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La donation-partage transgénérationnelle réincorporative : points d’attention et sécurisation

La donation-partage transgénérationnelle réincorporative : points d’attention et sécurisation

Temps de lecture estimé : 12 min

Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

La donation-partage transgénérationnelle, sous sa forme réincorporative, est un puissant outil de transmission qu’il faut savoir pratiquer prudemment. Explications !

 

L’augmentation de l’espérance de vie a pour conséquence la concentration prolongée du patrimoine familial entre les mains de générations qui n’auraient pas nécessairement besoin de la globalité pour financer leur train de vie.

Par ailleurs, les Français héritent de plus en plus tard, à une période où ils ont déjà constitué leur propre patrimoine. Quant aux générations montantes, qui auraient besoin d’un apport pour acquérir de l’immobilier, d’habitation, de jouissance ou de rapport ou encore fonder une entreprise, elles n’héritent pas avant d’avoir atteint l’âge de la retraite. L’héritage s’avère alors source de complications (biens à mettre en vente ou à gérer, fiscalité attachée à supporter, indivision familiale à gérer …).

Un mécanisme civil existe pourtant pour permettre la transmission du patrimoine familial des grands-parents vers les petits-enfants, tout en protégeant la génération intermédiaire : la donation-partage transgénérationnelle.

L’une des déclinaisons de cet outil, la donation-partage transgénérationnelle réincorporative, présente un intérêt encore plus significatif, en particulier en raison de son régime fiscal.

 

Principe de la donation-partage transgénérationnelle réincorporative (DPTR) :

Il s’agit ici pour des enfants (génération 2/G2) qui ont déjà reçu des biens de leurs parents (génération 1/G1) de remettre ces biens au « pot commun » pour les voir immédiatement réattribués à leurs propres enfants (génération 3/G3), suivant un régime fiscal de faveur. En effet :

  • si la donation initiale consentie par G1 à G2 a plus de 15 ans, seul le droit de partage (actuellement égal à 2,5%) sera dû sur la valeur des biens repartagés (la valeur retenue étant alors celle du jour de la réincorporation et non celle de la donation initiale).
  • si la donation initiale a plus de 15 ans, les droits de donation ne seront pas dus.

Cette opération implique évidemment la présence et l’accord de toutes les générations concernées.

Ce mécanisme de saut de génération original s’inscrit dans le cadre protecteur des dispositions civiles bien connues s’appliquant à la donation-partage :

Au décès de la génération G1, la donation n’étant pas soumise au rapport, elle n’aura pas à être réintégrée fictivement au patrimoine successoral pour calculer les droits des héritiers. Le risque de réduction de la libéralité sera en outre réduit pour deux raisons :

  • Les biens recueillis par donation-partage sont évalués au jour où celle-ci a été consentie (article 1078-8, alinéa 3 du Code civil), peu importe donc les fluctuations économiques postérieures. Cette règle trouve à s’appliquer si les deux conditions suivantes sont remplies : les enfants (G2) doivent avoir donné leur accord à l’acte (même s’ils ne reçoivent rien dans la donation-partage) et il ne doit pas être constitué de réserve d’usufruit sur une somme d’argent.
  • La donation-partage s’imputera prioritairement sur la part réservataire de la souche concernée (article 1078-8, alinéa 1 du Code civil ) et subsidiairement sur la quotité disponible, ce qui présente le double avantage d’affranchir la quotité disponible et de retarder le déclenchement de la réduction.

Au décès de chacun des membres de la G2, les biens reçus par ses enfants aux termes de la donation-partage transgénérationnelle seront fictivement traités comme s’ils les tenaient de son auteur et non du donateur (article 1078-9 du Code civil ) en vertu d’une donation-partage ou d’une donation simple, selon que les conditions de la première (acceptation par tous les descendants de la G2 de leur lot, absence de réserve d’usufruit sur une somme d’argent, absence de survenance d’un nouveau petit-enfant…) soient ou non remplies.

La fiscalité (article 776 A du Code général des impôts (CGI) ) de la DPTR peut être résumée comme suit :

 

Ce mécanisme est très vertueux familialement, économiquement et fiscalement. Il présente cependant plusieurs aspérités qu’il convient de garder à l’esprit.

 

SOMMAIRE

  • Réincorporation partielle d’une donation-partage transgénérationnelle : validité civile
  • Réincorporation de titre reçus par augmentation de capital réalisées par incorporation de réserves
  • Donation-partage transgénérationnelle et impact de la réincorporation sur l’impôt de plus-value
  • Le traitement de l’usufruit successif viager dans la donation-partage transgénérationnel réincorporative
  • Donation-partage transgénérationnelle réincorporative et changement de souche
  • Impact de la naissance d’un nouveau petit-enfant dans la donation-partage transgénérationnelle réincorporative
  • Donation-partage transgénérationnelle réincorporative et traitement de la minorité

Réincorporation partielle d’une donation-partage transgénérationnelle : validité civile

 

Si les auteurs s’accordent à considérer qu’aucune disposition du Code civil ne s’oppose à la réincorporation partielle d’une donation-partage antérieure, cette opération soulève des difficultés en termes d’évaluation des biens.

L’incorporation partielle semble tout d’abord difficile à concilier avec la règle de l’unité de l’évaluation découlant de l’article 1078-1 alinéa 2 du Code civil. Selon cette règle d’ordre public, tous les biens compris dans une donation-partage (biens nouvellement donnés ou réincorporés) doivent être évalués à une date unique pour les besoins de la réserve héréditaire. Les donations incorporées à un nouvel acte prennent ainsi date au jour de la réincorporation (et non au jour de la donation initiale).

