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Rédaction Web : JUST DEEP CONTENT

Après plus de 30 ans d’accalmie, nous assistons à un retour soudain de l’inflation. Quelles en sont les raisons ? Ce phénomène est-il provisoire ou plus profond ?

 

L’analyse que nous avions présentée dans notre article d’avril 2020 (Covid-19 et crise économique : inflation ou déflation ?) semble se confirmer. La période post-Covid se traduit par une forte reprise de l’inflation.

Les taux d’inflation, très bas depuis plus de 30 ans (entre 0 et 4 %), se sont envolés brutalement, passant en France de 1,2 % en juillet 2021 à 6,2 % en octobre 2022 (taux en glissement annuel). La moyenne de la zone Euro est encore plus élevée et atteint 10,7 % en octobre. Les Etats-Unis ont connu cette reprise de l’inflation plus tôt et plus rapidement, avec une inflation en base annuelle de 8,20 % en septembre 2022.

 

Source : France Transactions

 

Nous renouons avec une période inflationniste que nous ne connaissions plus depuis les années 1980.

Les premières explications relevant de la sortie de crise du Covid et d’une forte reprise de la demande, le phénomène inflationniste a d’abord été considéré comme transitoire.

Force est de constater que les taux d’inflation restent élevés. La question de l’entrée dans une période inflationniste plus durable commence donc à se poser.

Pourquoi un retour aussi brutal de l’inflation ? Quels facteurs pourraient rendre ce phénomène plus persistant ? Explications.

 

SOMMAIRE

  • Inflation : pourquoi un tel retour ?
  • Quelles conditions pour que l’inflation s’installe ?

Inflation : pourquoi un tel retour ?

 

La reprise soudaine de l’inflation s’explique davantage par une baisse brutale de l’offre de produits et services corrélée à une forte augmentation de la demande à la sortie de la crise du Covid-19, que par l’importance de la masse monétaire créée par les banques centrales depuis plusieurs années ou les récentes aides publiques à l’économie.

La hausse des coûts de production, la baisse de la valeur de l’Euro et le coût de l’énergie (inflation importée), ont ensuite accentué ce phénomène.

 

 

Création monétaire et vitesse de circulation de la monnaie : un effet jusqu’ici faible sur l’inflation

L’importance de la masse monétaire en circulation dans l’économie peut être un facteur d’inflation.

C’est d’ailleurs l’une des explications principales à l’inflation dans les théories dites monétaristes.

 

L’équation d’Irving Fisher l’explique ainsi :

M x V = T x P

Où : M = Masse monétaire ou quantité de monnaie

V = Vitesse de circulation de la monnaie dans l’économie

T = Volume des transactions d’achat et de vente de biens et services

P = Niveau général des prix

 

Ainsi, si la masse monétaire augmente et que les autres variables (vitesse de circulation de la monnaie et volume des transactions) restent constantes, le niveau général des prix augmente.

L’inflation est une augmentation générale et durable du niveau des prix entraînant une perte de pouvoir d’achat de la monnaie (définition de l’INSEE). L’accroissement de la masse monétaire engendre donc de l’inflation.

Or depuis 2008, en réponse à la crise financière, les banques centrales n’ont cessé d’injecter de la monnaie dans l’économie (politique de quantitative easing). Pour autant, l’inflation n’est pas repartie à la hausse et elle est même restée relativement stable jusqu’en 2021.

Plusieurs raisons ont été invoquées à cette absence d’inflation, notamment l’absence d’injection de cette monnaie dans l’économie réelle et son investissement dans les actifs financiers ou immobiliers, ne créant une hausse de prix que dans ces domaines. Or l’immobilier (hormis les loyers) et les cours des marchés boursiers ne sont pas pris en compte dans les indices de mesure de l’inflation.

Comment calcule-t-on l’inflation ?

L’inflation se mesure par un indice des prix à la consommation (IPC en France calculé par l’INSEE), en tenant compte de l’évolution des prix d’un panier fixe de biens et services à qualité constante. Les prix de l’immobilier (sauf les loyers) et des actifs financiers n’entrent pas dans ce calcul.

Mais le retour soudain de l’inflation que nous notons depuis plusieurs mois concerne bien une envolée des prix de biens et services.

Force est de constater que la création de monnaie par les banques centrales, exercée massivement depuis plus d’une dizaine d’année, n’explique pas à elle seule ce retour brutal de l’inflation depuis un an.

Les politiques budgétaires de soutien public à l’économie ont également pour effet d’accroître la masse monétaire en circulation, les aides étant versées directement aux acteurs économiques. Or ces aides ont été massives pendant la crise du Covid.

