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Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

Placements de taux plus rémunérateurs d’un côté mais risque de valorisation et d’asymétrie de liquidité de l’autre. Point sur l’effet de la hausse des taux sur les actifs patrimoniaux.

 

Depuis début 2022, l’arrivée de l’inflation et le début de l’augmentation des taux d’intérêt par les banques centrales, les marchés entrent dans une nouvelle période, celle de la fin des taux d’intérêt négatifs et de l’abondance de liquidité.

Les différents actifs patrimoniaux réagissent différemment à cette hausse des taux. Les obligations retrouvent un regain d’intérêt après avoir accusé le coup l’année dernière. Les actions ont mal vécu l’annonce des réductions de liquidités mais parient aujourd’hui vers une modération de cette hausse des taux. L’immobilier commence à connaître des fragilités en raison de la restriction des conditions de financement. Les placements alternatifs tels que l’or ou les cryptomonnaies ont encore des comportements différents.

Mais si la hausse des taux se poursuit, l’ensemble de ces marchés doivent faire face à une pression baissière et pour certains d’entre eux (fonds immobiliers, fonds en euros, obligations de portage, activités bancaires), à un risque spécifique, celui de l’asymétrie de liquidité. Explications.

SOMMAIRE

  • Augmentation des taux d’intérêt : un marché obligataire plus attractif mais pas sans risque
  • Augmentation des taux d’intérêt : un risque de valorisation pour les marchés actions, immobiliers et les placements dits alternatifs (or, cryptomonnaies …)
  • Augmentation des taux d’intérêt : un risque de liquidité pour l’ensemble des marchés

 

Augmentation des taux d’intérêt : un marché obligataire plus attractif mais pas sans risque

 

La hausse des taux d’intérêt a permis au rendement obligataire de revenir en territoire largement positif mais induit également certains risques sur ce marché.

 

Effet de l’augmentation des taux d’intérêt : de meilleurs rendements obligataires

 

Après des décennies de taux d’intérêt négatifs et d’absence de rendement sur les marchés obligataires, la hausse des taux entamée en janvier 2022 marque un tournant et le retour de taux obligataires attractifs.

Au 31/03/2023, les obligations privées de catégorie BBB offrent ainsi un rendement de 4,6 % à 3-5 ans contre 3,4 % au 24/06/2022.

 

 

Cette augmentation des rendements redonne de l’attrait au marché obligataire et également aux placements de taux de durée plus courte tels les livrets et les comptes à terme.

Depuis début 2022 et particulièrement cette année, les émissions primaires présentent à nouveau des rendements rémunérateurs, devenant plus intéressants que le rendement moyen des dividendes d’actions. Les investisseurs qui n’avaient d’yeux que pour le marché actions, considéré comme seule alternative (le fameux TINA « There Is No Alternative ») pendant plus d’une décennie de taux d’intérêt négatifs, reviennent progressivement sur le marché obligataire.

 

Attention à ne pas confondre taux de rendement brut et taux de rendement réel :

L’accroissement des taux d’intérêt reste néanmoins la conséquence de celui de l’inflation. Le taux de rendement actuariel des obligations sont des taux bruts qu’il est nécessaire de corriger du taux d’inflation pour connaître le taux réel. Avec une inflation en zone euro de 6,9 % au 31/03/2023, le taux de rendement réel des obligations européenne notées BBB ressort à – 2,3 %, donc encore en territoire négatif.  Mais le raisonnement est le même pour les autres classes d’actifs, actions, immobiliers …

 

Augmentation des taux et risques pour le marché obligataire

 

L’augmentation des taux fait baisser mécaniquement le cours des obligations déjà émises. Les marchés fonctionnant dans l’anticipation, les seules prévisions de hausse des taux font baisser les cours obligataires.

Dès lors, l’investisseur qui acquiert des obligations pour leur rendement plus attractif s’expose à la baisse de valeur de son portefeuille si les taux poursuivent leur hausse.

Tant qu’il ne les vend pas, il s’agit d’une moins-value latente mais s’il a besoin de liquidité, il sera obligé de constater cette moins-value.