En outre, la question de la date d’évaluation à retenir pour les biens non incorporés à la donation se pose.

La doctrine est divisée sur la validité et l’efficacité de l’incorporation partielle d’une donation-partage :

  • Selon certains auteurs, la réincorporation ne pourrait qu’être totale, la donation-partage d’origine étant indivisible.
  • Selon d’autres auteurs, une réincorporation partielle ne poserait aucune difficulté au motif que la donation-partage est un « faisceau d’accords bilatéraux » plutôt qu’un partage d’ascendant. Certes une réincorporation partielle (ayant pour effet la résolution de la donation incorporée) pourrait faire perdre les qualités attachées à la première donation-partage… Toutefois, lorsque l’attribution intervient au sein de la même souche, l’économie de l’acte initial ne s’en trouve pas modifiée et ses vertus sont maintenues.
  • Enfin, un courant doctrinal médian et plus prudent considère que la réincorporation partielle est licite à condition de réunir plusieurs conditions :
    • Consentement de tous les donataires-copartagés initiaux (même ceux non réallotis),
    • Report conventionnel de la date d’évaluation des biens à la date de la donation-partage d’origine, conformément au principe de l’unité de l’évaluation,
    • Absence de biens nouvellement donnés.

    Cette position médiane correspond à la pratique dominante.

Réincorporation de titre reçus par augmentation de capital réalisées par incorporation de réserves

 

Nous nous situons dans le contexte suivant :  G2 a reçu par donation des titres de sociétés il y a plus de 15 ans. Postérieurement à la donation, différentes augmentations de capital sont réalisées par incorporation de réserves.

Est-il possible de réincorporer des titres reçus aux termes des augmentations de capital susvisées à proportion des titres reçus il y a plus de 15 ans ?

Une telle réincorporation a été envisagée par la doctrine sur le fondement :

  • de la théorie selon laquelle “l’accessoire suit le principal “
  • et à la lumière de la position de la Cour de cassation ayant considéré que les sommes mises en réserve appartiennent au nu-propriétaire : ces réserves accroissent en effet l’actif social et sont assimilables à des produits (leur prélèvement altérant la substance des droits sociaux en diminuant l’actif social).

Si la doctrine et la jurisprudence n’ont pas expressément confirmé la possibilité de réaliser une telle opération, il pourrait toutefois être argué du fait que l’action nouvelle est une composante de l’action ancienne qui recelait en germe les réserves incorporées par la suite au capital.

Dès lors que les réserves faisaient déjà partie de l’actif social et que le droit de l’associé n’a pas été modifié, seule sa représentation est différente.

En pratique, il conviendra naturellement d’être en mesure de démontrer la traçabilité desdites actions.

 

Donation-partage transgénérationnelle et impact de la réincorporation sur l’impôt de plus-value

 

La question se pose ici de l’impact de la réincorporation sur l’impôt de plus-value exigible en cas de cession ultérieure des biens ainsi réincorporés.

Plus précisément, il convient de déterminer quelle serait, en cas de vente ultérieure des titres par la G3, la valeur à retenir pour l’entrée des biens dans leur patrimoine : s’agirait-il de la valeur des biens retenue dans la donation initiale ou de la valeur retenue dans la donation-partage transgénérationnelle réincorporative ?

A notre connaissance, ni la jurisprudence, ni l’Administration fiscale ne se sont officiellement prononcées sur les conséquences de l’incorporation d’une donation antérieure en matière de plus-value, qu’il s’agisse d’une plus-value mobilière ou immobilière.

L’article 150-0 D, alinéa 1 du CGI, dispose que la valeur d’acquisition est la « valeur retenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit ».

Si la donation initiale date de plus de quinze ans, la réincorporation est soumise au seul droit de partage et non aux droits de mutation à titre gratuit.  Or, le droit de partage n’est pas un droit de mutation à titre gratuit. Stricto sensu, l’acte pourrait donc être considéré comme déclaratif et non pas translatif de propriété. Si cette analyse était retenue, le prix d’acquisition des titres par la G3 serait la valeur retenue dans la donation initiale de plus de 15 ans.

Il convient cependant de souligner que l’acte considéré n’est pas simplement un partage d’un point de vue civil : Il s’agit bien d’une donation-partage. Nous sommes donc bien face à un acte hybride dont le régime l’est tout autant.

En pratique, face à l’absence de positions administrative et jurisprudentielle, l’incertitude demeure.

 

Le traitement de l’usufruit successif viager dans la donation-partage transgénérationnel réincorporative

 

Envisager une donation-partage transgénérationnelle réincorporative implique de s’interroger sur la protection conférée à chaque génération.

La génération G1 souhaitera parfois conserver l’usufruit viager qu’elle s’était peut-être réservé à l’époque. La G3 a intérêt à voir le coût de transmission patrimoine familial se limiter au maximum. La G2 souhaitera peut-être conserver son droit aux revenus à terme en se réservant l’usufruit successif viager du patrimoine pour en profiter au décès de la G1.

Si cette dernière précaution est possible et utile, elle n’est pas sans entraîner des conséquences de nature fiscale.

Pour parvenir au résultat escompté, deux visions s’affrontent :

  • d’une part, il pourrait être soutenu que l’usufruit successif de G2 existe par suite d’une réversion d’usufruit consentie par la G1 au profit de G2 dans la nouvelle donation. Selon cette conception, il y aurait bien un transfert de propriété (une réversion d’usufruit) de G1 à G2.
  • D’autre part, il pourrait être argué que cet usufruit successif viager n’est pas transmis à G2, car il lui est en réalité déjà acquis : il est contenu en germe dans la nue-propriété reçue initialement. La nouvelle donation-partage marquerait donc une réincorporation par la G2 de la donation initiale à elle faite au profit de la G3, avec rétention d’un usufruit successif viager.