Ce maintien des capacités d’achat des acteurs économiques a pu créer une pression à la hausse sur les prix mais ce phénomène s’explique davantage par les tensions provoquées à la fois sur la demande et sur l’offre de biens et services que par la croissance de la masse monétaire en circulation.

Si l’on reprend l’équation d’Irving Fischer, il semble que ce soit davantage la contraction de T, du volume des transactions, qui explique ce regain soudain de l’inflation.

 

Un choc d’offre et de demande depuis l’après Covid

La crise du Covid et la réouverture des activités économiques après la période de confinement ont créé de fortes tensions sur l’offre et la demande de biens et services :

  • Dès que les ménages et les entreprises ont pu reprendre leur consommation et leur production, la demande de biens et services s’est accrue brutalement. Ce phénomène a particulièrement concerné les biens de consommation et d’équipement (voitures d’occasion, matériel informatique …). Cette demande pour certains biens a été d’autant plus forte que beaucoup d’entreprises ont cherché à constituer des stocks plus importants qu’habituellement pour faire face à d’éventuelles pénuries.

L’épargne des ménages a considérablement augmenté pendant la période du Covid et les mesures budgétaires de soutien, plus de 16 000 milliards de dollars au niveau mondial, ont accru la possibilité d’achat des acteurs économiques.

  • Parallèlement, après une mise à l’arrêt ou un fort ralentissement de plusieurs mois, les circuits de production, de distribution et de transports (notamment maritimes) ont eu beaucoup de difficultés à reprendre leur rythme de fonctionnement d’avant crise. Les fameux goulots d’étranglement dans les chaînes de production se sont fait sentir.

Cette double tension sur l’offre et la demande a logiquement engendré une forte augmentation des prix à partir de mi-2021, se traduisant directement dans l’évolution des taux de l’inflation sous-jacente (inflation hors énergie et produits alimentaires), c’est-à-dire sur les prix des biens de consommation durable et de services.

Inflation sous-jacente :

L’inflation sous-jacente est calculée de manière à ne pas tenir compte de la saisonnalité des activités économiques et des variables trop volatiles. En Europe, elle est mesurée à partir de l’évolution des prix hors énergie et produits d’alimentation.

L’inflation par les coûts

Dans tous les pays et particulièrement en Europe, les prix de l’énergie et des matières premières se sont considérablement accrus à partir de 2021, entraînant mécaniquement une hausse des prix des biens et services.

 

Energie et matières premières

Cette forte augmentation du prix de l’énergie et des matières premières n’est pas sans rappeler la période d’inflation des années 1970. Les raisons sont néanmoins différentes et résultent de la combinaison de plusieurs effets :

  • Tout d’abord, comme toute activité économique, les secteurs de l’énergie et des matières premières ont été concernés par la crise du Covid. Un fort ralentissement de la production, puis un rythme de production difficile à retrouver face à un accroissement soudain de la demande lors de la réouverture de l’économie ont déstabilisé ces marchés.
  • Dès 2021, les productions d’énergie et de matières premières ont été perturbées par des conditions météorologiques particulièrement défavorables : un hiver 2020-2021 particulièrement froid et plusieurs catastrophes climatiques (ouragan Ida …).
  • A partir de février 2022, la guerre en Ukraine a fini de déstabiliser totalement ces marchés en raison du positionnement stratégique des forces en présence. Russie et Ukraine sont des exportateurs clés en Europe de pétrole, de gaz, de métaux (nickel, acier …) mais aussi de produits d’alimentation de base. L’Ukraine et la Russie représentent 30 % des exportations mondiales de blé et sont dans les premiers rangs de production de céréales ou d’huile de tournesol. Les menaces de représailles de la Russie sur ses engagements de fourniture en gaz des pays européens, les sanctions économiques votées contre la Russie, les destructions d’infrastructures et les catastrophes humaines subies sur le sol ukrainien, sont évidemment de nature à réduire l’offre des biens exportés par ces pays.

L’inflation par les coûts de l’énergie a été la cause principale de l’accroissement de la hausse des prix en Europe, davantage qu’aux Etats-Unis. Le taux d’inflation énergétique a cru de 44 % en mars 2022 en zone Euro, contre 32 % aux Etats-Unis. La zone euro s’est trouvée directement concerné par le conflit russo-ukrainien.

 

Tension sur le marché du travail et coûts salariaux

La crise du Covid a créé un choc important sur le marché du travail. On a pu constater tout d’abord une baisse du taux d’activité pendant le confinement.