Si nous entrons dans une phase relativement forte d’augmentation des taux d’intérêt, les valorisations des marchés obligataires peuvent donc souffrir. Ceci a déjà été le cas l’année dernière avec une baisse significative des marchés obligataires dès les premières annonces de hausse des taux pour contrer l’inflation. Les marchés obligataires ont ainsi connu des pertes moyennes de 14 % en 2022.

Cette baisse significative s’explique par le fait que la hausse des taux est survenue brutalement sur un marché obligataire relativement haut après une longue période de taux négatifs.

La valorisation du marché obligataire est plus basse aujourd’hui mais toute augmentation future des taux continue à faire peser un effet baissier sur les obligations déjà émises. Tout dépend alors de l’ampleur de la hausse de taux. Si celle-ci reste inférieure au rendement de l’obligation, le placement restera en plus-value, certes avec un taux de rendement global plus bas en cas de cession avant le terme.

Si la hausse est beaucoup plus brutale, les portefeuilles obligataires déjà constitués peuvent alors présenter des moins-values nettes en cours d’investissement.

L’investisseur en obligations doit être conscient de ce risque. Pour le réduire, il est préférable d’avoir un horizon d’investissement long en accord avec la durée de vie des obligations sélectionnées et conserver ces obligations jusqu’à leur terme dans une stratégie de portage, dite « buy and hold ».

La sélection des signatures et de la solvabilité des entreprises emprunteuses reste également cruciale et plus particulièrement dans la période que nous connaissons. Une phase rapide de hausse des taux succède en effet à des décennies de taux d’intérêt négatifs et de forte liquidité sur les marchés. L’augmentation des taux peut rendre nettement plus difficile l’emprunt ou le remboursement de la dette à taux variable et peser sur un grand nombre de bilans d’entreprises. Dès lors, les critères de solvabilité des emprunteurs doit faire l’objet d’une exigence accrue.

 

Augmentation des taux d’intérêt : un risque de valorisation pour les marchés actions, immobiliers et les placements dits alternatifs (or, cryptomonnaies …)

 

La hausse des taux d’intérêt induit logiquement une pression baissière sur les autres marchés, actions, immobiliers ou placements alternatifs tels que l’or ou les cryptomonnaies.

 

Augmentation des taux : quels risques pour les marchés actions ?

 

Les marchés actions ont plusieurs moteurs :

  • Les anticipations de croissance des bénéfices des entreprises. L’accès facilité au crédit par la baisse des taux a été jusqu’ici un facteur important de soutien de l’espérance de croissance des bénéfices.
  • Le volume des investissements: le marché actions est aussi guidé par l’offre et la demande. Le surplus de demande par rapport à l’offre fait mécaniquement augmenter le cours des actions.

La longue période de taux négatifs, la facilité à laquelle il était possible d’emprunter, et l’abondance de liquidités induites ont accru la demande disponible et ont été jusqu’ici des catalyseurs à la hausse pour le marché actions.

  • La plus ou moins grande concurrence des autres marchés d’investissement. Les investisseurs recherchent les placements les plus rémunérateurs et présentant le meilleur rapport rendement / risque. La période de taux négatifs rendait le marché obligataire inintéressant alors que petit à petit le marché action est devenu quasi-incontournable, comme seule espérance de rendement. On a ainsi pu parler du fameux effet TINA pour « There Is No Alternative » pour qualifier le choix du marché action.

Dès lors, l’augmentation des taux d’intérêt crée l’effet inverse sur ce marché :

  • Les perspectives de bénéfices des entreprises tendent à se fragiliser du fait de l’accroissement du coût du crédit.
  • Le volume de liquidité disponible se réduit et crée une pression sur la demande.
  • Le marché obligataire redevient compétitif et l’effet « TINA » s’étiole.

La hausse des taux d’intérêt crée donc logiquement une pression baissière sur le marché action.

Si ce dernier a effectivement accusé une chute significative en 2022 (- 9,75 % sur le CAC 40, – 9,9 % sur le Dow Jones, – 20,4 % sur le S&P 500), il a néanmoins repris le chemin de la hausse dès janvier 2023 pour afficher des performances nettement positives (+ 14,46 % pour le CAC 40, + 7,29 % pour le S&P 500, + 1,62 % pour le Dow Jones du 01/01/2023 au 03/05/2023).