Selon la conception adoptée, la conséquence fiscale en sera différente :

  • Si la G2 retient à son profit un usufruit successif viager qui était contenu en germe dans la donation initiale, les droits de mutation à titre gratuit ont d’ores et déjà été acquittés. Aucune imposition complémentaire ne devrait donc être perçue au moment du transfert de l’usufruit au profit de la G2.
  • Si au contraire l’on considère que c’est la G1 qui prévoit la réversion de cet usufruit au bénéfice de la G2 au moment de la réincorporation, cet usufruit pourrait alors être taxé au moment de son ouverture (décès de la G1).

D’un point de vue pratique, les modalités rédactionnelles de la donation-partage seront naturellement déterminantes pour l’analyse (lot contenant la nue-propriété sous l’usufruit viager de la G1 et sous l’usufruit successif viager de la G2 ou bien deux lots différents : l’un de la nue-propriété attribuée à G3, l’autre de l’usufruit successif viager attribué à G2).

L’administration fiscale tend à privilégier une taxation lors de l’ouverture de l’usufruit successif viager. Cette position est néanmoins très largement critiquée par la doctrine, qui la considère comme « contra legem ».

Faute de bénéficier d’une prise de position doctrinale convaincante et claire de l’administration fiscale, la prudence commandera une vigilance toute particulière dans la rédaction de l’acte de donation, notamment en ce qui concerne la formation des lots incorporés, et d’éviter la constitution d’un usufruit successif viager en utilisant les termes de « réserve » ou « réversion », à plus forte raison lorsqu’il s’agirait d’en faire profiter un étranger (comme par exemple un des conjoints de la G2, qui, en cas de taxation, seraient soumis à une fiscalité à 60% en ce qu’ils ne partagent pas de lien de parenté avec la G1).

 

 

Donation-partage transgénérationnelle réincorporative et changement de souche

 

La question est parfois posée, pour un membre de la génération G2 qui n’a pas d’enfant, d’une éventuelle réincorporation des biens reçus de la G1 au bénéfice de ses neveux et nièces (G3).

Si cette réincorporation oblique semble être admise sur le plan civil, elle n’est pas expressément visée par la lettre de l’article 776 A du CGI, lequel prévoit uniquement les réattributions au profit d’un descendant du donataire initial. On peut alors s’interroger sur le régime fiscal d’une telle opération lorsque que la donation incorporée a été consentie il y a plus de 15 ans.

La doctrine majoritaire estime qu’en l’absence de mention spécifique dans l’article 776 A du CGI, une telle réincorporation doit être soumise aux droits de mutation à titre gratuit au tarif entre grands-parents et petits-enfants, conformément à l’article 784 B du CGI.

Certains ont pu souligner que le changement d’attributaire a toujours été soumis au droit de partage à l’occasion de la réincorporation d’une donation-partage ordinaire et regretter dès lors l’absence de justification d’une différence de traitement lorsque cette donation est transgénérationnelle.

Mais dans l’hypothèse d’une réincorporation qui viendrait associer un saut de génération à un changement de souche (réincorporation et attribution à un neveu du donataire initial), l’analogie avec la donation-partage semble fragile. En effet, le principe selon lequel l’incorporation d’une donation-partage n’est pas une libéralité mais un partage ne concerne littéralement que les « héritiers présomptifs » du donateur, au titre desquels les petits-enfants du donateur ne sont pas compris (article 1078-3 du Code civil auquel renvoie l’article 776 A du CGI).

Quoiqu’il en soit, en dépit d’une prise de position claire, l’administration fiscale semble considérer que le bénéfice du droit de partage doit être cantonné aux seules donations-partages transgénérationnelles dont les biens réincorporés sont réattribués aux descendants du donataire (BOI-ENR_DMTG-20-10 n°180).

En matière de transmission d’entreprises, rien n’empêche en revanche de coupler le mécanisme de la donation-partage transgénérationnelle réincorporative avec l’application du bénéfice du dispositif « Dutreil » sur la partie de la transmission soumise aux droits de mutation à titre gratuit. L’opération devra néanmoins être traitée avec minutie.

 

Impact de la naissance d’un nouveau petit-enfant dans la donation-partage transgénérationnelle réincorporative

 

D’un point de vue civil, les biens reçus par les petits-enfants sont fictivement traités dans la succession de leur auteur comme s’ils les tenaient de lui-même. Ainsi, dans l’hypothèse où l’un des petits-enfants n’aurait pas été alloti dans la donation-partage transgénérationnelle réincorporative, car il serait né postérieurement, la donation serait traitée comme une donation simple en vue du rapport et de la réduction. Les biens seraient ainsi réévalués et rapportés à la succession du membre de la génération G2 concerné, afin de rétablir l’égalité entre ses descendants.

De son vivant, la génération G2 pourra rééquilibrer la donation. Elle aura en effet tout loisir de réaliser une nouvelle donation-partage au profit de tous ses enfants (y compris celui qui serait né après la libéralité transgénérationnelle) à laquelle seront réincorporés les biens. Une nouvelle donation-partage transgénérationnelle réincorporative pourra en outre être envisagée par le donateur le cas échéant.

