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Rédaction WEB : JUST DEEP CONTENT

Détenir l’immobilier d’exploitation au sein de l’entreprise ou hors bilan (en direct ou via une SCI) dépend des objectifs du dirigeant et relève d’une analyse approfondie. Explications.

 

L’augmentation vertigineuse de la valeur des biens immobiliers, qui a marqué les deux dernières décennies, a fait prendre conscience aux divers acteurs économiques de l’importance de ces actifs au sein de leur patrimoine.

Cette dynamique a subi en 2023 un coup d’arrêt notamment en raison d’une hausse des taux d’intérêts moyens (4,24% en décembre 2023 contre 2,35% en décembre 2022 selon l’Observatoire Crédit Logement/CSA) liée au retour de l’inflation.

Pourtant, l’immobilier demeure une classe d’actif aux nombreux atouts, pouvant rassurer les particuliers dans une économie en crise et un contexte inflationniste. Il en est de même pour le chef d’entreprise. L’immobilier professionnel est un support de croissance pour l’entreprise. Le chef d’entreprise est ainsi porté à étudier toutes les stratégies favorisant la mobilisation de la valeur de cet immeuble au service de son exploitation.

Le dirigeant d’entreprise doit ainsi adopter une véritable réflexion sur la place de son immobilier d’exploitation. Doit-il louer ou acquérir l’immeuble nécessaire à son activité ? Quelles sont les opportunités d’une acquisition par sa société d’exploitation ou en direct par le dirigeant ?

Lorsque le chef d’entreprise souhaite procéder à l’acquisition de son immeuble d’exploitation, deux situations principales s’offrent à lui. Il peut décider de le loger au sein de sa structure d’exploitation, il fera alors une acquisition dite « au bilan » de sa société. Alternativement, il peut choisir de l’acquérir en direct (en son nom propre ou par l’intermédiaire d’une société civile immobilière), l’acquisition étant alors réalisée « hors » du bilan de sa société.

Le choix de ce mode de détention sera notamment déterminé au regard de sa situation personnelle et de ses objectifs patrimoniaux. Il incombe donc au praticien de lui préconiser la solution la plus appropriée, tout en préservant l’intérêt de la société d’exploitation et le maintien d’une sécurité patrimoniale.

Les critères de décision se révèlent donc multiples : le chef d’entreprise peut opportunément structurer cette réflexion au regard de considérations civiles, financières et fiscales.

SOMMAIRE

  • Modes de détention de l’immobilier d’entreprise : d’un point de vue civil
  • Immobilier professionnel : choix du mode de détention d’un point de vue financier
  • Immobilier professionnel : choix du mode de détention et critères fiscaux

Modes de détention de l’immobilier d’entreprise : d’un point de vue civil

Les contraintes de gestion, les risques liés à la perte de l’outil de travail en cas de difficultés de l’entreprise et l’anticipation de la transmission du patrimoine du dirigeant constituent autant de critères de choix du véhicule support de l’immobilier professionnel.

Première préoccupation du chef d’entreprise : les contraintes de gestion du bien

Lorsque l’immobilier d’exploitation est acquis « hors bilan », la société opérationnelle en aura la jouissance par la conclusion d’un bail commercial. En contrepartie, elle devra verser un loyer à son bailleur (le dirigeant lui-même ou une société civile constituée à cet effet).

Le recours à une société civile immobilière nous semble présenter diverses contraintes :

  • d’ordre administratif d’une part car la création de cette nouvelle structure rend nécessaire le maintien d’une vie sociale (tenue régulière d’assemblées générales, d’une comptabilité …) et la gestion d’une situation locative (quittancement et révision des loyers, refacturation des charges, exécution des travaux …).
  • d’ordre juridique ensuite, le statut des baux commerciaux (Articles L145-1 et suivants du Code de commerce ) entraînant l’application de nombreuses règles d’ordre public (durée de 9 ans, congé triennal du bailleur, droit au renouvellement, encadrement des révisions des loyers …).