Puis, à la sortie de la crise, la reprise a naturellement créé une augmentation de la demande d’emplois. Parallèlement, l’offre d’emploi n’a pas progressé et les tensions se sont resserrées sur le marché du travail. Dans cette situation, le coût du travail a alors tendance à augmenter puisqu’il est nécessaire de proposer des salaires supérieurs pour recruter.

Ce phénomène est plus marqué aux Etats-Unis où le taux de chômage était déjà relativement bas. Le taux de participation au travail y est resté inférieur à celui d’avant crise du Covid. On a pu parler d’effet « désertion » du marché du travail. Les coûts salariaux ont alors fortement augmenté, participant à la hausse de l’inflation.

Cette tension salariale est plus modérée en Europe pour l’instant, le retour à l’emploi après crise ayant été plus rapide. Mais si la demande sur le marché continue à croître, les coûts salariaux devraient également suivre.

 

Source : Banque Nationale de Belgique

 

L’inflation importée : renchérissement des importations

Les économies étant mondialisées, l’inflation s’est accrue également par le phénomène dit d’inflation importée, pour deux raisons :

Les matières premières et l’énergie constituent pour beaucoup de pays des importations. La hausse de leurs prix se répercutent sur les coûts de production des entreprises ou le coût de la vie des particuliers.

Les membres du CLEEE, association des entreprises les plus consommatrices d’électricité et de gaz en France, relèvent une hausse du coût de l’énergie de 80 % en 2022 par rapport à 2021. Ces prix devraient tripler en 2023.

La hausse du dollar, devise dans laquelle est libellée une grande partie des importations pour l’Europe, renchérit mécaniquement le coût des importations et accroît l’inflation. Cette hausse du dollar contre l’Euro est particulièrement forte depuis 2021. Elle s’est accentuée depuis mars 2022 et la décision de la FED (Banque Centrale américaine) d’augmenter ses taux, justement pour juguler l’inflation.

Le renchérissement du prix des importations est reporté sur les prix des produits finaux, engendrant une inflation domestique dans les pays importateurs.

Source : ADECEF

 

Quelles conditions pour que l’inflation s’installe ?

 

Cette reprise de l’inflation, considérée dans un premier temps comme transitoire par les banques centrales elles-mêmes, semble se poursuivre.

Si les causes inflationnistes jusqu’ici conjoncturelles deviennent longues ou structurelles, si une spirale inflationniste se met en place, l’inflation pourrait s’installer plus durablement.

 

Le passage de causes conjoncturelles à des phénomènes longs, voire structurels

On constate que les chocs sur l’offre de biens et services, alors que la demande reste élevée, ont tendance à perdurer. Les confinements récurrents en Chine en raison de vagues de Covid persistantes, les difficultés des transports maritimes et l’accroissement de leurs coûts se poursuivent et créent une pression durable sur les chaînes de production.

L’indicateur Flexport OTI (Ocean Timeliness Indicator) mesure les délais d’expédition par voie maritime. Cet indicateur tend à s’améliorer légèrement depuis leur sommet d’avril 2022 mais son niveau reste encore largement supérieur à celui d’avant la pandémie. Sur la ligne Chine – Ouest des Etats-Unis, le délai de transport est de 83 jours au lieu de 45 jours avant la crise du Covid.

La désorganisation des chaînes de production, si elle dure, peut aboutir à une détérioration plus durable voire permanente de ces capacités. Certains économistes (Olivier Blanchard et Lawrence Summers), avaient parlé à propos du chômage de la notion dite d’hystérèse, concept emprunté aux sciences physiques, pour expliquer comment un effet dure alors que ses causes ont disparu. On peut également constater ce phénomène sur la reprise des chaînes de production.

Le prix de l’énergie et notamment du pétrole demeure également sur un niveau élevé. Lorsque les prix sont amenés à baisser, comme cela a pu être le cas dernièrement avec une baisse de 30 % du cours du Brent entre mars et octobre en raison des perspectives de récession économique, les membres de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) réduisent l’offre afin de soutenir les cours.

La baisse de l’offre de gaz pour l’Europe depuis la guerre en Ukraine a fait exploser les prix. La production européenne de gaz a par ailleurs naturellement tendance à chuter, renchérissant son cours.

Face à la hausse du coût de l’énergie, certaines activités sont dans l’obligation de ralentir leur production, particulièrement en Europe et en Allemagne, ce qui accentue la baisse de l’offre de produits et tend les approvisionnements.