En tout état de cause, la possibilité de la survenance d’un petit-enfant postérieurement à la donation-partage transgénérationnelle réincorporative peut être traitée et ne doit donc pas interrompre la réalisation du projet.

 

Donation-partage transgénérationnelle réincorporative et traitement de la minorité

 

En cas d’enfant mineur de la génération G3, on pourrait penser que l’intervention du juge des Tutelles serait nécessaire.

Il est cependant possible de nommer au sein de la donation-partage un (ou plusieurs) tiers administrateur(s) chargés de gérer et de disposer à titre onéreux (vente, apport en société) des biens au cours de la minorité de la G3. Ainsi, s’agissant de titres de sociétés, le tiers administrateur participera et votera aux assemblées générales.

Est-il possible de cumuler la qualité d’administrateur légal et de tiers administrateur des biens donnés ?

L’article 384 du Code civil pose en principe que tout parent exerçant l’autorité parentale est administrateur légal de son enfant. Toutefois, chaque donateur dispose de la possibilité d’insérer dans l’acte de donation une clause désignant un administrateur tiers évinçant l’administrateur légal de la gestion d’une partie du patrimoine de son enfant et de la jouissance de celle-ci. Les pouvoirs de ce tiers administrateur sont définis dans l’acte de donation, à défaut de précision dans l’acte, il dispose des mêmes pouvoirs que l’administrateur légal.

Si, en renvoyant à la notion de « tiers », le législateur ne pose aucune restriction quant au choix du tiers administrateur, certains auteurs considèrent que ce silence témoigne de sa volonté d’offrir aux donateurs une grande liberté dans la désignation de ce tiers.

Dès lors, selon une conception large, un administrateur légal pourrait se voir désigner tiers administrateur conformément à l’article 384 du Code civil.

 

 

La donation-partage transgénérationnelle réincorporative est un outil apte à répondre à certaines problématiques contemporaines de transmission induites par l’allongement de l’espérance de vie : conservation prolongée d’un patrimoine important au sein de la première génération, héritages de plus en plus tardifs…

Il n’en reste pas moins que ce mécanisme est source de complexités et nécessite une attention particulière dans sa mise en œuvre.

 

Auteur

Cécile Peyroux    

Notaire et intervenant formateur à L’ESBanque pour le CESB EGP

Pierre Montes    et Blandine Saulnier  

Notaires stagiaires

 

Sources :

Incapacité ou décès du dirigeant : les solutions civiles de protection du patrimoine professionnel

Incapacité ou décès du dirigeant : les solutions civiles de protection du patrimoine professionnel

Temps de lecture estimé : 13 min

La défaillance du dirigeant peut avoir des conséquences dramatiques pour l’entreprise si ce dernier est également actionnaire. Il existe pourtant des mécanismes civils simples, peu couteux et facilement réversibles pour se prémunir contre un tel risque.

On parle souvent de la protection du patrimoine personnel du chef d’entreprise mais assez peu de la préservation de son patrimoine professionnel en cas d’invalidité ou de décès. Or, le dirigeant étant central dans la conduite de l’entreprise, qui plus est lorsqu’il est associé, les risques de défaillance doivent absolument être analysés et couverts au mieux.

Les méthodes assurantielles sont souvent utilisées, tels que les contrats dits « homme-clé », alors que les solutions offertes par le droit civil sont souvent mal connues et pourtant très efficaces.

comment faire face à l’incapacité temporaire ou prolongée du dirigeant ?

Un accident, une maladie peuvent rendre le dirigeant inapte à assumer ses fonctions de direction.

Lorsque cette situation est réversible et de très courte durée, des solutions peuvent être trouvées au sein de la société, sous réserve naturellement d’avoir été anticipées. La mise en place de délégations et d’organigrammes clairs de responsabilité et de prise de décisions permettent de poursuivre à court terme l’activité de l’entreprise.

Mais lorsque le niveau d’incapacité du dirigeant, même temporaire, est élevé, des mesures de protection juridique sont nécessairement mises en place pour permettre la représentation et le fonctionnement de la société.

Ces dispositifs de protection légale ont pour objectif de pallier une situation de crise et d’organiser juridiquement la représentation nécessaire du dirigeant. Mais pour que l’activité se poursuive au mieux, le dirigeant doit anticiper cette situation et l’organiser. Des solutions civiles, tel le mandat de protection future, ont été créées principalement pour cela.

que se passe-t-il en cas de placement du dirigeant sous un régime légal de protection ?

En cas d’incapacité et si aucune précaution n’a été prise, le dirigeant devra être placé sous un régime légal de protection de type sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle.

Depuis 2015, un dispositif plus « allégé » dit d’habilitation familiale permet une représentation sur autorisation du juge des tutelles.

Ces mesures ont pour objet d’organiser la gestion de la situation d’incapacité une fois celle-ci malheureusement survenue. Mais elles ne permettent pas de l’anticiper pour gérer ce risque de manière optimale et tel que le dirigeant le souhaiterait.

Les régimes de protection légale : curatelle et tutelle

Ces dispositifs de protection légale supposent une décision du juge des tutelles et un délai de traitement des dossiers de l’ordre de 6 mois à 1 an pour l’ouverture de la mesure.

Le dirigeant étant incapable, aucune assemblée générale ne peut intervenir si le chef d’entreprise est également associé.

Il n’est donc pas possible de nommer un nouveau dirigeant, ni de distribuer des dividendes.
Or, ceci peut s’avérer indispensable pour financer le train de vie du dirigeant et de son conjoint et le coût de la dépendance, dans la mesure où l’incapacité du dirigeant l’empêche d’exercer ses fonctions et, donc, de percevoir son salaire.