A l’inverse, la détention de l’immeuble par la société opérationnelle octroie au chef d’entreprise une totale maîtrise de ses locaux professionnels, et une gestion facilitée dans le cadre de son activité professionnelle.

 

Deuxième préoccupation du chef d’entreprise : la protection de son patrimoine en cas de difficultés économiques

La crainte des difficultés de l’entreprise constitue bien souvent l’une des préoccupations centrales du dirigeant d’entreprise.

Une acquisition du bien « hors bilan » présente l’avantage d’exclure ce dernier du droit de gage des créanciers professionnels de la société d’exploitation.

En effet, schématiquement, le patrimoine social est scindé en deux entités distinctes :

  • d’une part, la société d’exploitation, propriétaire de l’actif à risque
  • et d’autre part, la société patrimoniale détentrice des murs au sein desquels est exercée l’activité.

De sorte qu’isoler l’actif de la société d’exploitation permet de le soustraire des aléas sociaux sous réserve de deux observations : Elle se heurte à une réalité pratique puisque les partenaires financiers exigent le plus souvent la mise en place de garanties alternatives: le dirigeant doit alors constituer une sureté réelle sur son bien, ou se porter caution personnelle de l’engagement de la société.

A l’inverse, si le bien est inscrit au bilan, il intègre le patrimoine social de l’entreprise. En cas de difficultés financières et si une mesure de procédure collective est envisagée, l’ensemble de l’actif social serait soumis au droit de gage général des créanciers professionnels (Articles 2284 et 2285 du code civil).

 

Troisième préoccupation du chef d’entreprise : faciliter la transmission de l’entreprise

L’exclusion de l’immobilier professionnel de la société d’exploitation permet de faciliter la transmission de l’entreprise, familiale ou extra-familiale.

En cas de transmission de l’entreprise familiale au profit de ses enfants, le chef d’entreprise peut se retrouver confronté à deux difficultés :

  • l’identification de l’enfant repreneur
  • et le désintéressement des enfants non-repreneurs.

Or, si l’entreprise constitue le cœur du patrimoine du chef d’entreprise, assurer une égalité en valeur entre les enfants peut constituer un véritable casse-tête.

Une dissociation de l’activité opérationnelle et de l’immobilier lui étant affecté peut permettre une plus grande souplesse dans la composition des lots : l’enfant repreneur pourra se voir attribuer la société d’exploitation et ses cohéritiers gratifiés de l’immobilier. Soulignons toutefois le risque de conflits que cette situation d’interdépendance entre les enfants peut être susceptible de créer (par exemple dans l’hypothèse où la société voit sa valeur augmenter de manière significative sans qu’il n’en soit de même pour l’immobilier).

En cas de cession à titre onéreux de l’entreprise à un tiers, la détention de l’immobilier professionnel « hors bilan » entraîne une dissociation du sort de la société et de celui de son outil d’exploitation, l’un et l’autre pouvant être cédés à des acquéreurs distincts ou l’immobilier pouvant être conservé par le dirigeant cédant. Au contraire, une détention « au bilan » contraint le cessionnaire à acquérir l’intégralité de la société (activité et locaux dans lesquels elle est exercée) et entraine une hausse de sa valorisation… de quoi décourager des potentiels candidats acquéreurs !

 

Immobilier professionnel : choix du mode de détention d’un point de vue financier

Le choix financier du mode de détention de l’immobilier d’entreprise s’analyse sur deux critères principaux : la facilité de recours au crédit et la possibilité de revenus complémentaires pour le dirigeant.

Mode de détention et facilité de recours au crédit bancaire

L’acquisition du bien d’exploitation conduit le dirigeant à s’interroger sur la détermination de son mode de financement. Parmi les options possibles ::

  • utilisation des ressources de la société, c’est-à-dire ses capitaux propres
  • et/ou recours à l’endettement bancaire, ce dernier permettant de bénéficier d’un effet de levier positif notamment si le coût de l’emprunt est inférieur à la rentabilité des capitaux propres.

