Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT
Si les activités hôtelières et para-hôtelières remplissent les conditions d’éligibilité au pacte Dutreil, il est nécessaire de rester vigilant en termes de qualification et de structuration de l’activité.
Une étude « Economic Impact France » du Conseil mondial du voyage et du tourisme parue en 2018 anticipe que d’ici 10 ans, le tourisme représentera 10% du Produit Intérieur brut (PIB) de la France. Le secteur hôtelier profitera très certainement de cet appel d’air, les temps de crise n’ayant d’ailleurs pas entamé son dynamisme : selon l’INSEE, la fréquentation de juin à août 2022 dans les hôtels dépasse de 3 % son niveau d’avant-pandémie !
Au-delà des seuls indicateurs économiques, les acteurs du secteur constatent une tendance de fond : l’hôtellerie, comme les activités para hôtelières, séduisent les investisseurs institutionnels mais aussi très largement les investisseurs privés.
A l’occasion de la réflexion sur la transmission de leur activité, les investisseurs en hôtellerie ou para-hôtellerie peuvent se poser la question de l’opportunité de se prévaloir du dispositif « Dutreil » (article 787 B du CGI).
Rappelons en effet que ce régime de faveur permet, sous certaines conditions, de transmettre une entreprise individuelle ou une société en appliquant un abattement de 75% sur la valeur transmise imposable aux droits de succession ou de donation. En synthèse, ce dispositif permet de transmettre une activité opérationnelle avec un taux moyen d’imposition de l’ordre de 5%, contre un taux marginal d’imposition de 45%.
Ce dispositif de faveur suppose tout d’abord, l’exercice par la société considérée d’une « activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale » pendant toute la durée des engagements de conservation.
Les activités hôtelières et para hôtelières intègrent-elles ce périmètre ? Est-ce bien le cas en toutes circonstances ? Et à quelles conditions ?
SOMMAIRE
- Activité hôtelière et para-hôtelière : quelle éligibilité et quelle qualification au titre du régime Dutreil ?
- Activités hôtelières, para-hôtelières et Dutreil : les choix stratégiques déterminants
Activité hôtelière et para-hôtelière : quelle éligibilité et quelle qualification au titre du régime Dutreil ?
Si l’éligibilité des activités hôtelières et para-hôtelières au régime Dutreil semble claire, la qualification de l’activité para-hôtelière reste plus complexe.
La certitude : l’éligibilité des activités hôtelières et para hôtelières au pacte Dutreil
Afin de définir les activités éligibles au régime Dutreil, l’administration fiscale vient expliciter l’article 787 B du Code général des impôts (CGI) par un renvoi aux articles 34 et 35 du CGI (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n°15).
La doctrine (CE, 8e et 3e ch., 26 avril 2018, n° 417809 : JurisData n° 2018-006946 ; Dr. Fisc. 2018, n° 24, comm. 298, note M. Collet) rappelle que cet article 34, au champ d’application extrêmement large, vise les activités commerciales par nature, c’est-à-dire par essence commerciales en raison de leurs caractéristiques ou résultant de la répétition d’actes de commerce. Les activités hôtelières sont ici considérées comme commerciales par nature.
L’activité para hôtelière intègre également le champ de cet article, la jurisprudence (CE, 9e et 10e ch., 20 novembre 2017, n° 392740 : JurisData n° 2017-023158) et l’administration fiscale (BOI-BIC-CHAMP-40-10, n° 20) considérant que l’élément ayant trait à la location immobilière est accessoire par rapport à l’activité de prestation de services.
Par ailleurs, l’activité de location meublée à usage d’habitation intègre le champ d’application de l’article 35 et donc, a fortiori, l’activité de para-hôtellerie.
En apparence donc, la ligne de partage est claire et limpide : tout ce qui relève des articles 34 et 35 du CGI doit être entendu comme activité éligible.
Toutefois, à prolonger la lecture de la doctrine administrative, l’administration fiscale resserre considérablement le champ de l’éligibilité puisqu’elle entend exclure les « activités de location de locaux meublés à usage d’habitation ».
L’objectif assumé derrière cette exclusion est de ne réserver l’application du dispositif qu’à des sociétés qui poursuivent un dessein commercial à l’exclusion de toute activité patrimoniale.
Si cette exclusion ne remet pas en cause l’éligibilité des activités hôtelières et para-hôtelières, elle doit conduire néanmoins à être particulièrement attentif à ce qui permet de tracer une ligne de partage claire entre celles-ci et la location meublée pure et simple.
L’incertitude : comment qualifier l’activité « para-hôtelière » au sens du dispositif Dutreil ?
En matière de dispositif Dutreil, ni la législation, ni la doctrine fiscale n’énoncent de critères permettant de qualifier l’activité para-hôtelière.
La difficulté de la qualification est accrue en raison de son caractère hybride : elle à la fois location d’un logement meublé, que l’on sait non éligible au dispositif Dutreil et exécution de prestations de services annexes. Au surplus, elle est aussi particulièrement hétérogène en ce qu’elle recouvre des cas de figure très divers (« AirBnB », résidences-services …).
