La protection du logement familial : oui, mais pas dans tous les cas
Un récent arrêt de la Cour de cassation, en date du 22 mai 2019 (n°18-16666) nous apporte un éclairage particulier sur ce sujet.
l’article 215 alinéa 3 du code civil – rappels
L’article 215 du Code civil stipule, dans son alinéa 3, que « Les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. (…) »
Ces dispositions sont d’ordre public ; elles s’imposent donc aux époux quel que soit le régime matrimonial choisi (légal, conventionnel, communautaire, séparatiste).
En savoir plus :
La question est plus prégnante en présence d’un logement propre ou personnel à l’un des époux.
Assurément, dans ce cas, le principe de la cogestion n’existe pas (Article 1428 du Code civil). Les dispositions de l’article 215 alinéa 3 du Code civil trouvent opportunément leur application pour assurer la protection du conjoint survivant.
bien immobilier sur lequel porte cette protection
Il ne s’agit que de la résidence principale de la famille. Les résidences secondaires, comme l’immobilier locatif, ne bénéficient pas de cette protection.
Les meubles meublants du logement familial bénéficient également de cette protection.
droits sur le logement familial bénéficiant de cette protection
La protection joue lorsque le bien immobilier est occupé sur la base d’un droit de propriété, d’un droit d’usufruit, d’un droit d’usage ou d’un bail.
Lorsque le logement familial est détenu par une Société Civile Immobilière (SCI) dans laquelle l’un au moins des époux est associé, la protection accordée par l’article 215 du Code civil ne prend pas naissance.
Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 14 mars 2018 (n° 17-16482) est venu nous le rappeler. Dans cette affaire, une assemblée générale avait donné son accord, au mari gérant, pour vendre le bien immobilier sans le consentement de son épouse. La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’épouse évincée. Elle précise que cette protection ne joue que si les époux associés justifient d’un bail, d’un droit d’habitation ou d’une convention de mise à disposition du bien à leur profit.
sanction
Le non-respect de l’article 215 alinéa 3 du Code civil peut être sanctionné par la nullité de l’acte (vente, donation…).
La poursuite de la lecture de l’alinéa 3 de l’article 215 du Code civil apporte les précisions nécessaires quant au délai pour agir : « (…) Celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation : l’action en nullité lui est ouverte dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »
opérations concernées par la protection
La vente, la donation, l’échange, l’apport en société, la mise en location du logement familial, ainsi que la prise d’une garantie hypothécaire sur ce dernier, sont visés par cette protection.
La situation sur laquelle la Cour de cassation a eu à se prononcer le 22 mai 2019 est la suivante :
Monsieur, marié sous le régime légal, a donné la nue-propriété de divers biens immobiliers propres à ses enfants nés d’un précédent mariage. Dans ces divers biens immobiliers, l’un constituait la résidence principale des époux. Monsieur s’était réservé l’usufruit de cette résidence principale sa vie durant, sans réversion au profit de son épouse.
Monsieur décède. Son épouse survivante demande l’annulation de la donation au motif qu’elle n’a pas donné son consentement.
En savoir plus :
durée de la protection de l’article 215 alinéa 3 du code civil
La protection accordée n’est effective que durant le mariage. Aussi, tombe-t-elle lorsque le régime matrimonial est liquidé pour cause de divorce, de décès ou de séparation de corps.
Au cas présent, dans la mesure où la donation de la nue-propriété « n’avait pas porté atteinte à l’usage et à la jouissance du logement familial » pendant le mariage, cette protection ne pouvait être mise en avant par l’épouse survivante.
Cet arrêt de la Cour de cassation du 22 mai 2019 est dans la lignée de celui rendu par la même juridiction le 22 octobre 1974 (n° 73-12402). Dans cette affaire, la Cour de cassation avait validé le fait que l’époux puisse léguer à son frère l’appartement qui composait, de son vivant, le logement familial avec son épouse.
epilogue
Le conjoint survivant éploré, de par le fait que la protection de l’article 215 du Code civil lui aurait échappé, doit-il déménager au plus vite au décès de son conjoint ayant donné la nue-propriété (sans réversion d’usufruit) ou légué la pleine propriété du logement familial ?
La réponse doit être donnée au regard de l’article 763 du Code civil.
En effet, le droit temporaire au logement édicté par l’article 763 du Code civil dispose que « si, à l’époque du décès, le conjoint successible occupe effectivement, à titre d’habitation principale, un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession, il a de plein droit, pendant une année, la jouissance gratuite de ce logement, ainsi que du mobilier, compris dans la succession, qui le garnit. (…) Les droits prévus au présent article sont réputés effets directs du mariage et non droits successoraux. Le présent article est d’ordre public ».
Aussi, deux cas de figure peuvent être envisagés :
- Le conjoint prédécédé a donné la nue-propriété du logement familial tout en se réservant l’usufruit sa vie durant (sans réversion au conjoint survivant).
A son décès, ce bien n’est pas « un logement (…) dépendant totalement de la succession ». En effet, la nue-propriété ayant déjà été donnée, l’usufruit va s’éteindre au décès ; le logement familial ne dépend donc pas de la succession. Dans ce cas, le droit temporaire au logement, comme le droit viager, ne peut s’appliquer.
- Le conjoint a légué la pleine propriété du logement familial.
A son décès, ce bien « dépendant totalement de la succession » subira le droit temporaire au logement du conjoint survivant ainsi que le droit viager (sauf à ce que le conjoint survivant ait été privé de ce dernier droit par testament authentique).
récapitulatif
Situation préexistante | Protection de l'art. 215 al. 2 du C. civ. | Droits temporaire et viager au logement Art. 763 et 764 du C. civ. |
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Donation de la NP (1) de la résidence principale par l’un des époux (2) | Au moment du décès : conjoint non protégé | Au moment du décès : conjoint non protégé |
Legs de la PP (3) de la résidence principale | Au moment du décès : conjoint non protégé | Du vivant des époux : conjoint protegé |
Vente par une SCI de la résidence principale des époux en l'absence d'un bail (4) | Au moment du décès : conjoint non protégé | Sans objet |
Vente par une SCI de la résidence principale des époux en présence d'un bail (5) | Du vivant des époux : conjoint protegé | Sans objet |
(2) avec réserve d’usufruit au seul profit du donateur.
(3) PP : pleine propriété
(4) ou d’un droit d’habitation ou d’une convention d’occupation entre la SCI et les époux
(5) ou d’un droit d’habitation ou d’une convention d’occupation entre la SCI et les époux
Si l’article 215 alinéa 2 du code civil a une vocation forte à protéger le logement familial du couple marié, il serait ainsi faux de croire que cette protection est effective dans toutes les situations. Elle n’a pas lieu de s’appliquer en cas de détention du bien en SCI (sauf disposition spécifique : bail, convention…) et elle n’est surtout plus opérationnelle lorsque le mariage est dissous et que le bien est attribué par donation ou testament à un autre héritier.
Sources :
- Article 215 alinéa 3 du code civil ; Articles 1424 et 1428 du code civil
- Articles 763 et 764 du code civil
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 22 mai 2019, 18-16.666
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 mars 2018, 17-16482
- Cour de cassation, civile, Chambre civile, 22 octobre 1974, 73-12402
Auteur
Emmanuel Bouvenot
Ingénieur Patrimonial – BPE La banque privée de La Banque Postale