En cas d’acquisition « au bilan », employer les capitaux propres de la société d’exploitation impacte de manière significative sa capacité d’autofinancement (CAF) et grève parallèlement la trésorerie de l’entreprise. Les capacités d’investissement au service de son activité (Recherche et développement, outils de travail …) s’en trouvent amenuisées. Parallèlement, l’octroi d’un crédit bancaire dans le cadre d’une acquisition « au bilan » est facilité compte tenu de la surface financière de la société et des sûretés pouvant être apportées (hypothèque sur le bien, nantissement de comptes …).

A l’inverse, en cas de détention « hors bilan », la surface financière du dirigeant étant moins significative, l’apport personnel exigé par la banque risque d’être plus conséquent et doit alors souvent provenir de son patrimoine privé. Les sûretés octroyées seront adaptées à une détention hors bilan (cession de créances sur les loyers, nantissements des parts sociales de la société d’exploitation …).

Le choix dépendra donc en grande partie de la consistance du patrimoine privé du dirigeant.

 

Modes de détention et revenus complémentaires pour l’entreprise ou le dirigeant

En cours de vie sociale, le chef d’entreprise peut faire face à de nouvelles préoccupations : le maintien de son cadre de vie et le financement de sa retraite.

Il peut être alors intéressant pour le dirigeant de détenir l’immobilier professionnel au sein de son patrimoine privé : cette source stable et lucrative que constitue l’immobilier professionnel lui permettra de diversifier son portefeuille et de bénéficier d’une source de revenus complémentaires et réguliers grâce aux loyers perçus, et ce, au-delà même de la cessation de son activité.

 

Immobilier professionnel : choix du mode de détention et critères fiscaux

D‘un point de vue fiscal, la réflexion sur le mode de détention de l’immobilier professionnel doit tenir compte de l’imposition lors de l’acquisition et la détention du bien, mais aussi de la cession de l’entreprise à titre onéreux ou de sa transmission à titre gratuit.
 

Fiscalité lors de l’acquisition et la détention de l’immobilier professionnel

L’acquisition de son bien d’exploitation par le dirigeant, que ce soit par sa société d’exploitation ou en direct, aura une incidence sur la fiscalité applicable à l’acquisition du bien et pendant toute sa durée de détention. Il est nécessaire de distinguer :

  • L’acquisition de l’immobilier d’exploitation hors bilan. Dès lors que le bien est détenu en direct, ou par une société civile immobilière, elle-même détenue par des personnes physiques soumises à l’impôt sur le revenu, un bail doit être conclu avec la société d’exploitation permettant la mise à disposition de l’actif (voir supra).

    Les loyers constituent une charge déductible pour le preneur à bail (l’entreprise exploitante), et un revenu foncier pour le dirigeant ou la société civile détentrice de l’immobilier, dont l’imposition est réalisée entre les mains des associés (SCI à l’IR). Le revenu foncier peut être minoré, dans une limite de 10.700 €, par des charges dites déductibles, telles que certaines dépenses de réparation et d’entretien, les intérêts des dettes contractées pour l’acquisition du bien (Article 31 I du Code général des impôts).

    Les travaux de construction, reconstruction ou d’agrandissement ne peuvent en revanche pas être déduits et le bien ne peut pas faire l’objet d’un amortissement concernant ses composantes.
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  • L’acquisition de l’immobilier d’exploitation au bilan. Si le dirigeant opte pour une acquisition du bien immobilier par sa société d’exploitation, soumise à l’impôt sur les sociétés, le bien sera inscrit à son bilan pour sa valeur d’origine (Article 38 quinquies de l’annexe III au Code général des impôts ).

    L’impôt sur les sociétés sera diminué des frais d’acquisition qui pourront faire l’objet d’une déduction en totalité au cours de l’exercice au cours duquel les frais ont été engagés ou portés en majoration du prix d’acquisition au bilan (Article 38 quinquies du Code général des impôts). Les amortissements pourront également être déductibles, à l’instar des divers impôts et frais liés à l’immeuble sous réserve d’une justification.