Dès lors, seul un raisonnement par analogie avec les autres matières, principalement eu égard à l’impôt sur le revenu (IR) et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), semble pouvoir nous guider à l’effet de savoir de quel type d’activité de location il s’agit.
La législation en matière de TVA et d’impôt sur le revenu a mis en avant des critères bien définis en matière de para-hôtellerie. Pour qu’une activité soit caractérisée d’activité para-hôtelière, l’exploitant doit offrir en sus de l’hébergement au moins trois des quatre services suivants (article 261 D, 4° du CGI) :
- le petit déjeuner,
- le nettoyage régulier des locaux,
- la fourniture de linge de maison
- et la réception, même non personnalisée, de la clientèle.
Cependant, la réunion de trois de ces quatre critères, si elle est indispensable, ne nous paraît en aucun cas suffire pour caractériser la qualification d’activité para-hôtelière éligible, telle qu’elle doit être entendue au sens du dispositif Dutreil.
D’abord, cette lecture fort tentante ne semble pas si évidente aux regards des différentes formes d’activités de location.
Plus prosaïquement, il paraît plus logique d’adopter un raisonnement comparant l’activité à qualifier avec la définition d’une activité hôtelière. Certes l’activité hôtelière connaît plusieurs définitions selon le mode d’exploitation mais ce que toutes ces définitions ont en commun avec celle de l’activité para-hôtelière est l’idée que, par principe, le client d’un établissement hôtelier ou para-hôtelier n’élit pas domicile dans le bien loué. Il faut en conclure que l’activité hôtelière ou para-hôtelière ne concerne pratiquement que des locations pour des séjours de courtes durées.
Par ailleurs, la jurisprudence de plus en plus abondante permet d’identifier le soin particulier que porte l’administration fiscale à détecter les « activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier » Or, à cet égard, l’activité de location meublée avec services sera toujours intrinsèquement « pervertie » par sa composante immobilière. La question peut ainsi légitimement se poser de savoir dans quelle mesure le poids de cette composante immobilière ne pourrait pas obérer la qualification d’activité para-hôtelière.
Lorsqu’une société développe une activité dite « mixte », à la fois patrimoniale et opérationnelle, l’administration fiscale a développé la notion de « prépondérance ». Aiguillée par une récente décision du Conseil d’Etat, l’administration fiscale considère désormais qu’une société exerce une activité éligible « lorsque la valeur vénale de l’actif brut immobilisé et circulant affecté à cette activité représente au moins 50% de la valeur vénale de son actif brut total ».
De notre point de vue, l’administration fiscale pourrait être tentée d’adopter un même raisonnement de type « prépondérance » à l’effet de qualifier l’activité para-hôtelière : elle mettrait en balance au bilan la valeur vénale de ce qui relève de la pure gestion d’un patrimoine immobilier et la valeur vénale de ce qui se rapporte à une véritable activité économique.
Toutefois, pour le cas de la para-hôtellerie, la prépondérance paraît ne pas pouvoir être appréciée qu’au regard d’un tel comparatif. La raison en est qu’au cas d’espèce, la société n’exerce qu’une seule activité (la location meublée avec services) fonctionnant au moyen d’actifs interdépendants qui se nourrissent les uns les autres, et non pas deux activités bien distinctes, l’une patrimoniale et l’autre opérationnelle. En la matière, il n’est ainsi pas possible de distinguer a priori de manière claire les actifs affectés et ceux qui ne le sont pas : l’immeuble comme le fonds de commerce participent chacun de l’activité de location et la valeur vénale du premier est sans nulle doute étroitement liée à celle du second.
Alors, dans l’attente d’une clarification, la sécurisation de la qualification d’activité para-hôtelière nous semble devoir transiter par une appréciation de la prépondérance à la fois multicritères et s’opérant pratiquement en considération de critères économiques suffisamment pertinents selon l’activité de location considérée.
Activités hôtelières, para-hôtelières et Dutreil : les choix stratégiques déterminants
La sécurisation du caractère éligible de l’activité développée ne suffit pas toujours à sécuriser l’éligibilité au dispositif Dutreil.
Encore faut-il que cette activité opérationnelle soit prépondérante sur toute autre activité non éligible au Dutreil. Le doute est en particulier permis lorsque la société est dotée d’importantes liquidités. En outre, le caractère éligible doit incontestablement être écarté lorsqu’il apparaît qu’au vu du mode d’exploitation, l’entreprise ne supporte en réalité pas ou trop peu le risque entrepreneurial.
C’est ainsi que les choix stratégiques de structuration de l’activité hôtelière ou para-hôtelière ont une influence déterminante sur l’éligibilité au dispositif Dutreil.
Activités hôtelières, para-hôtelières et Dutreil : la place de la trésorerie
Alors qu’une entreprise ne saurait fonctionner correctement et être crédible vis-à-vis de ses partenaires sans fonds propres, l’administration fiscale manifeste une méfiance ciblée vis-à-vis des liquidités, pour lesquelles elle présume une logique patrimoniale plutôt qu’opérationnelle.