C’est ensuite le juge qui décide de la personne chargée de protéger le dirigeant. En cas de doute sur la capacité de ses proches à gérer l’entreprise, ou en cas de risque de conflit d’intérêt, le juge peut nommer une association tutélaire en qualité de curateur ou de tuteur.

Enfin, en cas de projet de vente de l’entreprise ou s’il est nécessaire de réaliser des opérations capitalistiques (création d’une société holding par apport des titres de la société opérationnelle, augmentation ou réduction de capital social…) ou de donner les titres en nantissement, une autorisation spéciale du juge des Tutelles sera nécessaire car il s’agit d’actes de disposition.

Un Décret n°2008-1484 du 22 décembre 2008 établit la liste des actes d’administration (gestion) et de disposition et offre ainsi une indication sur le périmètre des opérations qui nécessitent l’intervention ponctuelle du juge des tutelles.

L’habilitation familiale

Depuis 2015, il est possible d’éviter la mise sous un régime de protection en sollicitant de manière ponctuelle une habilitation familiale (articles 494-1 et suivants du Code civil).

Il s’agit d’une autorisation temporaire donnée par le juge des tutelles à un membre de la famille (ascendant, descendant, frère ou sœur, époux, partenaire pacsé ou concubin) de représenter une personne incapable pour certains actes déterminés ou d’une manière plus générale.

Néanmoins, cette mesure ne répond pas à l’exigence principale en cas d’incapacité du dirigeant : la célérité. Une habilitation familiale implique un recours au juge des tutelles et, donc, de supporter les délais de traitement du dossier au tribunal judiciaire.

Rien ne permet en outre d’affirmer que le juge des tutelles considère que la mesure puisse être suffisante pour protéger le dirigeant et son entreprise. Par ailleurs, la personne désignée par le juge pour représenter le dirigeant n’est pas nécessairement la personne que ce dernier aurait choisie.

Représentation par le conjoint

Si le dirigeant est marié, le juge des tutelles peut autoriser son conjoint à le représenter pour des actes ponctuels (article 217 du Code civil) ou de manière plus générale (article 219 du Code civil).

Or le conjoint ne connaît pas nécessairement l’activité et le fonctionnement de l’entreprise pour en assumer seul la poursuite.

Le droit civil permet de pallier ces inconvénients en offrant au dirigeant des solutions spécifiques et anticipées de protection de l’entreprise en cas d’incapacité.

le mandat de protection future pour anticiper le risque d’incapacité du dirigeant

Le législateur a créé en 2007 un outil permettant d’éviter un placement en tutelle qui s’adapte parfaitement aux besoins du dirigeant et de l’entreprise : le mandat de protection future (articles 477 à 488 du Code civil).

Il s’agit d’un acte par lequel il est possible de choisir par anticipation les mandataires chargées de protéger sa personne et/ou tout ou partie de son patrimoine en cas d’incapacité.

Le mandat peut être large et comprendre la protection de la personne (prise de décisions médicales, consultation du dossier médical, échanges avec les médecins, choix de protocoles thérapeutiques…) et la gestion du patrimoine. Il peut être limité à la protection d’une partie du patrimoine et notamment de l’entreprise.

Si le mandat est conclu sous seing privé (Formulaire Cerfa n°13592*04 et sa notice explicative n°51226#05), le ou les mandataires ne peuvent se voir confier que des pouvoirs de gestion.

Si le mandat est conclu par acte notarié, le ou les mandataires peuvent se voir autorisés à accomplir certains actes de disposition à titre onéreux (vente notamment ou apport en société, augmentation ou réduction de capital…). En cas d’incapacité temporaire ou prolongée du dirigeant intervenant au cours d’un processus de vente par exemple, les mandataires auront donc le pouvoir de mener l’opération à son terme.

Le mandant choisit seul la ou les personnes qui seront chargées de le protéger, à titre personnel et pour son entreprise. Il peut ainsi nommer :

  • un mandataire principal, chargé notamment de procéder à des distributions de dividendes. Le cas échéant le dirigeant peut prévoir dans le mandat un encadrement de ces distributions, soit en termes de montant, soit en précisant que les distributions devront avoir pour objet de permettre au dirigeant de se maintenir dans son cadre de vie et de financer son train de vie.
  • Un collège de mandataires, pouvant prendre les décisions les plus importantes (notamment les actes de disposition à titre onéreux et la désignation d’un nouveau dirigeant). Idéalement, le dirigeant évitera une unanimité dans la prise de décisions entre les mandataires afin d’éviter des blocages préjudiciables à l’entreprise.

Qui nommer en qualité de mandataires chargés de protéger l’entreprise ?

Il peut être opportun de penser aux personnes les plus aptes à protéger le mandant mais aussi à assurer la poursuite de l’activité de l’entreprise. Il peut s’agir :

  • des proches (conjoint, enfants, frère ou sœur) qui défendront l’intérêt du mandant
  • mais aussi de tiers de confiance qui connaissent le monde de l’entreprise et sauront alerter les proches sur les risques et difficultés éventuellement constatés.

Attention : être mandataire ne signifie pas devenir le nouveau dirigeant.

Le mandataire n’a pas tous les pouvoirs pour gérer l’entreprise. Son rôle est de participer et voter en assemblée générale pour notamment décider :

  • de l’identité du ou des nouveaux dirigeants
  • des distributions de dividendes
  • de restructurations
  • de céder l’entreprise si l’incapacité du dirigeant se prolonge et que la survie de l’activité en dépend ou qu’un processus de cession avait été engagé par le dirigeant avant son incapacité.