Ainsi, en phase d’acquisition et de détention de l’actif immobilier, la détention du bien immobilier par la société d’exploitation semble plus favorable.

 

Détention de l’immobilier professionnel et fiscalité lors de la cession de l’actif d’exploitation

Le prix de l’immobilier professionnel a atteint des niveaux records ces dernières années, diminuant les potentielles perspectives de plus-values. Par ailleurs, la dernière décennie a témoigné d’une volonté législative d’alourdir la fiscalité sur les plus-values immobilières.

L’impact du choix de détention varie selon que le bien est détenu, lors de sa cession :

  • par le dirigeant d’entreprise. En effet, un bien d’exploitation détenu en direct par le dirigeant ou par une société civile translucide, est soumis, lors de sa cession, à l’impôt de plus-value immobilière des particuliers au taux de 19 % augmenté des prélèvements sociaux de 17,2 %. Jusqu’en 2012, le contribuable bénéficiait d’une exonération totale d’imposition après 15 ans de détention, délai porté à 30 ans à l’occasion de cette réforme. Le taux n’a quant à lui pas augmenté mais s’est vu complété de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus la même année.
  • par la société d’exploitation. La plus-value de cession du bien d’exploitation acquis au bilan de la société est soumise à l’impôt sur les sociétés en cas de revente au taux de droit commun de 25 %. La plus-value est égale à la différence entre le prix de vente du bien et sa valeur nette comptable (correspondant à la valeur d’acquisition de l’immeuble sous déduction de la totalité des amortissements pratiqués). L’appréhension par les associés du produit d’exploitation entraîne une seconde taxation, l’impôt sur les dividendes (flat tax de 30% ou barème progressif de l’IR en cas d’option), soit une imposition globale d’environ 50,5% !

 

Détention de l’immobilier professionnel et fiscalité lors de la transmission à titre gratuit de l’entreprise

La transmission de l’entreprise dans un cadre fiscal favorable constitue un objectif crucial pour le chef d’entreprise. Sans optimisation, l’importance des droits de mutation à titre gratuit (taux marginal d’imposition à 45%) peut en effet amener le chef d’entreprise à devoir céder une partie des titres reçus pour supporter le coût de la transmission.

Le « Pacte Dutreil », régi par l’article 787 B du CGI, offre, sous réserve du respect d’un certain nombre de conditions, une exonération de 75% de l’assiette taxable lors de la transmission des titres d’une entreprise

L’une des conditions requises pour bénéficier de ce dispositif est que la valeur vénale de l’actif brut immobilisé et circulant affecté à l’activité dite « opérationnelle » représente au moins 50% de la valeur vénale de l’actif brut total.

Or, le recours à une structure distincte et indépendante pour loger l’immobilier affecté à l’activité opérationnelle revient à priver la valeur du bien immobilier du bénéfice de l’exonération « Dutreil », sauf à envisager une filialisation de ces deux entités sous une holding animatrice de groupe (ou une filialisation de la société patrimoniale sous la société opérationnelle).

Aussi dans cette hypothèse, la détention de l’immobilier d’entreprise au bilan de la société opérationnelle peut sembler opportune.

L’analyse du mode de détention de l’immobilier d’entreprise nécessite donc une étude approfondie, tenant compte des objectifs personnels du dirigeant à court terme pendant son activité professionnelle, tout en anticipant les implications à long terme liées à la transmission de l’entreprise. Le recours à un professionnel du patrimoine est indispensable à cette réflexion.

 

 

Auteurs

 Estelle Charleux,  Pierre Montes,  Blandine Saulnier

Estelle Charleux est notaire spécialisée en Immobilier d’entreprise

Pierre Montes est notaire collaborateur spécialisé en Gouvernance et Transmission d’entreprise

Blandine Saulnier est notaire stagiaire spécialisée en Gouvernance et Transmission d’entreprise