 

 

Force est de constater que la perspective de hausse des taux d’intérêt n’effraie plus pour l’instant les investisseurs actions, ces derniers visant une modération du rythme de la hausse des taux au fur et à mesure que le rythme de l’inflation pourrait décroître et que l’économie pourrait s’enrayer. Toute reprise significative du rythme de hausse relancerait néanmoins les facteurs baissiers.

 

Augmentation des taux : quelles conséquences sur le marché immobilier ?

 

Les taux d’intérêt sont centraux pour le marché immobilier en raison du recours à l’emprunt. Le crédit reste la principale source de financement du marché immobilier, que l’investisseur soit un particulier, une entreprise ou un institutionnel.

Là encore, la période de taux d’intérêt négatif a accru le recours au crédit pour l’investissement immobilier. Les conditions financières sont facilitées et l’effet de levier, c’est-à-dire la différence entre le rendement de l’investissement et le coût du financement, est accru. Il devenait contre-productif d’autofinancer l’investissement immobilier même lorsque l’on disposait de liquidités.

L’augmentation des taux d’intérêt conjuguée au resserrement des conditions d’octroi viennent freiner la demande depuis le début de l’année. Comme pour tout marché, si la demande baisse et que l’offre reste constante, les prix s’ajustent à la baisse.

La hausse des taux d’intérêt crée donc une pression baissière sur le marché immobilier.

A ce phénomène s’ajoutent également l’apparition de nouvelles contraintes réglementaires environnementales pesant sur les particuliers (avec des impossibilités de louer par exemple suivant les étiquettes de diagnostics énergétiques) mais également sur les entreprises et les promoteurs immobiliers dans les constructions neuves. Ces nouvelles obligations renchérissent le coût de revient de l’investisseur immobilier (dans la construction ou par la nécessité de travaux) pesant également sur le marché.

 

Accroissement des taux et placements dits alternatifs (or, cryptomonnaies …)

 

Les placements dits alternatifs tels que l’or ou les cryptomonnaies ne sont pas producteurs de croissance et n’ont qu’un moteur de variation, celui de l’offre et de la demande.

Dès lors, l’augmentation des taux d’intérêt affaiblit le volume de liquidités disponibles et donc la demande et fait peser un effet baissier sur ces marchés.

Ceci s’est vérifié en 2022 avec une chute de capitalisation totale des cryptomonnaies de 64 %, soit plus de 1.500 milliards de dollars. La faillite de la plateforme FTX a accentué cette chute mais l’augmentation des taux d’intérêt des banques centrales a également accentué la réduction de la demande. Or le marché des cryptomonnaies y est très sensible.

Comme pour le marché actions, le marché des cryptomonnaies a retrouvé le chemin de la hausse en 2023 et de manière plus vertigineuse que le marché actions, le cours du bitcoin gagnant près de 66 % du 1er janvier au 3 mai 2023. Les perspectives de hausse plus modérés des taux mais surtout les risques de défaillance bancaires (avec la faillite de SVB) ont relancé l’intérêt pour les cryptomonnaies.

Le marché de l’or est aussi sensible au volume de liquidité et à l’équilibre de l’offre et la demande (avec notamment la demande des banques centrales et celle du marché indien) mais également :

  • au rendement du marché obligataire qui a toujours été un marché concurrent
  • à l’évolution des devises: une perspective de hausse de la valeur des monnaies pèse sur le cours de l’or.
  • au niveau de l’inflation car l’or a souvent eu un effet protecteur contre l’érosion monétaire.
  • aux risques et aux événements géopolitiques du fait de son caractère de valeur refuge.

La reprise de l’inflation ainsi que la guerre en Ukraine ont ainsi soutenu le cours de l’or en 2022 malgré la hausse des taux d’intérêt. Le cours de l’once d’or en euro s’est accru de 5,79 % en 2022. En 2023, cette hausse se poursuit (hausse de 6,5 % de l’once d’or en euro du 1er janvier au 3 mai 2023) dans un environnement géopolitique qui reste tendu (poursuite de la guerre en Ukraine …), un contexte toujours inflationniste et de montée de nouveaux risques (faillites bancaires).

