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Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT
Article mis à jour le 17 mars 2022

Obligation d’entretien ou donation indirecte, aider un enfant majeur en le logeant gratuitement n’est pas un acte anodin. Comment prévenir tout conflit familial ?

Compte tenu de l’importance des prix de l’immobilier ou de la difficulté de location d’une habitation, les parents estiment qu’aider l’un de leurs enfants majeurs à se loger en lui mettant à disposition gratuite un appartement ou une maison leur appartenant en pleine propriété ou en usufruit est une évidence.

Toutefois, l’occupation gratuite prolongée d’un bien immobilier des parents par un enfant majeur n’est pas sans conséquence. Relevant intuitivement de l’obligation d’entretien, cette aide peut, dans certaines situations, être qualifiée de donation indirecte. Quelles conséquences familiales et comment y remédier ?

comment qualifier juridiquement la mise à disposition gratuite et prolongée d’un logement à un enfant majeur : obligation d’entretien ou donation indirecte ?

Si cette aide familiale relève logiquement de l’obligation d’entretien, elle peut dans certains cas être considérée comme une donation indirecte. Les conséquences sur la transmission et l’entente familiale peuvent être alors relativement lourdes.

une aide familiale remplissant l’obligation d’entretien ?

La mise à disposition gratuite d’un logement des parents à l’un de leurs enfants majeurs peut être justifiée par leur obligation d’entretien envers cet enfant (articles 371-2 et 203 du Code civil).

Cette obligation d’entretien résulte du lien de filiation. Elle est indépendante de la situation matrimoniale du parent (mariage, PACS, concubinage, veuvage, divorce, célibat).

L’article 371-2 alinéa 2 du Code civil précise bien que « cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l’enfant est majeur ».
Ainsi si l’enfant majeur ne peut pas subvenir seul à ses besoins, ses parents sont tenus de l’aider financièrement notamment en lui payant son loyer, ou par le biais d’avantages en nature comme la mise à disposition gratuite d’un logement.

Dans la pratique, cette obligation d’entretien paraît limitée aux enfants majeurs étudiants qui n’ont pas ou peu de revenus, mais elle concerne également les enfants majeurs fragiles (recherche d’emploi, maladie…).

Dans cette situation, la mise à disposition gratuite du logement au profit d’un enfant majeur ne révèle d’aucune intention libérale des parents, et n’a pas de conséquences sur l’égalité entre les enfants.

Dans ces conditions, l’avantage n’est donc pas pris en compte lors du règlement des successions des parents.

L’obligation d’entretien rejoint l’obligation alimentaire qui lie les parents et les enfants (articles 205 et suivants du Code civil).

Cette seconde obligation parentale permet également de justifier la mise à disposition gratuite d’un logement à un enfant majeur sans ressource.

Dans ces deux cas, obligation d’entretien et obligation alimentaire, si l’enfant est dans le besoin, aucune libéralité ne peut être caractérisée, quelle que soit la durée de l’aide familiale.

En revanche, la mise à disposition prolongée gratuite d’un logement par des parents à un enfant majeur qui dispose d’une situation stable avec des revenus confortables, peut difficilement être qualifiée d’obligation d’entretien ou d’obligation alimentaire.

une aide familiale qualifiée de donation indirecte ?

La situation se complique lorsque l’enfant a fini ses études et dispose de revenus lui permettant de se loger, mais qu’il occupe gratuitement un bien immobilier appartenant à ses parents.

La question de la libéralité consentie par les parents se pose en présence d’une pluralité d’enfants. Dans ce cas l’occupation gratuite, exclusive et prolongée d’un bien immobilier par l’un des enfants constitue un véritable avantage qui peut entraîner un problème d’égalité entre eux.

A noter

Une occupation du logement non exclusive, de courte durée, ou assortie d’une obligation envers le parent, notamment une obligation de soin, demeure une entraide familiale sans conséquences.

Rappelons que la donation est un contrat qui nécessite l’intention libérale des parents (ce qui constitue l’élément intentionnel) et le dessaisissement d’un de leur bien ou de son usage (ce qui constitue l’élément matériel).

Les parents doivent donc s’appauvrir et l’enfant doit s’enrichir corrélativement.

Quid dans le cas de la mise à disposition gratuite prolongée d’un logement appartenant aux parents ?