Pour apprécier l’éligibilité d’une société au dispositif Dutreil, la valeur vénale des actifs (immobilisés ou circulants) dédiés à l’activité éligible doit représenter au moins 50% de la valeur vénale de l’actif brut total de la société (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10-20211221 n°20).
Pour l’appréciation de ce ratio, la trésorerie doit faire l’objet d’une attention toute particulière : l’administration fiscale la considère comme n’étant pas affectée à l’exploitation, à défaut de preuves contraires qui viendraient au soutien de son emploi ou son utilité à l’activité opérationnelle.
Ainsi, une documentation rigoureuse et suivie visant à motiver le caractère indispensable de la trésorerie à l’activité éligible doit être compilée pendant toute la durée des engagements collectif et individuels de conservation.
Le caractère affecté d’une importante remontée de liquidités, par exemple suite à la cession d’un actif immobilisé, destinée à être réinvestie peut être utilement sécurisé au moyen de la conservation des mandats de recherche dans de nouveaux projets, des écrits rapportant les négociations, des procès-verbaux de conseil d’administration, de comités du groupe ou de la société à visée stratégique décidant des cibles de réinvestissement…
Précisons à toute fin utile qu’en cas de contrôle l’administration fiscale dispose des moyens de vérifier si les opérations projetées ont finalement été véritablement conclues afin de trancher la question de l’affectation des liquidités.
S’il s’avère que l’existence d’une partie de la trésorerie ne peut être justifiée par des critères opérationnels, il conviendra de mesurer l’opportunité, selon les cas, de réaliser une opération de sortie de ces liquidités (distribution ou réduction de capital).
Activités hôtelières, para-hôtelières et Dutreil : la structuration de l’exploitation
L’activité éligible peut être exercée directement par l’entreprise. Cette situation ne présente pas de difficultés, mais ne recouvre en pratique qu’une partie des cas de figure : parfois la gestion de l’activité hôtelière n’est pas assurée par le propriétaire du fonds lui-même, mais est déléguée à un tiers.
La question se pose ainsi de savoir si la société doit ou non impérativement exploiter personnellement son fonds. Voyons ci-après les modes d’exploitation le plus souvent choisis par les investisseurs privés.
La gérance-mandat
La gérance-mandat correspond au mode d’exploitation par lequel le propriétaire du fonds de commerce en confère l’exploitation à un gérant-mandataire.
Ce contrat présente pour particularité de laisser toute latitude au gérant pour l’administration du fonds, sans pour autant lui faire supporter les risques liés à son exploitation, ces derniers restant assumés par le propriétaire.
Cette dernière caractéristique, tendant à rapprocher ce statut de celui d’un classique mandataire social, laisse penser que ce mode d’exploitation n’est pas un frein au bénéfice du dispositif Dutreil pour l’entreprise propriétaire du fonds.
La location-gérance
La doctrine fiscale exclut expressément de l’exonération partielle le fonds de commerce dépendant d’une entreprise individuelle donné en location-gérance à un tiers exploitant (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40 n°15). Il ne fait pas de doute que la même position serait adoptée en matière de transmission de titres de société. L’esprit du dispositif Dutreil est en effet alors complètement dévoyé, puisque le risque entrepreneurial est alors assumé par le seul exploitant, le propriétaire se contentant de percevoir des loyers fixes ou peu corrélés aux soubresauts de l’activité économique.
Pour autant, face à cette structuration, tout espoir de rendre l’activité éligible au régime Dutreil ne doit pas être abandonné.
Par exemple, il peut être proposé à l’exploitant une filialisation de sa structure au sein du groupe du propriétaire du fonds. Aussi, afin de permettre la rémunération de l’exploitant, il pourra être envisagée sa nomination en qualité de mandataire social de la branche du groupe en charge de l’activité. Le cas échéant, cette structuration pourra être couplée à la mise en place d’un « management package » permettant d’intéresser l’exploitant à la réussite de l’entreprise.
Dans ces cas de figure, le recours à un conseil professionnel est indispensable pour adopter des solutions de restructuration préalables rendant possible la mise en place d’un engagement collectif de conservation.
Auteurs
Charles Guillaneuf et Pierre Montes
Charles Guillaneuf est notaire collaborateur, spécialisé en Gouvernance et Transmission d’entreprises
Pierre Montes est notaire stagiaire, spécialisé en Gouvernance et Transmission d’entreprises
Sources :
- Articles 34 et 35 du CGI
- Article 261 D, 4° du CGI
- Article 787 B du CGI
- BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n°15
- BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10-20211221 n°20
- BOI-BIC-CHAMP-40-10, n° 20
- CE, 8e et 3e ch., 26 avril 2018, n° 417809 : JurisData n° 2018-006946
- Dr. Fisc. 2018, n° 24, comm. 298, note M. Collet
- Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 23/01/2020, 435562
- « IFI : la qualification « d’activité opérationnelle » à l’épreuve du développement des différentes formes d’activités locatives » par Jean DEMORTIERE et Driss TOF – Actes Pratiques Ingénierie Immobilière n° 1, janvier 2019, 1