 

Augmentation des taux d’intérêt : un risque de liquidité pour l’ensemble des marchés

 

La hausse des taux réduit les liquidités sur l’ensemble des marchés mais crée également des asymétries de liquidité et par là des risques d’illiquidité.

 

Réduction des liquidités disponibles et effet sur les marchés

 

La hausse des taux est un outil de lutte contre l’inflation par son action sur le pouvoir d’achat, donc sur l’économie. Le rehaussement des conditions de crédit freine en effet les demandes de financement et par là les liquidités.

La réduction des liquidités se traduit par une tendance à la baisse de la demande d’investissement sur l’ensemble des marchés, qu’il s’agisse du marché immobilier, actions …

Une réduction de la demande par rapport à l’offre pousse les prix à la baisse. La hausse des taux a donc un effet baissier sur les différences classes d’actifs, même si cette tendance ne se fait pas réellement sentir à ce jour. L’abondance de liquidités encore présentes sur les marchés et les espérances de modération de la hausse des taux soutiennent actuellement les marchés.

Mais la hause des taux fait d’ores et déjà ressurgir un risque quelque peu oublié depuis des années, celui des asymétries de liquidité.

 

Les risques spécifiques d’asymétrie de liquidité

 

L’augmentation des taux d’intérêt génère une contrainte spécifique sur les placements ou les activités financières qui offrent des possibilités de retrait à tout moment et qui parallèlement investissent à moyen ou long terme sur des actifs moins liquides.

Les fonds immobiliers (SCPI (Société Civile de Placement Immobilier), OPCI (Organisme de Placement Collectif Immobilier), sociétés foncières), les placements obligataires de portage ainsi que les fonds en euros mais aussi les activités bancaires elles-mêmes (investissant les dépôts de court terme de leurs clients à moyen ou long terme) fonctionnent sur ce principe.

La hausse des taux crée un risque spécifique sur ces secteurs :

  • L’augmentation des taux d’intérêt peut pousser les clients à rechercher d’autres placements plus rémunérateurs. Les clients des fonds en euros par exemple peuvent préférer en sortir pour investir sur des obligations au taux de rendement plus élevé. Les clients des banques peuvent réduire leurs dépôts pour investir sur des titres de créances ou obligations devenant plus rémunérateurs.
  • L’augmentation des taux d’intérêt peut également obliger les clients à retirer leurs fonds pour faire face à de nouvelles charges financières. Ceci a été le cas des entreprises du secteur de la tech qui ne disposaient plus début 2023 des mêmes possibilités de levée de fonds et qui ont fortement, et brutalement, retiré leurs liquidités déposées dans la banque américaine SVB.

S’ils n’ont pas les liquidités suffisantes pour régler ces retraits, les fonds ou établissements doivent alors vendre une partie de leurs actifs investis à moyen ou long terme. Or ces actifs peuvent avoir perdu de la valeur du fait de la hausse des taux elle-même. Les prêts bancaires à taux fixe comme les obligations perdent de la valeur si les taux augmentent. Il peut être difficile également de vendre ces actifs qui ne trouvent pas preneur sur les marchés, les investisseurs préférant les placements nouvellement émis à des taux plus élevés.

Ces fonds et établissements s’exposent alors à un risque de perte en vendant leurs actifs de bilan en moins-value ou à un risque de liquidité s’ils ne peuvent les vendre. Ce risque peut aller jusqu’à la faillite comme dans le cas de la banque SVB.

Ces fonds et établissements sont ainsi exposés à un risque d’asymétrie de liquidité. Ils sont en quelques sortes pris en ciseau entre une demande de liquidité à court terme et un manque de liquidité voire une illiquidité sur les actifs de moyen et long terme.

La gestion de ce risque repose alors sur la maîtrise des demandes de retrait afin que celles-ci restent limitées et n’arrivent pas en masse. La confiance des investisseurs devient alors le point clé.

 

Auteur

Anne Brouard

Ingénieur patrimonial et fondateur de JUST DEEP CONTENT, agence de contenu spécialisé en gestion de patrimoine, Intervenante-formatrice pour le CESB Expert en Gestion de Patrimoine, diplôme RNCP Niveau 7