Cette baisse peut être compensée par l’accroissement des importations selon le type de produit manquant. Mais, sauf à provenir de zones nettement plus compétitives, ces importations peuvent être plus coûteuses et participer également à l’inflation importée.

 

L’augmentation des coûts de production peut par ailleurs devenir durable en raison d’une hausse structurelle des prix de l’énergie.

La transition écologique et le passage absolument nécessaire à une énergie décarbonée suppose un fort développement des énergies renouvelable ou des énergies bas carbone. Or leurs coûts sont encore élevés et le passage vers ces techniques aura tendance à mécaniquement accroître le prix de l’énergie.

Les mécanismes mis en place afin de renchérir le prix des énergies carbonées et inciter à la transition énergétique participent également à la hausse du prix de l’énergie, et notamment de l’électricité, tant que celle-ci provient d’énergies fossiles. Les prix des quotas d’émission, mis en place dans le cadre du SEQE (Système Européen d’Echange de Quota d’Emission) sont depuis longtemps à la hausse, ce qui peut créer une tension durable sur le prix de l’énergie.

Parallèlement, la hausse actuelle du cours des énergies carbones (pétrole, gaz, centrales électriques à charbon) est plutôt une bonne nouvelle pour la transition énergétique. Outre l’incitation à une réduction de consommation, cette hausse réduit également l’écart de coût avec les énergies renouvelables ou bas carbones, ce qui peut faciliter le développement de ces dernières.

Enfin, les politiques de relances budgétaires peuvent constituer un autre risque de hausse durable de l’inflation. Ces relances publiques ont été massivement décidées pendant la crise du Covid et se poursuivent aujourd’hui. Aux Etats-Unis, en 2021, le plan Biden a été voté pour plus de 3.000 milliards de dollars. Le plan France Relance représentait plus de 100 milliards d’euros en 2020. Les mesures prises en France pour préserver le pouvoir d’achat des ménages face à l’inflation sont estimées à 21,4 milliards d’euros en juillet 2022.

Or ces politiques budgétaires expansionnistes sont menées à un moment où la masse monétaire sur le marché est très importante, après plus de 30 ans de taux d’intérêt bas et surtout une politique monétaire des banques centrales particulièrement expansionniste depuis 2008.

Pour ces raisons, un groupe d’économistes, nommé « Team Persistent », a alerté début 2021 sur une possible inflation élevée et persistante.

D’autres économistes, appelés « Team Transitory », concluaient plutôt à un effet transitoire de ses relances budgétaires sur l’économie.

A l’heure actuelle, les perspectives d’inflation dans de nombreux pays confortent davantage les conclusions des « Team persistant ».

 

L’entrée dans une spirale inflationniste

Lorsque l’inflation apparaît, le risque, particulièrement redouté des banques centrales, est celui d’une entrée dans une spirale inflationniste.

Cette spirale se met en place par l’effet même de l’inflation lorsqu’il dure :

  • Dans un contexte inflationniste, les entreprises peuvent augmenter immédiatement leurs prix de vente par anticipation des hausses à venir des coûts de production. Les consommateurs, tout comme les entreprises, peuvent également acheter davantage pour ne pas subir une hausse des prix dans le futur. Ces comportements ont pour conséquence d’entretenir et d’accroître la hausse des prix.
  • La situation inflationniste peut également pousser à la hausse les salaires. Le pouvoir d’achat des ménages se réduisant, les entreprises peuvent être amenées, de gré ou de force, à augmenter les salaires. Cette augmentation peut même être automatique pour certains revenus comme le Smic (Salaire minimum de croissance).

La hausse des salaires renchérit le coût de production et mécaniquement les prix de vente.

Or comme nous l’avons vu, les tensions salariales sont déjà présentes, plus particulièrement aux Etats-Unis mais elles existent aussi en Europe.

Dès lors, les ingrédients pour la mise en place d’une spirale inflationniste semblent présents.

 

Source : Banque de France

A l’heure actuelle, les conditions semblent réunies pour une entrée dans une inflation durable. Tout dépendra des politiques des banques centrales et de leurs risques induits sur la croissance ainsi que des effets des politiques budgétaires expansionnistes. En favorisant l’inflation, non seulement ces dernières provoquent l’effet inverse à celui recherché par les banques centrales mais elles augmentent les risques d’accroître les déficits publics.

 

Auteur

Anne Brouard    

Ingénieur patrimonial et fondateur de JUST DEEP CONTENT, agence de contenu spécialisé en gestion de patrimoine, Intervenante-formatrice pour le CESB Expert en Gestion de Patrimoine, diplôme RNCP Niveau 7