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Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

Doit-on nécessairement répartir la distribution de dividendes entre associés proportionnellement à leur participation au capital ? Est-il possible de procéder différemment ?

 

Le principe de la répartition du dividende proportionnellement au pourcentage détenu au capital par chaque associé est souvent pensé par le néophyte comme normal et d’usage, et d’autant plus pour les sociétés patrimoniales.

Il peut être néanmoins intéressant, notamment dans les sociétés familiales, de répartir la distribution de dividendes différemment et de distribuer à un ou des associés une part de dividendes supérieures à son pourcentage de détention au capital.

Dans une SCI familiale par exemple, au capital de laquelle les parents seraient minoritaires et les enfants majoritaires dans une perspective de transmission, les associés peuvent souhaiter que l’essentiel des dividendes reviennent aux parents afin de leur constituer un complément de leur retraite.

La même question se pose concernant la contribution aux pertes. Lorsque la société dégage un résultat négatif, les associés peuvent préférer affecter cette perte à certains associés uniquement qui peuvent en avoir besoin fiscalement pour effacer un bénéfice de même nature.

Le Code civil établissant le principe de proportionnalité par rapport aux apports donc à la détention de capital (article 1844-1), est-il possible de déroger à cette règle et de répartir les bénéfices distribués ou les pertes différemment ?

Quelle liberté de répartition des dividendes est-elle autorisée par le droit des contrats ?

SOMMAIRE

  • Répartition des dividendes : quelles limites à la liberté contractuelle ?
  • La loi française et les cas de répartition de dividende non proportionnelle au capital social détenu
  • La structuration du patrimoine personnel pour maîtriser la répartition du dividende

Répartition des dividendes : quelles limites à la liberté contractuelle ?

 

Rappelons quelques éléments :

  • Le dividende s’entend une fois le bénéfice net de la société calculé et suite à une décision des associés (en principe par une assemblée générale) statuant sur la distribution de ce bénéfice.
  • L’assemblée générale ordinaire décide de l’usage du bénéfice distribuable, qui peut être réparti entre les réserves facultatives, les dividendes et le report à nouveau.

Le droit des contrats permet une certaine liberté dans l’organisation des statuts et donc dans la répartition du bénéfice. Pour autant cette dernière trouve sa limite dans un article du Code civil qui sanctionne un déséquilibre trop profond.

En effet, l’article 1844-1 du Code civil pose le principe des clauses dites léonines. Il s’agit d’une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les parties permettant à l’une d’entre elles de s’attribuer « la part du lion ». Concrètement il s’agit d’une clause qui procure un avantage disproportionné au profit d’un ou de certains associés au détriment des autres associés.

En effet l’article dispose : « La part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social et la part de l’associé qui n’a apporté que son industrie est égale à celle de l’associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire. Toutefois, la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites. »

L’article inscrit donc un principe de proportionnalité pour la rédaction des statuts et y voit une limite dans les clauses léonines. Depuis 1978, définir dans les statuts ou par pacte d’associé des stipulations qui peuvent être léonines aurait comme sanction de rendre la clause en question non écrite. Rappelons qu’avant cette réforme la société était déclarée nulle.

La question s’est posée récemment dans le cas de dispositions prises en assemblée générale de  mettre à la charge des associés minoritaires la totalité des pertes dans une société dite semi-transparente (société à l’impôt sur le revenu, relevant de l’article 8 du CGI).

De jurisprudence constante, les droits dans la société sont ceux qui résultent des statuts, sauf dans le cas où un acte ou une convention passée avant la clôture de l’exercice a pour effet de conférer aux associés des droits dans les résultats sociaux différents de ceux qui résulteraient de la seule application des statuts.

Dans le cas d’espèce, le capital social d’une SCI familiale est détenu par les parents à hauteur de 0,5% chacun, les 99% restants étant répartis entre les trois enfants. La SCI a réalisé des pertes importantes au cours des exercices précédents. Au travers de trois assemblées générales tenues avant le 31 décembre de chacune de ces années, les associés ont décidé d’attribuer la totalité des pertes de l’exercice aux parents, qui ont donc déduit les déficits fonciers correspondants (les associés personnes physiques étant imposés au titre de leurs revenus).

Le Conseil d’Etat (8ème – 3ème chambres réunies, 18/10/2022, 462497), confirmant l’arrêt de la Cour administrative d’appel, a jugé que des assemblées générales ne constituaient pas des clauses léonines, car elle ne dérogeait que de manière ponctuelle au pacte social. Voici ainsi déroulé une approche assez souple de la notion de clauses léonines.

Cette décision, si elle peut se comprendre sous l’angle de l’aspect ponctuel et sur une approche contractuelle, peut étonner par l’optimisation fiscale qu’elle peut conférer. Il n’est pas évident qu’actuellement cette même affaire n’aurait pas pu relever d’une qualification d’abus de droit à but principalement fiscal pour l’administration (dispositif qui n’existe que depuis 2019 pour les actes à compter de 1er janvier 2020).

Porté par le sujet principal de la liberté contractuelle dans le droit des contrats, c’est le trop fort déséquilibre, la protection des parties et l’éthique du droit des contrats qui semble avoir guidé l’article et sa réforme.

La haute juridiction a ainsi conforté une possibilité de répartition du dividende ponctuellement très déséquilibrée. Cette situation ne serait pas en conflit avec la précision de l’alinéa 2 de ce même article 1844-1 du Code civil, qui qualifie de clause léonine le fait de mettre à la charge d’un associé l’ensemble des pertes, dans la mesure où cette répartition déséquilibrée n’est pas inscrite de manière pérenne dans les statuts mais provient d’un acte ou d’une décision ponctuelle.

