  • Contrat réel : de même que le prêt à usage, le prêt de consommation est un contrat réel qui ne se forme qu’à la remise de la chose à l’emprunteur et non dès le consentement des parties.
  • Durée : si la durée n’a pas été fixée par les parties, la demande de remboursement peut se faire à tout moment. Si la durée est à terme de fixe, le prêteur ne peut pas demander le remboursement anticipé (C.civ. art. 1899).
  • Le décès du prêteur ou de l’emprunteur ne modifie pas la date de restitution et le contrat se poursuit au nom de leurs héritiers.
Les obligations du prêteur

Le prêteur a pour seule obligation la remise du bien prêté à l’emprunteur.

Les obligations de l’emprunteur
  • Restitution : le remboursement doit se faire par le même type de bien et en même quantité ( C.civ. art.1897).
    Si le bien prêté a subi une variation de cours à la hausse, la restitution peut devenir onéreuse, au contraire, s’il a perdu de la valeur, la charge diminue jusqu’à disparaître s’il perdait toute valeur.
  • Intérêt : Si le prêt est à titre onéreux, l’emprunteur devra payer la rémunération prévue au contrat. En général, il s’agit d’une somme d’argent mais rien n’interdit de donner à la rémunération une autre forme : restitution des choses prêtées de meilleure qualité, prestation de service…

Le prêt d’argent

Le prêt d’argent n’est qu’une version du prêt de consommation mais son régime présente des spécificités :

  • Un prêt en principe gratuit : dans sa définition, le prêt d’argent ne donne pas lieu au service d’un intérêt.

Article 1895 du Code civil

« L’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme énoncée au contrat. »

C’est un contrat de bienfaisance (service d’ami) qui transmet à l’emprunteur la propriété de la somme prêtée, à charge pour lui de restituer une somme identique.

Tout comme pour le prêt de consommation, la stipulation d’un intérêt n’est qu’une possibilité offerte au créancier et n’est pas une obligation (C. civ., art. 1905).

  • Mais le plus souvent onéreux : il peut être prévu au contrat que chacune des parties reçoive un avantage en contrepartie du service procuré (C.civ. art.1107, al. 1). Le contrat est alors à titre onéreux.

Le plus souvent, la rémunération du contrat de prêt se fait sous forme d’une somme d’argent et d’un intérêt. Il pourrait aussi s’agir de tout autre avantage ou d’un service.

Si aucun taux d’intérêt n’est prévu par les parties, le paiement se fait sur la base du taux d’intérêt légal en vigueur.

Le taux d’intérêt est en général prévu et choisi conventionnellement par les parties. Dans ce cas, il ne peut excéder le taux de l’usure fixé par la Banque de France tous les trimestres.

Pour information

  • Taux d’intérêt légal au 1er semestre 2020 : 3,15 %
    (pour les personnes physiques dans un cadre non professionnel).

Taux de l’usure :

  • Prêt inférieur à 3000 € : taux de l’usure : 21,31%
  • Prêt supérieur à 3.000 € et inférieur à 6.000 € : 11,20 %
  • Prêt supérieur à 6.000 € : taux de l’usure : 5,68 %

Sources Banque de France 1er avril 2020

Si l’emprunteur ne paie pas les intérêts, le prêteur peut exiger le remboursement immédiat du capital car la cause du contrat (l’intéressement en l’occurrence) qui a justifié le motif de l’engagement du prêteur a disparu.

Le contenu de cette déclaration 

  • Les noms et adresses du prêteur et de l’emprunteur
  • La date
  • Le montant prêté et la quittance de la somme remise : en chiffres et en lettres (C. civ. art. 1376).
  • Les conditions du prêt : le montant des remboursements et leur périodicité (les prêts in fine sont admis)
  • La durée
  • Le taux et la périodicité des intérêts (si intérêts il y a)
  • Les modalités de remboursement du principal.
  • La destination du prêt
  • Les éventuelles garanties de remboursement du prêt
  • Autres formalités fiscales :

    Si le prêt porte intérêt, le prêteur devra déclarer les intérêts perçus dans sa déclaration de revenus et l’emprunteur devra déclarer le montant des intérêts qu’il a versé au prêteur.

Prêt d’argent ou donation ?

Parce qu’il est le plus souvent réalisé en famille ou à titre amical, le prêt d’argent peut être utilisé en lieu et place d’une donation.

L’opération comporte dans ce cas le risque d’être requalifiée d’un point de vue fiscal, mais aussi civil, en donation déguisée.

Fiscalement, il est tentant, pour aider financièrement un proche et lui transférer une somme d’argent, d’utiliser la forme d’un prêt plutôt que d’une donation.

La donation, ou don manuel de somme d’argent, est en effet imposable aux droits de mutation à titre gratuit (au-delà des abattements en vigueur).

Comparativement, le prêt d’argent n’est soumis à aucune imposition et ne coûte rien ou presque rien à son bénéficiaire s’il est consenti sans intérêt ou avec un taux d’intérêt faible.

Exemples
  • Une mère donne 200.000 € à sa fille.

    Après l’abattement de droit commun de 100.000 €, la donataire devra régler des droits de donation sur les 100.000 € restants soit 18.194 €.

    Elle choisit de prêter la même somme à sa fille et de lui consentir un prêt sur 10 ans moyennant un taux d’intérêt de 0,5 % (le taux du livret A) par an payable annuellement, le coût du prêt représentera 10.000 €.