En l’espèce, les parents, propriétaires ou usufruitiers, se privent de la perception de revenus locatifs (constituant souvent un complément de revenus important pour la retraite). De son côté, l’enfant n’a pas à verser quoique ce soit pour se loger, ce qui lui permet de se constituer une épargne.

Une donation indirecte portant sur les revenus pourrait ainsi être caractérisée.

En outre l’article 851 du Code civil prévoit expressément le rapport de la donation de fruits ou de revenus, sauf clause contraire. Le rapport de cet avantage permet d’assurer l’égalité entre les enfants.

Constituant une libéralité, cette donation serait également prise en compte pour le calcul de la réserve héréditaire et de la quotité disponible.

La jurisprudence de la Cour de Cassation est abondante en la matière.

Effectivement, les enfants n’ayant pas bénéficié de cet avantage en nature s’estiment souvent lésés et réclament en justice sa prise en compte en tant que libéralité rapportable à la succession de leurs parents.

Les juges sont particulièrement strictes sur l’appréciation des conditions de la donation indirecte. La première Chambre civile de la Cour de Cassation a confirmé le 16 décembre 2020 la jurisprudence antérieure, en affirmant que faute pour les juges du fond de caractériser l’intention libérale des parents, et à défaut pour l’enfant réclamant la qualification de donation de démontrer le caractère gratuit de l’occupation par sa sœur, aucune libéralité n’est caractérisée (Cass. 1ère civ., 16 déc. 2020, n°19-18).

Concrètement, il peut être difficile pour un enfant mécontent de prouver l’intention libérale des parents. A ce sujet, les juges ont retenu qu’un testament du parent, même révoqué, peut servir de preuve de l’intention libérale, lorsqu’il mentionne cet avantage et son caractère rapportable (Cass. 1ère civ., 19 mars 2014, n° 13-14.139).
A défaut pour le cohéritier de démontrer l’intention libérale, l’avantage ne constitue qu’une aide familiale sans conséquences.

La qualification de donation en cas d’hébergement de l’enfant majeur au domicile des parents a ainsi été refusée par les juges, faute d’appauvrissement de ces derniers (Cass. 1ère civ., 1ère 3 mars 2010, n° 08-20.428).

Mise à jour Mars 2022 :

Un arrêt de la Cour de Cassation de mars 2022 (1ère Civ. 2 mars 2022) a néanmoins considéré l’intention libérale dans le cas de l’occupation gratuite par un enfant nu-propriétaire d’un bien immobilier consentie par une mère usufruitière. Cet avantage est alors rapportable à la succession de celle-ci. Le montant du rapport correspond aux loyers qui auraient pu être perçus, après déduction des charges incombant à l’usufruitière.

En pratique, si la libéralité peut être caractérisée, la valeur locative du bien sera retenue pour déterminer le montant de l’avantage rapportable, après application éventuelle d’une décote justifiée par la précarité de l’occupation de l’enfant.

L’enfant avantagé devra donc rapporter aux successions de ses parents les loyers non versés pendant toute la durée d’occupation, soit en versant une indemnité aux autres membres de la fratrie, soit en réduisant sa part dans la succession.

Il paraît donc essentiel de prévenir les risques liés à une mise à disposition gratuite prolongée non encadrée juridiquement.

comment prévenir tout contentieux familial ?

Pour éviter tout conflit familial, mieux vaut acter cette mise à disposition d’un logement en lui conférant un cadre juridique précis. Pour cela, il est possible de recourir au prêt à usage, à la donation d’usufruit temporaire et préciputaire ou à l’exclusion du rapport par testament.

le prêt à usage (ou commodat)

Afin de confirmer la gratuité de cet avantage, un prêt à usage pourrait être mis en place.

Cet outil juridique peut prévoir en effet la possibilité pour un enfant d’utiliser un bien immobilier appartenant à ses parents, sans contrepartie financière et à charge de restituer le bien à terme (art. 1875 et s. du Code civil).

Article 1875 Code civil : « Le prêt à usage est un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi. »

Le recours à ce contrat permettrait de conférer juridiquement un usage précaire à l’enfant, et ainsi d’écarter toute qualification en libéralité.

Il est important de prévoir une date de restitution et une interdiction de location.
A défaut de terme prévu, les parents pourraient y mettre fin selon leur bon vouloir en respectant un délai de préavis raisonnable.

En cas de décès des parents, les héritiers seraient tenus du contrat (article 1879 du Code civil).