En cas de difficulté d’exécution de leur mission, les mandataires peuvent toujours solliciter le juge des tutelles pour les guider.

Le mandat de protection future présente de nombreux avantages parmi lesquels :

  • une totale réversibilité : tant qu’il est capable, le dirigeant peut modifier ce mandat (dans son périmètre ou dans le choix de ses mandataires) ou le supprimer à sa convenance.
  • l’absence de recours au juge pour la mise en œuvre du mandat : en cas d’incapacité médicalement constatée du mandant, il convient de se rendre au greffe civil du tribunal judiciaire (service des tutelles) muni du certificat médical et du mandat (et accompagné si possible du mandant).
    Il n’est pas nécessaire d’obtenir une audience auprès du juge des tutelles. Le temps de latence entre l’incapacité du dirigeant et la prise de fonctions des mandataires est donc réduite à quelques jours.
  • la certitude pour le mandant de l’identité des personnes chargées de le protéger et de la meilleure protection de ses intérêts. Notons qu’en cours de mandat et lorsque celui-ci est notarié, le notaire est tenu d’un contrôle annuel des comptes du mandant et d’une obligation d’alerte au juge s’il lui semble que les mandataires sont négligents.
  • un coût limité : un mandat sous formulaire Cerfa s’enregistre au coût de 125 €. Un mandat notarié (qui permet de conférer davantage de pouvoirs aux mandataires) s’enregistre au même prix auquel il convient d’ajouter les émoluments du notaire (arrêté du 26 février 2016, modifiés par les arrêtés du 27 février 2018 et du 28 février 2020), la taxe sur la valeur ajoutée et le coût des formalités, pour un total de l’ordre de 350 €.

MANDAT DE PROTECTION FUTURE (risque incapacité)
Exemple de répartition des missions entre les mandataires

Mandataires Désignés

Périmètre du Mandat

Nature des opérations

Décisions Concernées

Conditions de la prise de décisions

Si empêchement, renonciation ou décès du mandataire désigné

Conjoint

Protection de la personne du Mandant

Décisions médicales


Décisions médicales

Conjoint seul

Mandataires encore en exercice suivant une règle de majorité à définir en fonction du nombre de mandataires restant (éviter l’unanimité)

Collège de Mandataires :
Conjoint
Enfants


Protection du patrimoine personnel

Actes d'administration

Gestion courante des biens personnels

Conjoint seul

Mandataires encore en exercice suivant une règle de majorité à définir en fonction du nombre de mandataires restant (éviter l’unanimité)

Collège de Mandataires :
Conjoint
Enfants


Protection du patrimoine personnel

Actes de disposition

Mutation à titre onéreux
(Vente, apport en société notamment)

Collège de Mandataires
suivant une règle de majorité à définir en fonction du nombre de mandataires restant (éviter l’unanimité)

Mandataires encore en exercice suivant une règle de majorité à définir en fonction du nombre de mandataires restant (éviter l’unanimité)

Collège de Mandataires :
Conjoint
Enfants
Tiers de confiance (connaissant la famille et le monde de l’entreprise)


Protection du patrimoine professionnel

Actes d’administration

Vote en AGO


Conjoint seul
(financement de son train de vie, le cas échéant avec précision d’un montant maximal annuel à distribuer)


Mandataires encore en exercice suivant une règle de majorité à définir en fonction du nombre de mandataires restant (éviter l’unanimité)

Collège de Mandataires :
Conjoint
Enfants
Tiers de confiance (connaissant la famille et le monde de l’entreprise)



Protection du patrimoine professionnel

Actes d’administration

AGE

Collège de Mandataires
suivant une règle de majorité à définir en fonction du nombre de mandataires restant (éviter l’unanimité)


Mandataires encore en exercice suivant une règle de majorité à définir en fonction du nombre de mandataires restant (éviter l’unanimité)

Collège de Mandataires :
Conjoint
Enfants
Tiers de confiance (connaissant la famille et le monde de l’entreprise)


Protection du patrimoine professionnel

Actes de disposition
(si mandat notarié)


Mutation à titre onéreux
(Vente, apport en société notamment)


Collège de Mandataires
suivant une règle de majorité à définir en fonction du nombre de mandataires restant (éviter l’unanimité)


Mandataires encore en exercice suivant une règle de majorité à définir en fonction du nombre de mandataires restant (éviter l’unanimité)

la protection du patrimoine professionnel en cas de décès du dirigeant-associé

Lorsque le dirigeant est également associé, son décès, s’il n’a pas été anticipé, est un bouleversement total pour l’entreprise, en termes de gérance mais également en termes de gouvernance, puisque la détention du capital ou des actifs professionnels change de mains et revient à ses héritiers.

Ces derniers ont plus ou moins les aptitudes et la volonté de rester actionnaire ou poursuivre l’activité. Leur mésentente est aussi un risque pour la survie de l’entreprise.

Là encore, des dispositions civiles permettent d’anticiper cette situation pour la gérer au mieux.

conséquences du décès prématuré du dirigeant et associé

Le décès du dirigeant associé peut placer l’entreprise dans une situation très difficile, en raison de l’éclatement du capital entre les héritiers et de l’entrée possible d’enfants mineurs.

La situation familiale et matrimoniale du dirigeant et l’existence ou non de dispositions testamentaires déterminent l’identité de ses héritiers.

L’une des hypothèses les plus fréquentes est celui du dirigeant marié ayant des enfants issus ou non de son union et n’ayant pas pris de dispositions testamentaires.