  • Un concubin donne 200.000 € à sa compagne.

    Les droits de donation représentent 60 % de la somme donnée soit 120.000 €.

    Il choisit de même que dans le précédent exemple de lui consentir un prêt sur 10 ans au taux d’intérêt de 0,5 % annuel, le coût sera réduit à 10.000 €.

Attention néanmoins : l’opération peut être requalifiée fiscalement en donation déguisée s’il est prouvé qu’elle est en réalité motivée par une intention libérale (c’est-à-dire de donner) et qu’il ne s’agit pas d’un véritable prêt. Les droits de mutation sont alors dus.

Civilement, il est tenu compte du prêt d’argent consenti en faveur d’un héritier lors de la succession du prêteur. S’il n’est plus « rapportable » en tant que tel depuis la loi du 23 juin 2006, le prêt entre dans le lot successoral que reçoit l’héritier-emprunteur, ce qui diminue d’autant la part qu’il aurait pu recevoir sur les autres actifs de succession (C. civ., art. 864).

Mais les héritiers non bénéficiaires du prêt devront tout d’abord en prouver l’existence.

Pour ces raisons, quel que soit le montant prêté, il est conseillé :

  • de rédiger un contrat de prêt ou une reconnaissance de dette. Le contrat doit être enregistré fiscalement pour lui donner date certaine lorsqu’il s’agit d’un acte sous-seing privé ou être formalisé sous forme d’acte authentique devant notaire pour en conserver la preuve.
  • de mentionner clairement l’obligation de rembourser.
  • de respecter scrupuleusement les échéances de dettes car à défaut il s’agira d’une remise de dette qui constitue, dès l’origine, une libéralité.

En savoir plus : Notaires du Grand Paris : « Prêt familial : quelles précautions ? »

D’une manière générale, le prêt ne doit pas être guidé par les mêmes motifs que le don. Il ne s’agit pas d’anticiper sa succession, de faire plaisir ou d’éluder un impôt quelconque, il s’agit d’aider une personne à atteindre un objectif patrimonial ou à retourner à une meilleure fortune en lui donnant les moyens d’y parvenir.

Prêt d’argent et pension alimentaire ?

Le prêt d’argent est également à distinguer de la pension alimentaire. Cette dernière permet d’aider financièrement un descendant ou un ascendant. Elle résulte de l’obligation alimentaire légale en faveur des descendants et des ascendants (C.civ. art 203 et 205) et ne constitue pas à ce titre un prêt.

La pension alimentaire n’est pas taxable aux droits de mutation à titre gratuit et n’est pas remboursable. Elle est également déductible, dans certaines limites, de l’impôt sur le revenu de celui qui la verse. Son montant doit néanmoins rester proportionnel aux besoins du proche aidé et aux revenus et patrimoines de l’aidant.

le prêt portant sur un service : le prêt d’assistance

Le prêt peut avoir un autre objet que des biens, qu’ils soient immeubles ou meubles.

C’est le cas du prêt d’assistance qui consiste à aider concrètement quelqu’un par un service rendu à titre gratuit.

Ses particularités

  • Avant d’être un contrat, le prêt d’assistance est avant tout la rencontre des « volontés » de deux ou plusieurs personnes qui s’entendent pour que l’une d’entre elles fournisse un service gratuit : prêter assistance à une personne en danger ou en aider une autre pour des travaux en sont deux exemples.
    Ainsi, le consentement est souvent informel et purement consensuel.
  • Juridiquement, lorsque ce contrat existe, c’est une convention de bienfaisance désintéressée, ou encore « d’assistance bénévole ».
    Ce contrat est soumis au droit commun (C.civ. art. 1105). C’est donc la jurisprudence qui en précise les contours.
    A la différence du contrat de « louage d’ouvrage » (C.civ art. 1710) régissant les conventions de prestation de service, le prêt d’assistance est réalisé sans contrepartie financière, à titre gracieux.
  • Une particularité du prêt d’assistance : l’assisté en faveur de qui le prêt est opéré subit l’obligation juridique la plus forte. Il doit en effet assumer une obligation d’indemnisation en cas de conséquences préjudiciables pour l’assistant (Civ. 1ere, 27 janvier 1993 n° 91-12131).
    Il est ainsi conseillé de rédiger un contrat pour ce type de prêt, même s’il ne porte pas sur un bien matériel valorisable et s’il est réalisé par nature à titre gratuit.

Le prêt entre particuliers, le plus souvent entre membres de la famille ou entre proches, revêt donc de multiples formes et permet de poursuivre des objectifs patrimoniaux variés : prêt gratuit de l’usage d’un bien, aides et services personnels tels que le permet le prêt d’assistance.

Il est réducteur d’en limiter l’usage au prêt d’argent comme cela est souvent le cas ou à une alternative à la donation pour des raisons fiscales. Dans le contexte de crise économique que nous vivons, le prêt familial est un outil patrimonial opportun que le conseil en gestion de patrimoine doit savoir proposer.

Bibliographie :

  • A. BENABENT, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, Ed. Montchrestien, 2004
  • R. GUILLIEN, J. VINCENT, lexique des termes juridiques, Ed. Dalloz, 2001

Auteurs
Anne Brouard et Jean-Guy Pécresse

Intervenants formateurs pour le CESB CGP, diplôme RNCP Niveau 7, spécialisé en gestion de patrimoine.