Les juges ont récemment confirmé que le prêt à usage ne constituait pas un avantage rapportable (Cass. 1e civ. 11-10-2017 n° 16-21.419).

Dans cet arrêt d’espèce, la Cour de Cassation précise que le prêt à usage n’opère à l’enfant ” aucun transfert d’un droit patrimonial à son profit, notamment de propriété sur la chose ou ses fruits et revenus, de sorte qu’il n’en résulte aucun appauvrissement du prêteur”.
On peut néanmoins relever que la perte de revenus et le paiement des charges par le prêteur sont caractérisés. Corrélativement, l’économie de loyers et de charges pour l’enfant emprunteur est bien réelle.

Ainsi, un contrat de prêt à usage sous seing privé peu précis ou laissant transparaître une intention libérale pourrait être attaqué par les enfants mécontents et éventuellement requalifié, afin que l’avantage soit pris en compte dans la succession des parents.

la donation d’usufruit temporaire et préciputaire

Les parents propriétaires ou usufruitiers pourraient consentir à leur enfant une donation d’usufruit temporaire préciputaire sur le bien immobilier.

La donation d’usufruit temporaire confère à l’enfant le droit d’usage et des fruits du bien pour une durée déterminée.

La clause préciputaire permet que l’avantage consenti à l’enfant soit pris en compte en sus de sa part réservataire, en s’ajoutant à ce qui lui reviendrait (article 843 du Code civil).

Cette solution nécessite le recours à l’acte notarié et la soumission de l’acte aux droits de mutation à titre gratuit.

Point Fiscalité

Pour une donation d’usufruit viager, le calcul des droits de donation s’effectue d’après l’âge de l’usufruitier (article 669 CGI).
En revanche, pour une donation d’usufruit temporaire, les droits sont calculés sur une valeur de 23% de la pleine propriété du bien par tranche de 10 ans, sans fraction et sans prise en compte de l’âge de l’usufruitier.

Concernant l’IFI (Impôt sur la Fortune Immobilière), en présence d’un usufruit conventionnel, la valeur en pleine propriété du bien sort de l’assiette taxable des parents pour intégrer celle de l’enfant majeur.

Compte tenu du mode de calcul de la valeur fiscale de l’usufruit temporaire, l’imposition de la donation temporaire d’usufruit reste le plus souvent faible voire nulle.

Exemple

Fiscalité de la donation temporaire d’usufruit d’un logement à un enfant :

Montants et durée
Valeur du bien immobilier400.000 €
Durée de l’usufruit temporaire10 ans
Valeur de l’usufruit temporaire92.000 €
Abattement en ligne directe*100.000 €
Base imposable0 €
Droits de donation0 €

*abattement de 100.000 € en l’absence de donation antérieure de moins de 15 ans
Source : JUST DEEP CONTENT pour l’ESBanque

l’exclusion du rapport par testament

Il serait également possible de prévoir par testament une exclusion du rapport de cet avantage.

L’avantage indirect s’imputerait alors sur la quotité disponible et non sur la réserve héréditaire de l’enfant avantagé.

Cet outil juridique permet une grande flexibilité et une réversibilité en cas de changement de situation familiale et/ou patrimoniale. En effet, un testament est librement révocable.

quelles conséquences au titre de l’impôt sur le revenu de la mise à disposition gratuite du logement ?

Le Code général des impôts prévoit que les revenus des logements, dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu (article 15 II. CGI). Tous les locaux à usage d’habitation dont les revenus seraient imposables dans la catégorie des revenus fonciers sont visés par cette disposition.

Par application du texte, dans le cas d’une jouissance gratuite par un enfant d’un logement dont les revenus sont soumis aux revenus fonciers, aucun impôt sur le revenu n’est donc dû à ce titre pour le parent.

Corrélativement, aucune charge n’est déductible pour le parent (taxe foncière, travaux d’entretien et de réparation, intérêt d’emprunt…).

La mise à disposition de manière gratuite et prolongée d’un logement au profit d’un enfant majeur n’est donc pas un acte anodin. Pour prévenir tout conflit entre enfants et notamment lors d’une succession, il est indispensable de recourir à l’éclairage du conseiller patrimonial.

Auteurs
Charlotte MÂLON 

Notaire collaborateur et formateur intervenant à L’ESBanque pour le CESB CGP