La jurisprudence ouvre ainsi une possibilité de répartition du dividende non proportionnelle à la détention capitalistique. La modulation de la répartition des dividendes peut également trouver sa source dans la loi ou dans le recours à une structuration spécifique du mode de détention.

 

La loi française et les cas de répartition de dividende non proportionnelle au capital social détenu

 

La loi française envisage spécifiquement les situations dans lesquelles la répartition du dividende n’est pas nécessairement proportionnelle à la participation au capital. Il s’agit :

  • des cas de dissociation de la pleine propriété lorsque les parts ou actions sont en démembrement par exemple (article 578 du Code civil).
  • de certaines catégories de titres, selon le type de sociétés, offrant à leur détenteur des avantages particuliers (telles que les actions de préférence par exemple). Le Code de commerce (L228-11 et suivants) prévoit les actions de préférence dans le cadre des sociétés par actions (SA (Société Anonyme), SAS (Société par Actions Simplifiée, SCA (Société en Commandite par Actions)). Une action de préférence est une action octroyant un avantage particulier ou des privilèges particuliers à son détenteur vis-à-vis d’une action ordinaire. Elle peut comporter par exemple un double droit de vote, ou des droits financiers multiples.

 

La structuration du patrimoine personnel pour maîtriser la répartition du dividende.

 

Comme nous l’avons vu précédemment, sauf clause contraire des statuts, chaque titre de société donne droit à une part proportionnelle de dividende. L’assemblée ne peut donc pas prévoir de façon pérenne une répartition différente. Elle ne pourrait décider ainsi de manière permanente la distribution de dividendes qu’au profit de certains associés et pas d’autres. La jurisprudence du Conseil d’État vu supra ne l’a en effet autorisé qu’au regard d’un caractère ponctuel.

Afin de pouvoir donner plus de souplesse à la répartition du dividende, il est possible de recourir à une structuration sociétaire par l’intermédiaire de société holding.

Certains  associés peuvent ainsi constituer une structure personnelle, dite holding, détenant tout ou partie de leur participation au capital de la société distributrice.

Depuis la possibilité de constitution de SPFPL (Société de Participation Financière de Professions Libérales) par la loi MURCEF de 2001, ce type de structuration s’est notamment développé auprès des professions libérales, pour de multiples raisons mais qui peuvent tenir à la question de la distribution.

 

Exemple de schéma de structuration sociétaire :

Le principe est le suivant :

Chaque associé détient sa participation dans la société distributrice par l’intermédiaire d’une société Holding personnelle.

La société filiale par décision d’assemblée générale distribue à chaque associé, donc à chaque holding. C’est alors au niveau du ou des associés de la holding que le choix de la distribution ou de la conservation dans la structure peut s’opérer.

D’un point de vue pratique, les sociétés holdings sont souvent unipersonnelles et chaque associé personne physique des holdings peut ainsi, au niveau de sa propre structure, maitriser son imposition en décidant ou non la distribution, sous les réserves légales et fiscales.

Dans ce cadre, au niveau de la société distributrice, la notion de répartition du dividende s’effectue bien de manière proportionnelle à la détention de son capital. On ne s’inscrit donc pas dans une répartition inégale.

C’est alors le mode de détention par une personne morale, c’est-à-dire par chaque société holding,  qui confère une souplesse dans la répartition finale de la distribution au profit de la personne physique.

Chaque associé peut décider seul si sa société Holding personnelle lui distribue des dividendes ou au contraire les conserve. Sa stratégie de distribution peut alors être menée librement et indépendamment des autres associés, sous condition bien entendu que la société distributrice ait décidé en assemblée générale de la distribution de tout ou partie de ses bénéfices.

 

Attention :

Ces structurations de patrimoine dans un cadre sociétaire et de détentions multiples de société devront être analysées aux regards :

 

L’accompagnement d’un conseil qualifié (avocat notaire ou expert-comptable) est indispensable à l’étude et la mise en place de ces stratégies.

Dans cet esprit, rappelons que le Conseil d’État a notamment considéré en 2020 que des objectifs de gouvernance et de préservation d’indépendance pouvaient justifier la création de la société holding, et que l’administration fiscale ne pouvait exiger la justification que la constitution de la société holding aurait, seule, permis d’atteindre l’objectif économique recherché (arrêts n°4184521 et 4293931 CE du 19 juin 2020).

 

 

Les nombreuses possibilités, tant quant à la nature des droits, qu’aux avantages particuliers de certains titres, laissent de beaux jours à la liberté contractuelle dans l’organisation de la distribution des dividendes.

La répartition de la distribution des dividendes et son organisation constituent ainsi de véritables outils patrimoniaux. Cette réflexion doit alors faire partie d’une véritable stratégie patrimoniale, notamment lorsqu’elle s’inscrit dans un cadre familial. Le recours aux professionnels du conseil reste ici indispensable afin d’éviter toute prise de risque juridique ou fiscal dans l’élaboration de ces stratégies.

 

Auteur

Sabine Petitgirard

Juriste Fiscaliste en Banque privée, Intervenante-formatrice à l’ESBanque pour le CESB Expert en Gestion de Patrimoine (diplôme RNCP Niveau 7, spécialisé en gestion de patrimoine).