Le code civil a anticipé la protection du conjoint survivant en lui octroyant des droits en usufruit et/ou en pleine propriété selon le cas (existence ou non d’une donation au dernier vivant). Ceci signifie que même en l’absence de testament ou de donation entre époux, le conjoint survivant aura des droits sur l’entreprise comme sur tout le reste du patrimoine.

De même, le partenaire pacsé est souvent protégé par un testament, indispensable pour lui allouer des droits sur la succession puisqu’il n’est pas légalement héritier. Ces droits, s’ils sont étendus, comme la totalité en usufruit de la succession du dirigeant par exemple, vont également s’exercer sur l’entreprise.

Quelle que soit la situation, il est important de garder à l’esprit le fait que la protection des proches du dirigeant, telle qu’organisée par défaut par le code civil ou prévue par testament suivant un périmètre le plus large possible au profit du conjoint ou partenaire, n’est pas toujours adaptée à l’entreprise.

L’application des droits légaux du conjoint survivant ou la protection testamentaire du partenaire de pacs peut en effet avoir pour conséquence une interdépendance entre ce conjoint ou partenaire et les enfants du dirigeant et aboutir à un démembrement de propriété (choix du conjoint survivant pour des droits en usufruit), ou à une indivision (attribution de droits en pleine propriété).

Appliqué à l’entreprise, le démembrement de propriété implique un consensus entre un usufruitier qui a un intérêt à réaliser des distributions de dividendes pour financer son train de vie et des nus- propriétaires qui préfèrent conserver la trésorerie dans la société jusqu’à l’extinction de l’usufruit du conjoint ou concubin.
La vente de l’entreprise implique un accord de toutes les parties. Or la répartition des prérogatives politiques et financières entre l’usufruitier et les nus-propriétaires résulte des statuts ou, à défaut, du code civil.

L’indivision (articles 815 et suivant du Code civil) n’est pas un système plus sécurisant pour l’entreprise, notamment en terme de gouvernance.

De plus, l’indivision successorale porte, à défaut de précision contraire par testament, sur chaque action ou chaque part sociale composant le capital et non sur une quote-part du capital. Le partage des titres entre les héritiers génère en principe l’acquittement du droit de partage au taux actuel de 2,5%.

La situation se complique en présence d’enfants mineurs. Le conjoint survivant, qu’il agisse en cette qualité ou en tant que représentant des enfants mineurs, peut se trouver en situation de conflit d’intérêt. Pour les actes les plus graves, notamment la vente de l’entreprise, il doit solliciter l’autorisation préalable du juge des tutelles.

La situation des enfants du dirigeant peut également poser une difficulté s’ils sont jeunes majeurs au moment du décès de leur père ou mère et que l’entreprise est vendue.

Un jeune de 18 ans est-il apte à gérer un patrimoine important ? Ne sera-t-il pas au contraire déstabilisé, tant par le décès de son parent que par l’arrivée soudaine d’un capital sur son compte bancaire ?

Sans entrer ici dans le détail de chaque situation et de la multiplicité des difficultés rencontrées, il ne peut qu’être conseillé au dirigeant de solliciter un audit successoral et matrimonial auprès de ses conseillers habituels (avocat, notaire, ingénieur patrimonial, conseiller en gestion de patrimoine, Family Office) afin de réaliser un point de sa situation. Ceci lui permet d’appréhender précisément la répartition de ses biens en cas de décès et d’évaluer la protection de son entreprise.

Enfin un dernier point, et qui n’est pas des moindres, une bonne entente familiale ne peut constituer une garantie suffisante pour une entreprise, ses équipes, ses partenaires, ses clients. Un consensus entre les héritiers ne signifie pas que ces derniers ont la capacité à reprendre la tête de l’entreprise dans cette période de fragilité extrême que constitue le décès de son homme-clé.

Si les règles de protection prévues par défaut dans le code civil semblent mal adaptées à la protection de l’entreprise, il est heureusement possible d’y remédier par quelques dispositions simples, peu coûteuses et facilement réversibles.

comment anticiper le risque de décès du dirigeant ?

La protection de l’entreprise en cas de décès prématurée du dirigeant s’organise en deux volets : par l’organisation de la répartition de ses biens et par l’anticipation de la gestion de l’entreprise.

Organiser par anticipation la répartition de ses biens en cas de décès

L’anticipation de la répartition de ses biens par le dirigeant lui permet notamment de réfléchir à celui ou ceux de ses héritiers qui se verront transmettre l’entreprise.

La liberté n’est pas totale en la matière. Les enfants sont en effet héritiers réservataires et ont un droit incompressible sur la succession de leur parent (à concurrence de moitié en présence d’un enfant, des deux tiers en présence de deux enfants et des trois quarts de la succession à partir de 3 enfants).

Il n’en reste pas moins qu’il est possible d’organiser la protection du conjoint survivant non pas simplement dans son périmètre légal que prévoit par défaut le code civil, mais en lui attribuant spécifiquement les biens qui permettent sa protection « qualitative » et « quantitative », notamment le maintien dans son cadre de vie et la perception des revenus nécessaires au financement de son train de vie.

Il est possible d’aménager les droits des héritiers sur l’entreprise et le patrimoine professionnel.

Cette organisation passe principalement par deux voies :

  • l’adaptation du régime matrimonial du chef d’entreprise : Le dirigeant peut ainsi mettre en commun les biens nécessaires à la protection de son conjoint. Mais il peut limiter cette « communautarisation », qu’il s’agisse d’une société d’acquêt en séparation de biens ou d’une communauté, en incluant ou pas l’entreprise.
    Il est à noter que l’adaptation du régime matrimonial implique l’accord des deux époux et offre aux enfants majeurs et aux créanciers un droit d’opposition (article 1397 du Code civil), outre la nécessité de liquider le cas échéant le régime matrimonial du dirigeant.
  • la prise de dispositions testamentaires : la répartition de ses biens par le dirigeant peut intervenir par simples dispositions testamentaires, confidentielles, réversibles par le seul testateur et peu coûteuses.
    La rédaction d’un testament permet notamment de protéger le conjoint par l’attribution de droits en pleine propriété ou en usufruit sur le cœur du patrimoine et d’éviter autant que faire se peut une indivision entre les héritiers, notamment sur l’entreprise.

Organiser par anticipation la gestion de l’entreprise

Comme en matière d’incapacité (mandat de protection future), le dirigeant a la possibilité de confier dans un mandat à effet posthume (articles 812 à 812-7 du Code civil) la gestion de son entreprise à des proches et tiers de confiance en cas de décès.

Ces deux mandats fonctionnement suivant le même mode et avec la même souplesse. Seules quelques différences les séparent :

  •  le mandat à effet posthume vise à protéger non plus le dirigeant (qui est décédé) mais ses héritiers. Les mandataires doivent donc agir ici dans l’intérêts des héritiers désignés dans le mandat (le mandat peut d’ailleurs ne viser que certains héritiers le cas échéant).
  • les mandataires ne peuvent se voir confier que des pouvoirs de gestion et non de disposition. Ils ne peuvent ainsi pas vendre l’entreprise, qui appartient aux héritiers.
  • le mandat peut être conclu pour une période maximale de 5 ans à compter du décès du dirigeant. Passé ce délai, il convient de solliciter l’autorisation du juge pour le renouveler si nécessaire.
  •  le mandat est ici nécessairement conclu devant notaire.
  • le notaire n’est pas soumis à une obligation de contrôle de la bonne exécution par les mandataires de leur mission.

Comme pour le mandat de protection future, les mandataires ont pour mission de gérer les titres de l’entreprise et donc de participer et voter en assemblée générale. Ils peuvent ainsi choisir le nouveau dirigeant et décider des distributions de dividendes.

Leur mission consiste notamment à rassurer les partenaires et les clients de l’entreprise en offrant une stabilité dans une période difficile.

MANDAT A EFFET POSTHUME (risque décès)
Exemple de répartition des missions entre les mandataires

Mandataires Désignés

Périmètre du Mandat

Nature des opérations

Décisions Concernées

Conditions de la prise de décisions

Si empêchement, renonciation ou décès du mandataire

Conjoint

Protection du patrimoine personnel

Actes d’administration

Gestion courante des biens personnels

Conjoint seul

Mandataires encore en exercice suivant une règle de majorité à définir en fonction du nombre de mandataires restant (éviter l’unanimité)

Conjoint

Protection du patrimoine personnel

Actes de disposition

Mutation à titre onéreux
(Vente, apport en société notamment)


Juge des tutelles impérativement

Mandataires encore en exercice suivant une règle de majorité à définir en fonction du nombre de mandataires restant (éviter l’unanimité)

Collège de Mandataires :
Conjoint
Enfants
Tiers de confiance (connaissant la famille et le monde de l’entreprise)


Protection du patrimoine professionnel

Actes d’administration

Vote en AGO
(notamment pour les distributions de dividendes)


Conjoint seul
(financement de son train de vie, le cas échéant avec précision d’un montant maximal annuel à distribuer)


Mandataires encore en exercice suivant une règle de majorité à définir en fonction du nombre de mandataires restant (éviter l’unanimité)

Collège de mandataire :
Conjoint
Enfants
Tiers de confiance (connaissant la famille et le monde de l’entreprise)


Protection du patrimoine professionnel

AGE

Excepté les actes de disposition qui impliquent l'accord du juge des tutelles

Collège de Mandataires
suivant une règle de majorité à définir en fonction du nombre de mandataires restant (éviter l’unanimité)


Mandataires encore en exercice suivant une règle de majorité à définir en fonction du nombre de mandataires restant (éviter l’unanimité)

Cette protection offerte par le mandat à effet posthume n’est pas la seule qui puisse s’envisager pour protéger l’entreprise et les héritiers. Il est également possible de réfléchir à une adaptation des statuts de la société concernée, à la désignation de dirigeants successifs, ou encore à la constitution d’une société holding.

Ces mesures n’offrent toutefois pas la même discrétion que le mandat à effet posthume (qui contrairement aux statuts n’a pas à être publié), ni la même réversibilité quasi-immédiate, ni le même coût limité.

Outre cette protection civile, des solutions fiscales peuvent aussi être aménagées. La valorisation du patrimoine professionnel est souvent conséquente et les droits de succession en cas de décès du chef d’entreprise le sont alors corrélativement. La protection civile du patrimoine professionnel s’accompagnera idéalement d’une optimisation fiscale, grâce notamment au dispositif Dutreil.

 

Il est ainsi indispensable pour le chef d’entreprise d’anticiper les risques d’invalidité ou de décès et de mettre en place les solutions de préservation de son patrimoine professionnel. Ses conseils patrimoniaux ont ici un rôle clé. Ils lui permettront d’effectuer un audit de sa situation et d’organiser si nécessaire une protection ciblée de son entreprise.

Auteur
 Cécile PEYROUX 

Notaire, intervenant formateur à L’ESBanque pour le CESB CGP